Le 7 mars : bloquer la machine, réveiller l’humain

« Nous avons assisté à des défilés‬ de gauche, dans lesquels on se balade avec ses amis ou sa famille, sans‬ être intégré à un cortège, pour ensuite rentrer chez soi en attendant la‬ prochaine balade.‬ Cette culture de gauche est suicidaire, car elle ne crée pas des grévistes actifs mais des contestataires‬ ponctuels. C’est le schéma politique‬ des partis de gauche, qui rassemblent des groupes de “citoyens”‬ pour ensuite les laisser isolés dans‬ leur entreprise. Hurler des slogans avec‬ des drapeaux rouges ne change rien‬ à cette inefficacité. […]

Mais la “grève générale” n’est pas un mot‬ d’ordre gauchiste.‬ Elle demande une préparation‬ dans chaque famille et dans chaque‬ quartier. Car il faut tenir les piquets‬ de grève et les occupations des sites‬ de travail. Il faut s’occuper collectivement de la garde des enfants. Il faut‬ préparer l’alimentation collective. Il‬ faut fédérer les grévistes, localement‬ en interprofessionnel, et plus largement au niveau de la fédération d’industrie (la branche). Il faut proposer‬ une sociabilité et des activités festives et culturelles.‬ Il faut s’organiser efficacement. »

– Un syndicaliste éclairé

Bien qu’étrangers à l’objectif technocratique[1] du simple retour aux 62 ans, nous nous félicitons du projet de « grève générale » prévu le mardi 7 mars.

Alors que l’infrastructure techno-industrielle dépasse aujourd’hui par sa masse celle de la totalité des êtres vivants sur Terre[2], force est de constater que nous sommes tous aliénés dans un ensemble de relations, de flux et de technologies qui happent en permanence notre disponibilité intellectuelle, notre capacité de révolte. Du réveil du matin au transport nous emmenant au travail, de l’ordinateur au traitement des mails jusqu’à la soirée devant Netflix (ou pire, à traîner sur Instagram et autre plateforme déshumanisante), toute notre capacité à décider du sens de nos vies est anéantie par des processus machinaux.
Aujourd’hui, le système technologique achève d’organiser notre dépendance totale à son infrastructure, au point de caler nos vies sur son rythme propre, celui de l’usine et de l’horloge, le temps mécanique, bien loin des cycles naturels du jour, de la nuit et des saisons qui nous animèrent durant des siècles.

Le soulèvement semble d’autant plus nécessaire qu’il semble lointain. Paradoxe d’une époque où l’agonie des oiseaux, des océans, des sols et des forêts sert à alimenter le techno-flux qui nous fait scroller sur l’écran, bien loin du désir d’en finir. Car que faire, sinon stopper la mégamachine ?

Dans un tel néant, nous reste-t-il réellement d’autres choix que de voir comme une opportunité toute tentative d’enrayer l’ordre industriel ?

Avons-nous encore vraiment le luxe de nous plaindre de tel « retard au travail », telle « connexion qui ne marche pas bien », tel « train qui ne part pas » ?

Désormais, le consensus scientifique est catégorique : les fous sont ceux qui veulent continuer de produire marchandises et énergie au prix du sacrifice du monde vivant. Au prix de l’habitabilité de la seule planète qui nous sert de refuge.

Les fous sont ceux qui prônent la dépossession totale de notre existence, au profit des firmes industrielles et des États, via la colonisation technologique de notre sphère intime et du corps humain.

Les fous sont ceux qui préfèrent casser une grève que de risquer le retour d’un lien humain naturel et spontané, libéré de l’impératif de productivité et d’efficacité.

Face aux fous inhumains, la majorité des humains est condamnée à un esclavage technologique qui dévoile chaque jour un peu plus la nature totalitaire de cette société industrielle. Déshumanisés, acclimatés à l’âge mécanique, les peuples industrialisés souffrent dès qu’une journée de répit vient perturber la progression machinale de leur besogne vide de sens.

Alors le 7 mars, et tant que nous le pourrons dans les luttes à venir, par le blocage et la grève reconductible, libérons-nous le temps de réfléchir collectivement à notre situation : dans les villes, les usines, les champs, les immeubles, les universités. Tâchons de comprendre et d’anticiper le techno-futur qu’ils sont en train de nous préparer. Tâchons, enfin, de penser stratégie.

Car tout n’est pas perdu. Ils ont les machines, nous avons le peuple et des siècles de tradition révolutionnaire. Bloquons-tout, organisons-nous, libérons-nous.

Retrait de la réforme des retraites. Retrait du gouvernement Macron. Retrait de l’infrastructure techno-industrielle.

Tout bloquer devient vital. Rendons sa créativité à l’humanité.

« Au lieu du mot d’ordre conservateur : “Un salaire équitable pour une journée de travail équitable”, les prolétaires doivent inscrire sur leur drapeau le mot d’ordre révolutionnaire : “Abolition du salariat” »

– Karl Marx


  1. Peut-on vraiment se contenter du retrait d’une mesure d’une réforme alors que l’intégralité du système se mue en dystopie technologique, achevant par la même de détruire ce qu’il reste de nature et liberté humaine ? Est-ce vraiment judicieux de compter sur des manifestations pour contrer un système bien plus puissant que nous ? Chez ATR, nous pensons notre situation comme un conflit asymétrique dans lequel l’art de la stratégie ne doit pas être considéré à la légère : nos forces devraient plutôt se concentrer pour atteindre des objectifs décisifs.

  2. https://greenwashingeconomy.com/la-masse-des-productions-de-la-civilisation-industrielle-excede-la-biomasse-vivante/

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