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Revolutionary strategy

Planification écologique : le piège marxiste pour sauver la technocratie (4/4)

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S.C.
25
November
2024
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Keucheyan et Cedric Durand font l'éloge de l'éco-fascisme chinois
« Le grand recours, le grand espoir pour sauver la liberté réside dans cette théorie étonnante que l’opinion publique éclairée a le pouvoir d’orienter la décision des planificateurs vers la satisfaction de ses besoins réels. On aurait alors une planification démocratique, un collectivisme à base volontaire. On se meut ici, avec de tels raisonnements, dans le domaine du rêve. Et la bonne foi de ces intellectuels fait sérieusement songer à la pathologie.

On peut donc vraiment croire que si l’opinion publique désire de la pâtisserie, on orientera la planification dans ce sens, en sacrifiant tel autre usage de la farine (on nous parle en effet de choix et d’option) ? On peut vraiment croire que si l’opinion publique exige des chaussures alors qu’il faut des tracteurs on satisfera l’opinion publique ? Allons donc ! on dira alors que l’opinion ne sait pas vraiment de quoi elle a besoin… Et c’est le technicien qui décide. On connaît le mécanisme : d’abord des biens de production. Après, les biens de consommation. Et lorsque tout aura été décidé par le technicien, à la vérité on consultera l’opinion publique : “vous vouliez des étoffes de laine ? -. Mais non ! Techniquement, il fallait faire du coton. Vous vouliez des étoffes vertes ? – Impossible : pas d’aniline. Mais vous pouvez décider entre le rouge clair et le rouge foncé, voyez toute la liberté que vous avez !” En définitive, ces articles cherchent à baptiser liberté ce qui n’est qu’obéissance à la nécessité technique. Ils cherchent à voiler les contraintes et manifestent soit de l’aveuglement, soit de l’hypocrisie. »

– Jacques Ellul, La Technique ou l’Enjeu du siècle (1954)

L’économiste Cédric Durand et le sociologue Razmig Keucheyan ont récemment publié un livre intitulé Comment bifurquer. Les principes de la planification écologique (2024) aux éditions La Découverte. Nous avons disséqué l’ouvrage de ces technocrates marxistes-léninistes afin d’en proposer une critique en quatre actes.

Partie 1 : Le niveau zéro de la technocritique

Partie 2 : Greenwashing à la sauce communiste

Partie 3 : Illusion du contrôle et célébration de la puissance

Partie 4 : Les « leçons » de l’éco-fascisme chinois

Les « leçons » de l’éco-fascisme chinois

« La force des Chinois est qu’ils connaissent les limites et qu’ils savent comment les fixer. Si le pouvoir central dit : “Vous allez faire ceci”, tout le monde s’exécute[1]. »

– Jean-Marc Jancovici, ingénieur polytechnicien

Durand et Keucheyan présentent Otto Neurath, un philosophe, sociologue et économiste autrichien, comme « l’un des penseurs les plus originaux du XXe siècle » et « l’une des figures tutélaires » de leur livre. Ce Neurath est co-auteur d’un manifeste intitulé La conception scientifique du monde (1929) qui « vise une science unitaire », sympathique formule pour dire qu’elle a pour objectif l’éradication de tous les autres systèmes de connaissances. Il s’agit de rechercher « un système formulaire neutre, d'un symbolisme purifié des scories des langues historiques, de là aussi la recherche d'un système total de concepts ». Aussi, « la conception scientifique du monde ne connaît pas d'énigmes insolubles ». Une conception du monde qui, sous couvert de neutralité, s’autoproclame comme la vérité universelle tout en dépréciant les moyens traditionnels/empiriques d’accéder à la connaissance, ça ne peut évidemment accoucher que d’un paradis terrestre[2] !

Selon les deux auteurs, Neurath « considérait la guerre comme le fondement possible d’une nouvelle économie, non sur le calcul monétaire mais sur le calcul en nature ». L’autre nom du calcul en nature, c’est le rationnement « qui suppose souvent la réquisition ». Ce qui est éminemment démocratique comme chacun sait. Comme François Ruffin, nos deux éco-léninistes adorent l’économie de guerre, car « l’administration des prix est une première forme d’intrusion du politique dans les règles du marché ». L’État fixe les prix pour toutes sortes de biens de première nécessité : charbon, sucre, viande, patates, lait, etc. Durant la Première guerre mondiale, l’État va jusqu’à organiser la distribution de charbon dans Paris. L’allocation des ressources ne se fait plus en fonction du pouvoir d’achat mais en fonction des besoins : « l’être humain a un besoin – un besoin vital – de maintenir la température de son corps autour de 36,5 °C. Il lui faut pour cela une certaine quantité de charbon pour l’hiver. »

Que « la planification trouve l’une de ses origines dans les économies de guerre du XIXe siècle et surtout de la première moitié du XXe siècle » ne semble pas interpeller les deux auteurs. La planification et l’État sont « neutres », ce sont juste des « outils », voyez-vous. Si nous pensons que cela se rapproche quand même beaucoup du totalitarisme[3], c’est simplement qu’il nous manque encore un peu de bourrage de crâne marxiste.

Durand et Keucheyan ont des alliés pour faire avancer leur projet d’éco-totalitarisme. Ils se réfèrent au Shift Project, le think tank présidé par l’éco-technocrate Jean-Marc Jancovici, pour la définition du « calcul en nature » nécessaire au « gouvernement par les besoins » :

« Le PTEF [Plan de transformation de l’économie française] parle de tonnes, de watts, de personnes et de compétences. Mais il parle peu d’argent, et jamais comme d’une donnée d’entrée du problème posé : face à ce problème, l’épargne et la monnaie ne sont pas les facteurs limitants les plus sérieux[4]. »

Nos deux marxistes partagent un autre point en commun avec l’ingénieur polytechnicien Jancovici : une fascination pour le « miracle » accompli par la technocratie chinoise. Jancovici affirme par exemple que « le système chinois est mieux adapté que le système américain à un monde contraint[5] ». Il s’émerveille de voir la Chine construire 27 réacteurs nucléaires et en annoncer 11 supplémentaires, s’empressant de constater que « dans ce pays le réacteur est un produit industriel banal[6]». Jancovici va jusqu’à chanter les louanges de la Chine impériale et de son aristocratie composée d’ingénieurs hydrauliciens[7]. En parlant du nucléaire, le sujet est soigneusement évité par Durand et Keucheyan ; probablement parce que le programme de Mélenchon pour la dernière élection présidentielle promettait de « planifier la sortie du nucléaire[8] ».

Contrairement aux éco-léninistes, Jancovici a au moins le mérite d’être un peu plus honnête. Quand Jancovici martèle dans ses cours à l’École des mines de Paris que la démocratie est inefficace pour gérer la contrainte[9], Durand et Keucheyan écrivent : « la planification que nous appelons de nos vœux apparaît comme un espace démocratique ». Quand Jancovici déclare qu’« on ne peut matériellement pas fournir – et encore moins durablement – à 7,5 milliards de terriens le même niveau de consommation qu’un smicard français », Durand et Keucheyan affirment qu’il est non seulement possible mais souhaitable d’étendre des « conditions de vie décente » à la totalité de la population mondiale. 50 nuances d’étatisme. Par « vie décente », les insoumis entendent généraliser le mode de vie occidental à la planète entière : un four à gaz ou électrique et un réfrigérateur par foyer ; un logement de minimum 30 m² pour deux personnes et 10 m² par personne supplémentaire ; l’accès à l’électricité, au chauffage et/ou à la climatisation selon les régions ; le système de santé moderne pour tous ; des écoles partout pour un lavage de cerveau éco-léniniste dès le plus jeune âge ; un téléphone par personne ; un ordinateur et une télévision par foyer ; etc.

« Le calcul a été fait : ces standards pourraient être étendus à une population de 10 milliards d’êtres humains dans le respect des écosystèmes. Une température de 20°C par logement, 50 litres d’eau par jour par personne, entre 5 000 et 15 000 km de mobilité par an par personne, des soins médicaux généralisés, une éducation de qualité pour les 5 à 19 ans, un ordinateur par foyer : rien de tout cela n’est utopique. […] Conçue comme la généralisation de standards de vie décents soutenables sur le plan environnemental, l’écologie s’inscrit dans la grande épopée du progrès, un progrès enfin pensé à l’échelle de l’espèce humaine[10]. »

Si les technocrates ont fait des calculs compliqués sur leurs gros ordinateurs, cela doit sûrement être vrai ! Au-delà de ces promesses ineptes basées sur des abstractions statistiques, on se demande comment il est encore possible d’oser fanfaronner sur la « grande épopée du progrès » en 2024 au vu de la situation présente. La modernité industrielle coïncide avec la plus grande vague d’écocides, de génocides et d’ethnocides de l’histoire, avec la destruction des conditions qui rendent la vie possible sur Terre. Ce discours déconnecté sur le progrès indique l’appartenance de classe de Keucheyan et Durand. En effet, la notion de progrès est une invention récente à l’échelle de l’histoire, une mythologie conçue par les élites occidentales pour légitimer leur pouvoir[11].

Afin de réaliser la planification écologique dans les meilleures conditions, nos deux éco-léninistes, inspirés par les « leçons chinoises », prônent le fédéralisme comme régime politique :

« Notre défi : construire un fédéralisme écologique qui étende son emprise sur le fonctionnement de l’économie via la délibération sur les besoins[12]. »

Grâce au « polycentrisme », une « forme de gouvernance complexe avec des centres de décisions multiples, dont chacun opère avec un certain degré d’autonomie », il sera possible de « conjurer le risque de “dictature sur les besoins”, où des bureaucrates coupés de la société civile décident de ce qu’est un besoin essentiel ». Mais le Grand Planificateur aura toujours le dernier mot, « l’échelon le plus bas ne saurait être “imperméable” ». Parce que

« la satisfaction des besoins devra respecter les principes de soutenabilité et d’égalité. Il arrivera qu’ils le soient contre l’avis des personnes et des communautés. […] La politisation de l’économie suppose une dialectique sous contrainte entre l’échelon global et les échelons locaux[13]. »

Pour les auteurs, sur ce point « le cas de la Chine contemporaine est très instructif ». En effet, le parti communiste chinois « n’est pas un bloc monolithique : il fonctionne parfois comme un parlement, au sein duquel des options sont – plus ou moins pacifiquement – débattues et tranchées ». Le PCC a accompli des exploits, par exemple « des niveaux de croissance sans précédent dans l’histoire du capitalisme » ont été atteints depuis les années 1980. Durand et Keucheyan vantent l’« autoritarisme décentralisé » (sic) qui consiste à appliquer une réforme à l’échelle d’une province. L’avantage est que « cela permet de prendre des risques, mais aussi de corriger les erreurs avant de généraliser éventuellement le dispositif ». C’est un peu ce qui se passe avec les Ouïghours, une ethnie musulmane de 12 millions de personnes sur laquelle le PCC teste depuis plusieurs années son système de surveillance par intelligence artificielle et reconnaissance faciale[14]. Certains décrivent cela comme « le premier génocide technologique de l’histoire[15] », avec des « ablations de l’utérus, des avortements et la pose forcée de stérilet à des femmes ouïghoures par l’Etat chinois ». Au moins un millions de Ouïghours sont incarcérés dans des camps de travail et de rééducation[16]. Bel exemple. Serons-nous aussi des « erreurs à corriger » par Jean-Luc Mélenchon ?

Nos éco-léninistes encensent également l’existence d’une compétition entre provinces pour atteindre des objectifs fixés par le pouvoir central :

« Les niveaux inférieurs sont parfois mis en concurrence les uns avec les autres : le centre fixe un objectif – par exemple, l’amélioration de la qualité de l’air, catastrophique dans les métropoles de l’Est ; puis il revient à différentes provinces de trouver les moyens de le mettre en œuvre au mieux ou au plus vite. Après quoi, un classement des performances est rendu public. »

Cela permet de rendre les bureaucrates plus entreprenants en liant leurs résultats à des opportunités de carrière au sein du PCC. C’est pourquoi la concurrence existera encore après la « transition vers le socialisme », mais Keucheyan et Durand ne sont plus à une contradiction près. D’ailleurs ils dissimulent habilement le fait que leur « autoritarisme décentralisé » était déjà en place sous Mao, au moment du Grand Bond en avant, une politique qui s’est soldée par la plus grande famine de l’histoire de l’humanité (36 millions de morts[17]).

Selon les auteurs, la planification chinoise repose sur « trois conditions structurelles de possibilité » :

« La première est que l’État contrôle les “hauteurs stratégiques” – comme disait Lénine – de l’économie : banque, énergie, télécommunications ou transports. »

« La deuxième condition de possibilité de la planification chinoise tient au fait que, historiquement, il y a peu de division du travail entre les provinces chinoises, qu’elles sont relativement autonomes économiquement. »

« Troisième condition structurelle : le “flou de la propriété” (murkiness of ownership), comme dit Milanovic. À des degrés divers, le PCC contrôle toutes les formes de capitaux : moyens de production industriels, finances, foncier… Mais cette propriété publique s’entremêle avec d’autres, propriété communale et privée notamment – au point que les statistiques chinoises officielles ne distinguent pas nettement le secteur privé du secteur public, le capital étant toujours un peu entre les deux[18]. »

Après avoir encensé sur plusieurs pages l’éco-techno-fascisme chinois, Durand et Keucheyan rassurent le lecteur et précisent qu’« il n’est évidemment pas question ici pour nous d’ériger la Chine en modèle à suivre pour la mise en place d’un gouvernement par les besoins ». Mais bien sûr, une autre planification est possible, l’État et l’infrastructure industrielle sont neutres, etc. On commence à connaître la chanson. Ironiquement, les auteurs affirment quelques lignes plus loin que l’autoritarisme a progressé à cause de la « planification écologique » entreprise par le régime :

« La Chine a pris au début des années 2010 un tournant écologique, devenant le premier producteur au monde de panneaux solaires et de voitures électriques. […] Le tournant écologique a servi à renforcer l’autoritarisme au détriment de l’élément décentralisateur, donnant lieu à un “environnementalisme autoritaire[19]”. »

Après ces « leçons » éco-fascistes, les dernières pages du livre sont consacrées à l’élaboration théorique d’usines à gaz bureaucratiques censées atteindre l’efficacité de la planification chinoise tout en y introduisant, à tous les échelons, des délibérations démocratiques. Un enfumage d’une malhonnêteté intellectuelle qui dépasse l’entendement où, comme Jancovici[20], il est fait référence aux spécificités de la « planification à la française » d’après-guerre. Mais comme le rappelle l’historien Christophe Bonneuil, la planification à la française démarre avec Pétain : « au-delà des affichages traditionnalistes », « le régime de Vichy était en fait déjà dominé par des technocrates modernisateurs qui ont pensé le premier Plan ».

« Le mythe des Trente glorieuses a eu pour fonction, en réalité, de disqualifier toute critique du modèle de développement d’après-guerre en assimilant ces critiques au vichysme, au passé, à la réaction[21]. »

Parmi ces « technocrates modernisateurs » sous Vichy, il y avait René Dumont, qui sera en 1974 le premier candidat écofasciste... pardon, écologiste, à se présenter à une élection présidentielle[22]. Tout un symbole.

Rien n’est impossible dans le monde fantasmarxiste de Durand et Keucheyan. Le citoyen a même davantage de pouvoir que l’État.

« Le paradoxe est celui-ci : bien qu’il consiste en un élargissement de la sphère étatique, le service public limite le pouvoir de l’État, et augmente celui des citoyens. Pourquoi ? La création du service public implique un devoir pour l’État de satisfaire le besoin correspondant. Dans le cas contraire, le citoyen peut l’attaquer en justice, en invoquant cette branche du droit qui régit les relations entre le citoyen et l’administration qu’est le droit administratif. […] Le service public permet, pour ainsi dire, l’empowerment du citoyen. »

Bien sûr, comme avec « l’Affaire du siècle » ! L’État français a été attaqué par quatre associations écologistes pour « inaction climatique » puis contraint de leur verser un euro symbolique[23]. Très efficace d’attaquer l’État en justice. En outre, c’est mentir d’affirmer que la satisfaction de nos besoins par un tiers – l’État – donne davantage de pouvoir et d’autonomie aux citoyens. En réalité, les auteurs reproduisent la rhétorique libérale en substituant le marché par l’État. Ce qui donne du pouvoir, de l’autonomie et de la liberté, c’est de prendre en charge soi-même sa subsistance, comme l’a brillamment exposé le philosophe-jardinier Aurélien Berlan[24].

Les « commissions de post-croissance », « constitutions vertes » et « services publics » constituent la « colonne vertébrale » de la planification écologique selon Durand et Keucheyan. Pour eux, la post-croissance peut être découpée en trois temps : une première phase où l’on investit massivement dans les infrastructures « vertes », une seconde où ces nouvelles infrastructures permettent une « décroissance de l’empreinte matérielle de l’économie ». Durant ces deux premières phases, on ferme « les usines polluantes » et on démantèle les infrastructures obsolètes tout en allouant les ressources humaines aux secteurs utiles pour la bifurcation écologique. Quand la troisième phase arrive, l’économie atteint son stade de « post-croissance », « elle est “stationnaire”, la satisfaction des besoins est démocratiquement maîtrisée ». Ce qui n’empêche pas cette satisfaction d’évoluer en particulier grâce aux « innovations technologiques, mais toujours dans le respect des écosystèmes ». La continuation du progrès technique est non négociable et parfaitement compatible avec une planète habitable dans leur perspective éco-léniniste. Un greenwashing de gauche radicale.

Les auteurs se veulent rassurant pour l’éco-bourgeoisie : la bifurcation écologique ne signifie pas la fin de l’abondance matérielle. Citant l’éditorialiste du Guardian et « théoricien de l’écologie » George Monbiot, la bifurcation doit être guidée par le principe de « sobriété privée, luxe public (private sufficiency, public luxury) ».

« Il y aura du luxe, et même beaucoup. Mais il doit être contrôlé collectivement, et permettre ainsi la réduction de l’impact environnemental. De somptueuses piscines municipales plutôt que chacun sa piscine privée[25]. »

Rappelons tout de même au lecteur que George Monbiot est un véritable techno-fanatique qui se réjouit de voir l’agriculture « anéantie » par l’artificialisation totale de la production alimentaire[26]. Il célèbre la fabrication de nourriture sans plantes ni animaux[27], notamment à l’aide de la « fermentation de précision[28] » basée sur la biologie de synthèse. Le seul problème de ces merveilleuses technologies basées entre autres sur les OGM serait leur accaparement par le secteur privé. Sacré « théoricien de l’écologie » ce Monbiot. Le monde éco-industriel de Keucheyan, Durand et Monbiot ressemble beaucoup à l’Océania de George Orwell :

« On avait depuis longtemps reconnu que la seule base sûre de l’oligarchie est le collectivisme. La richesse et les privilèges sont plus facilement défendus quand on les possède ensemble. Ce que l’on a appelé l’“abolition de la propriété privée” signifiait, en fait, la concentration de la propriété entre beaucoup moins de mains qu’auparavant, mais avec cette différence que les nouveaux propriétaires formaient un groupe au lieu d’être une masse d’individus.

Aucun membre du Parti ne possède, individuellement, quoi que ce soit, sauf d’insignifiants objets personnels. Collectivement, le Parti possède tout en Océania, car il contrôle tout et dispose des produits comme il l’entend[29]. »

Sauver la technocratie

Dans la conclusion, Durand et Keucheyan se livrent à une analyse de classe pour estimer le degré de soutien potentiel à la planification écologique. Il est peu probable d’espérer du soutien des capitalistes, « les propriétaires du capital et les principaux récipiendaires des revenus financiers ». La bifurcation implique la dévalorisation de nombreux actifs pour certains, cela dit les auteurs laissent entendre que « certaines fractions directement liées à des technologies plus vertes peuvent s’en détacher ». En raison de leur surexposition aux risques environnementaux, les classes populaires (« ouvriers, employés, techniciens et personnes sans emploi ») pourraient soutenir fortement la planification écologique. Mais deux éléments viendraient contrebalancer cette anticipation : l’aversion pour l’incertitude allant de pair avec la vulnérabilité économique et « la distance vis-à-vis de l’expertise technico-scientifique et l’inaccessibilité des processus politiques ». Il faudra donc accompagner la planification d’une propagande massive – et non « d’une architecture démocratique robuste » comme le prétendent nos deux éco-léninistes – afin d’éduquer la populace en vue d’obtenir « une légitimité politique en acier trempé ».

En revanche, « les organisateurs sont, pour leur part, les plus susceptibles de soutenir » la planification écologique. Cette catégorie correspond aux « cadres qui, dans le secteur privé, gèrent les moyens de production et, dans le secteur public, conduisent l’action de l’État et des collectivités ».

« Du fait de leurs fonctions et de leurs compétences, les membres de ce groupe sont les plus directement branchés sur les enjeux politico-techniques concernant la crise écologique. […] S’ils sont moins vulnérables que les classes populaires aux conséquences des crises écologiques, ils sont davantage contraints que les capitalistes dans leur rapport au travail, notamment pour ce qui est de leur lieu d’activité et de résidence, et, de ce fait, plus exposés. Enfin, comme les compétences qui existent au sein de ce groupe peuvent être redéployées dans la transition et qu’il n’est pas concerné au premier chef par la dévalorisation du capital, ses membres peuvent se sentir relativement protégés par rapport aux risques de transformation[30]. »

Ce que font ici Durand et Keucheyan, c’est nous expliquer que la révolution écosocialiste se soldera par l’arrivée d’une nouvelle classe technocratique au pouvoir, celle des éco-technocrates. Ils trouveront des alliés précieux chez les éco-capitalistes qui investissent dans les technologies de décarbonation et les énergies renouvelables. Ils n’abandonneront évidemment pas les énergies fossiles indispensables à la production et au fonctionnement de leurs technologies « vertes » et « propres ». En définitive, le marxisme a déjà conduit par le passé – et conduira encore à l’avenir avec sa variante éco-léniniste portée par Durand et Keucheyan – à reproduire le pire système d’oppression et d’exploitation de l’histoire : le système techno-industriel. Définitivement, l’éco-léninisme est un éco-fascisme :

« L’écofascisme a l’avenir pour lui, et il pourrait être aussi bien le fait d’un régime totalitaire de gauche que de droite sous la pression de la nécessité. En effet, les gouvernements seront de plus en plus contraints d’agir pour gérer des ressources et un espace qui se raréfient. Déjà commence à se tisser ce filet de règlements assortis d’amendes et de prison qui protégera la nature contre son exploitation incontrôlée. La préservation du taux d'oxygène nécessaire à la vie ne pourra être assurée qu'en sacrifiant cet autre fluide vital : la liberté[31]. »


Dans la conclusion de leur ode au redwashing, les deux penseurs de la France Insoumise anticipent d’âpres luttes à venir pour assurer la reproduction de leur classe sociale :

« Ce ne sera pas un long fleuve tranquille : le temps presse et les vents contraires sont forts[32]. »

Ennemis technocrates, nous sommes les vents contraires. Préparez-vous à voir déferler la tempête du siècle.

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Footnote [1] — https://purple.fr/magazine/the-cosmos-issue-32/an-interview-with-jean-marc-janvovici/

 

Footnote [2] — Pour une critique de la science moderne, nous recommandons les ouvrages de Guillaume Carnino, L’invention de la science. La nouvelle religion de l’âge industriel (2015) et d’Arthur Guerber, La fabrique du progrès. Scientisme, système technicien et capitalisme vert (2022). Voir aussi les critiques de la science faites par le mathématicien Alexandre Grothendieck dans la revue Survivre, notamment l’article intitulé « La nouvelle Eglise universelle » disponible ici : https://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/grothendieck_survivre_-_notre_bibliothe_que_verte_no36.pdf

 

Footnote [3] — Pour rappel, voici quelques définitions du totalitarisme :

« Système politico-économique cherchant à imposer son mode de pensée considéré comme le seul possible. » (Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales)

« Le totalitarisme est un régime et système politique dans lequel existe un parti unique, n'admettant aucune opposition organisée, et où l'État tend à exercer une mainmise sur la totalité des activités de la société. Un tel système restreint l'opposition individuelle à l'État. Il exerce ainsi un degré extrêmement élevé de contrôle sur la vie publique et privée. Il est considéré comme la forme d'autoritarisme la plus extrême et la plus complète. » (Wikipédia)

« Système politique dans lequel l'État, au nom d'une idéologie, exerce une mainmise sur la totalité des activités individuelles. » (Larousse)

 

Footnote [4] — The Shift Project, Climat, crises : Le plan de transformation de l’économie française, 2022.

 

Footnote [5] — https://purple.fr/magazine/the-cosmos-issue-32/an-interview-with-jean-marc-janvovici/

 

Footnote [6] — https://www.linkedin.com/posts/jean-marc-jancovici_pendant-que-chez-nous-on-les-commande-par-activity-7231773747714617344-EXCp

 

Footnote [7] — Cité dans un article d’Hervé Kempf intitulé « Jean-Marc Jancovici, polytechnicien réactionnaire », paru dans Reporterre :

« La Chine serait un bon modèle de vision à long terme : pour faire accepter une réduction des émissions de 4 % par an, “un système de type chinois est-il un bon compromis ? Il n’est pas exclu que la réponse soit oui”. D’ailleurs, “la Chine est un pays d’ingénieurs, parce que l’aristocratie chinoise il y a quelques siècles, c’était les ingénieurs hydrauliciens, qui savaient organiser les adductions d’eau pour faire fonctionner les rizières”. »

https://reporterre.net/Jean-Marc-Jancovici-polytechnicien-reactionnaire

Footnote [8] — https://melenchon2022.fr/livrets-thematiques/energie/

 

Footnote [9] — https://jancovici.com/wp-content/uploads/2020/07/Jancovici_Mines_ParisTech_cours_5.pdf

Footnote [10] — Cédric Durand et Razmig Keucheyan, op. cit.

 

Footnote [11] — Theodore Kaczynski écrit dans La Société industrielle et son avenir (1995), en se référant à J.B. Bury, The Idea of Progress : An Inquiry into its Origin and Growth, que « l’enthousiasme pour le “progrès” est un phénomène propre à la société moderne : il ne semble pas avoir existé avant les environs du XVIIe siècle ».

Voir aussi Thomas C. Patterson, op cit. Voir par exemple cet extrait sur la notion de progrès :

« Dans De l’origine, antiquité, progrès, excellence et utilité de l’art politique (1568), l’écrivain Loys Le Roy utilise le verbe civiliser pour décrire le processus de progrès moral, intellectuel et social faisant passer d’un état primitif et naturel à une condition humaine supérieure. Le Roy et d’autres membres de l’intelligentsia de la cour considéraient que leur quotidien était évidemment supérieur aux temps passés ; ils croyaient en un développement cumulatif, linéaire et désirable. Aujourd’hui, la croyance selon laquelle les sociétés de l’Europe moderne sont plus avancées que celles qui les précèdent – qu’il existe une chose telle que le progrès – est tellement ancrée dans notre imaginaire qu’elle semble aller de soi ; mais à l’époque, elle était nouvelle. »

 

Footnote [12] — Cédric Durand et Razmig Keucheyan, op. cit.

 

Footnote [13] — Ibid.

 

Footnote [14] — https://www.bbc.com/afrique/monde-57270581

 

Footnote [15] — https://www.mediapart.fr/journal/international/280723/les-ouighours-sont-victimes-du-premier-genocide-technologique-de-l-histoire

 

Footnote [16] — https://www.lemonde.fr/international/article/2021/12/10/la-chine-est-responsable-d-un-genocide-des-ouigours-selon-des-experts-reunis-a-londres_6105455_3210.html

Footnote [17] — Voir cet extrait d’un article faisant une recension d’un ouvrage sur le sujet :

« Proclamé alors que la Chine sous-développée est bien incapable de s’en fournir les moyens, le paradis communiste repose sur le mensonge et le “vent de l’exagération” : contraints d’atteindre les objectifs insensés fixés par le Comité central, les responsables communistes locaux fabriquent des rendements miracles (des “satellites” ou des “spoutniks” cette fois empruntés au vocabulaire soviétique). Concurrence oblige, chacun s’efforce de faire mieux que le voisin et les plus zélés — les plus menteurs — vouent à la mort leurs administrés contraints de livrer à l’État des quotas de grains exorbitants fondés sur une production inexistante. »

https://laviedesidees.fr/Les-origines-des-grandes-famines

Footnote [18] — Cédric Durand et Razmig Keucheyan, op. cit.

 

Footnote [19] — Ibid.

Footnote [20] — Toujours dans cette interview : https://purple.fr/magazine/the-cosmos-issue-32/an-interview-with-jean-marc-janvovici/

« Après tout, historiquement les Français ont été les champions du monde de la planification à long terme. Quand vous regardez tous les grands systèmes – les transports, les hôpitaux, le système électrique – qui nécessitent une planification à long terme pour être bien gérés, nous avons souvent créé les meilleurs systèmes au monde. »

Footnote [21] — https://reporterre.net/Les-Trentes-Glorieuses-etaient

Footnote [22] — Céline Pessis, Sezin Topçu, Christophe Bonneuil, Une autre histoire des « Trente Glorieuses ». Modernisation, contestations et pollutions dans la France d'après-guerre, 2013.

Footnote [23] — https://www.liberation.fr/environnement/climat/affaire-du-siecle-un-premier-pas-symbolique-pour-le-climat-20210203_S7PTNXPV35D2VJG547UERLNFVU/

 

Footnote [24] — Aurélien Berlan, Terre et liberté. La quête d’autonomie contre le fantasme de délivrance, 2021.

 

Footnote [25] — Cédric Durand et Razmig Keucheyan, op. cit.

 

Footnote [26] — https://www.theguardian.com/commentisfree/2020/jan/08/lab-grown-food-destroy-farming-save-planet

Footnote [27] — https://www.theguardian.com/commentisfree/2018/oct/31/electric-food-sci-fi-diet-planet-food-animals-environment

Footnote [28] — https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/nov/24/green-technology-precision-fermentation-farming

Footnote [29] — George Orwell, 1984, 1949.

Footnote [30] —  Cédric Durand et Razmig Keucheyan, op. cit.

Footnote [31] — Bernard Charbonneau, Le Feu vert, 1980.

Footnote [32] — Cédric Durand et Razmig Keucheyan, op. cit.

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