handicapés non valides contre le progrès technique et scientifique

Handicapés contre le progrès !

Le démantèlement du système techno-industriel entraînerait presque certainement la fin du système de santé moderne. Pour cette raison, il est parfois reproché aux membres du mouvement anti-industriel de défendre le validisme, c’est-à-dire la discrimination envers les personnes en situation de handicap dépendantes de la technologie pour survivre au quotidien[1]. Ironiquement, dans leur écrasante majorité, ce sont des personnes valides qui profèrent ce type d’accusations. Dans le souci de donner la parole aux premières intéressées, nous avons traduit plusieurs textes de personnes souffrant de handicap qui réclament la chute de l’empire technologique.

Dans le vaste océan de la guerre sociale, certains rebelles – handicapés, fragiles ou en phase terminale – refusent de se soumettre à la victimisation de l’invalidité. Les bâtisseurs de ce monde tentent de les apaiser par des promesses de techno-assimilation et de conforts marchands. Mais ces rebelles – ces monstres – n’acceptent rien d’autre qu’une révolte hostile contre la machine à domestiquer…

Ce recueil compile les voix de certains de ces rebelles. Ensemble par ces textes, et individuellement dans leur vie quotidienne, ils conspirent pour défier le récit victimisateur et civilisateur du récit sur l’invalidité, tout en ciblant la civilisation elle-même.

La standardisation de la société de masse définit de force un nombre croissant de personnes comme « handicapées » si elles ne correspondent pas à une forme étroitement prescrite. L’ensemble des variations humaines considérées comme « normales » se rétrécit et ceux qui se trouvent en dehors sont stigmatisés, pathologisés, médicamentés et manipulés. La solution civilisée pour vivre avec des personnes aux capacités différentes consiste à traiter de larges segments de la population comme des horloges cassées nécessitant de nouvelles pièces ou un entretien régulier. Cette approche est conforme à la procédure standard de la civilisation qui consiste à considérer chaque problème humain comme un problème technique ; cela nous permet de nous décharger de notre responsabilité de prendre soin de ceux qui nous entourent en développant de nouveaux produits, en offrant de nouveaux services et en construisant de nouvelles infrastructures. Le besoin de relations est effacé. Ainsi, la civilisation nous permet de ne pas nous soucier de ceux qui pourraient avoir besoin d’aide. Autrement dit, la civilisation permet aux autres de ne pas se soucier de nous lorsque nous avons besoin d’aide.

– Ian E. Smith, « LA CIVILISATION STOPPERA VOTRE CROISSANCE : Défendre le primitivisme contre les accusations de validisme »

« Handicapé, Noir, Trans et Primitiviste ? Pourquoi je n’aime pas le récit pro-civilisation » par BLACK LUDDITE

Je crois que la civilisation et ses produits dérivés sont intrinsèquement limitants. En tant que personne étiquetée handicapée dans le monde moderne, je méprise la civilisation et ce qu’elle a fait aux gens comme moi. La gauche me qualifierait de fasciste, affirmant que je promeus l’eugénisme, la transphobie et le conservatisme social, alors que c’est à l’opposé de ce en quoi je crois. Le mouvement primitiviste, anti-gauche, anti-technologie et anti-civilisation est une libération pour ceux qui ne sont vus que comme des cases cochées sur un formulaire : les déchets de la société, les pécheurs, les Lucifer du monde ! Ces accusations reposent sur la sursocialisation des espaces de gauche, et le moralisme acritique qui s’ensuit. Ted Kaczynski a inventé le terme de sursocialisation ; il décrit sa manifestation comme suit : « [La personne sursocialisée] ne peut même pas avoir de pensées ou d’émotions proscrites par la morale commune sans culpabiliser ; elle ne peut avoir de pensées « impures » »[2]. Dans ce cas, la personne de gauche pense qu’en essayant de défendre les minorités (les personnes trans, handicapées, de couleur), elle se trouve sur un piédestal intouchable. Mais ce piédestal n’est pas infaillible.

La civilisation débute avec le développement de l’agriculture, passant de la collecte alimentaire des chasseurs-cueilleurs à la Révolution néolithique en Mésopotamie (vers 10 000 avant J.-C[3]). C’est là, je crois, que se trouvent les racines des problèmes humains.

Christopher Ryan, l’auteur de « Civilisés à en mourir », a écrit : « Nous avons tendance à confondre progrès et adaptation. L’adaptation – et par extension, l’évolution – ne présume pas qu’une espèce s’améliore en évoluant, mais simplement qu’elle devient mieux adaptée à son environnement… »[4] C’est à partir de là que le progrès dessert l’humanité. Le genre devient un facteur dominant car la vie sociale devient centrée autour de l’agriculture sédentaire, alors qu’auparavant, dans la société pré-civilisée, l’égalité était plus répandue. Les femmes étaient désormais considérées comme « inférieures » car leurs tâches n’étaient pas aussi physiquement laborieuses que celles des hommes[5] ; elles ont été reléguées d’une société plus égalitaire à une position confinée, considérées comme des êtres sexuels destinés à engendrer des héritiers pour des concepts métaphysiques comme la terre et l’héritage. De plus, cette époque marque le début des oppressions systémiques. Des classes sociales se forment à cause de la spécialisation du travail et de l’accumulation de ressources importantes (nourriture et eau). Vous pouvez remarquer qu’il y a déjà des niveaux incroyables de stress causés par l’adaptation à ce nouvel environnement stressant.

La civilisation a eu des « bénéfices ». Des progrès médicaux ont soigné ce qui était incurable, des progrès technologiques facilitent nos déplacements et communications, mais à quel prix ? Des millions de personnes de couleur partout traitées comme des merdes par des entreprises blanches ? Des milliers de personnes noires utilisées dans le sud comme cobayes sans leur consentement ? Ce vaccin que vous injectez dans votre bras n’aurait pu se faire sans le massacre de mes ancêtres.

De nombreux gauchistes refusent de reconnaître qu’ils viennent de milieux privilégiés et ne regardent pas la vue d’ensemble : ce qui a dû se produire pour que ce luxe existe. Ils peuvent proclamer leur soutien pour l’égalité des droits, mais ils oublient souvent que ceux qu’ils prétendent défendre sont exploités. Et je n’aborde même pas la question de l’environnement. Les gauchistes pensent-ils que leur « communisme de luxe entièrement automatisé » apparaît simplement en renversant le capitalisme ? Non, c’est idéaliste. Le seul moyen de réaliser ce fantasme passe par une destruction écologique totale. Détruire la planète juste pour aller dans l’espace ?

Mon parcours me donne un regard critique intéressant sur la civilisation et les événements qui en ont découlé. Je pourrais parler de l’esclavage de 10 millions d’Africains par des suprémacistes blancs chrétiens ; l’idée d’une « supériorité » basée sur quelque chose d’aussi superficiel que la couleur de peau est en grande partie le résultat de la civilisation. Je peux parler de l’idée validiste selon laquelle les différences mentales sont une maladie qu’il faut corriger pour correspondre à ce que l’extérieur attend de vous. Mes expériences traumatiques peuvent ne pas être les vôtres, mais n’est-il pas préoccupant de constater leurs récurrences chez les minorités (considérées « sous-citoyens ») ?

L’idée d’être un citoyen supérieur basée sur telle ou telle raison est débile et n’existe presque que dans la civilisation.

J’ai souffert de psychose pendant plus d’une décennie, je suis noir et transgenre. Je resterai critique envers la civilisation et le fléau qu’elle a eu et aura sur mon existence.

Les angoisses constantes de vivre en étant moi-même et la probabilité d’être maltraité ou agressé tourmentent mon esprit. Je suis fatigué de me sentir obligé de vivre dans cette si petite boîte où les Blancs capitalistes, chrétiens et cisgenres veulent que je sois. Ma psychose n’est pas qu’une déviation médicale par rapport à la « normalité » ; j’accepte ce titre et refuse d’être médicamenté par un système qui ne s’intéresse à moi que pour l’argent. Ma position anti-psychiatrique découle de la conviction que les humains ne devraient pas seulement être médicamentés pour résoudre leurs problèmes s’ils sont plus profonds que cela. Mon traumatisme a facilité ma psychose, mais je crois que les événements qui me sont arrivés sont le résultat de la vie dans un monde de stress, de surpopulation, d’oppression systémique, etc. Tous ces éléments sont distinctement le résultat de la civilisation et seraient impossibles dans une vie pré-civilisée. Mon identité de genre (et même le concept de genre) n’aurait pas joué un rôle si grand dans une société de chasseurs-cueilleurs. Le christianisme, par le biais de la colonisation et de la domination, a forcé des millions de personnes qui n’avaient pas de stricte binarité masculin/féminin à adhérer à leurs idées de genre et sexualité. Et être noir ? J’ai le monde contre moi pour quelque chose qui n’est qu’un simple hasard génétique.

À tous les communistes qui pensent que la civilisation et le progrès sont bénéfiques, je demande : qu’est-ce qui vous fait croire que le socialisme sera différent ? Un changement économique n’altère pas la structure de la civilisation et ce qu’elle produit. Je suis contre tout cela parce que je sais que le stress lié à mes immuables différences serait minime si je ne vivais pas dans un tel environnement. Mes ancêtres ont pu vivre des vies relativement paisibles, à l’abri de l’enfer fasciste qu’est le monde actuel. Je verrai toujours la civilisation comme un obstacle régressif par rapport aux vies autrefois vécues par les premiers Homo sapiens.

Mort au progrès ! Vive les minorités indésirables de ce monde ; nous embrassons l’anarchie et reprenons le contrôle de nos vies !
À bas l’ordre établi, ces professionnels ne font qu’aggraver mon désespoir. Non seulement ils ne m’aident pas, mais en plus, ils tirent profit, prestige, bonne conscience et pouvoir de leur participation active et insidieuse au contrôle de l’ensemble de la population.

Black Luddite


« Mon esprit et mon corps fracturés : une critique de la civilisation et de la médecine moderne » par Artxmis Graham Thoreau

C’est peu dire que vivre avec mes handicaps est difficile. Pas parce que je n’arrive pas à fonctionner dans ce monde toxique et standardisé – parce qu’on s’attend à ce que j’y arrive. Mes « problèmes » passent inaperçus pour ceux n’étant pas au courant. Cela reste presque toujours caché en moi. À l’intérieur de mon esprit et de mon corps fracturés. Je suis atteint d’Osteogenesis Imperfecta (OI) et de TDI – cela signifie que j’ai la maladie des os de verre ainsi qu’un trouble dissociatif de l’identité.

Non, ne mentionnez pas Split ou Glass de M. Night Shyamalan.

L’Osteogenesis Imperfecta a affaibli mes dents, détruit mes articulations et ravagé mes muscles. J’ai la chance de n’avoir jamais eu de fracture osseuse malgré ma vingtaine d’années. Certains sont tués enfants par ce handicap.

Le trouble dissociatif de l’identité se manifeste tôt chez ceux qui en souffrent. Il s’agit de la présence de deux états de personnalité distincts ou plus, accompagnés d’amnésie entre ces états. Par exemple, si je [Artxmis] suis aux commandes de mon corps, une autre identité peut ne pas être consciente de ce que j’ai fait, ressenti ou pensé pendant ce temps. Cela fonctionne dans les deux sens. Il y a des moments où j’ai des souvenirs manquants de quelques secondes ou de plusieurs mois. Je ne me souviens pas de la majorité de ma première année de lycée.

Tout cela combiné crée une souffrance presque invisible. Je peux avoir du mal à monter les escaliers et à maintenir des relations stables.

Mais je rejette toujours la civilisation, la technologie et la domestication.

Je célèbre toujours la Nature, appelle au retour à l’état sauvage et déteste la médecine moderne.

Je le fais, non pas parce que je me déteste ou que je suis validiste, bien au contraire. J’espère que ceux qui luttent contre des maladies mentales et physiques pourront trouver réconfort dans la Nature et danser sur les cendres de la Civilisation. Note : je ne pense pas qu’une randonnée guérisse la dépression.

La civilisation est une force de standardisation. Elle prend des individus et tente de les organiser, de les catégoriser et de les dominer. Elle présente également une gamme étroite de citoyens « idéaux ». Pour ceux qui ne rentrent pas dans cette catégorie, on leur propose deux options : assimilation ou exclusion. C’est souvent le rôle de la médecine moderne. Elle s’occupe de nombreux parias de la Civilisation. On peut la voir comme un système filtrant.

(Par médecine moderne, je fais référence dans la plupart des cas à la médecine occidentalisée/coloniale. Cependant, on peut argumenter que la Médecine, de manière générale, avec l’avènement de toute Civilisation, peut être critiquée de la manière ci-dessous.)

À mesure que la Civilisation se développe, elle a besoin d’une main-d’œuvre plus importante. C’est l’impact majeur de nombreux mouvements sociaux. Les droits des femmes, tout en accordant d’autres droits légaux et sociaux aux femmes, leur ont donné un accès plus large à la main-d’œuvre de la Civilisation. La médecine, dans sa forme moderne, agit de manière similaire. Si l’on ne peut pas s’adapter à la Civilisation [techno-capitalisme, société industrielle, expériences socialistes, etc.], on doit s’adapter.

En prenant en compte cette idée préalable, nous pouvons commencer à comprendre que la science moderne ne vise pas à aider ou à habiliter les gens, mais à les assimiler tous pour qu’ils deviennent profitables à la société dominante. Beaucoup mettent en avant les maladies génétiques ou des problèmes comme le cancer. L’Institut de l’évolution, entre autres, affirme qu’il existe une contradiction entre nos traits évolutifs et notre environnement contemporain. Le manque d’exposition aux bactéries et maladies pendant l’enfance a des conséquences dévastatrices sur notre système immunitaire. L’agriculture cause des problèmes à nos dents et à notre système digestif. La domestication des plantes et des animaux a créé de nouvelles maladies, auparavant inconnues de notre espèce.

Même les habitudes maternelles ont un effet sur le cancer du sein ! L’Institut de l’évolution affirme : « Les modes de reproduction modernes contribuent également au risque de cancer du sein. Dans les populations de chasseurs-cueilleurs, les femmes commencent généralement à avoir des enfants vers 18 ans, ont 5 enfants et arrêtent l’allaitement après 3 ans. C’est très différent des femmes d’aujourd’hui qui commencent généralement à avoir des enfants à 26 ans, ont en moyenne 1,86 enfant et arrêtent généralement d’allaiter après 6 mois. Nos ancêtres avaient probablement des schémas de reproduction similaires à ceux des chasseurs-cueilleurs actuels et avaient donc beaucoup moins de cycles menstruels que nous autres. Des schémas de reproduction modernes comme ceux-ci sont associés à un risque plus élevé de cancer du sein hormono-dépendant. »

En plus de ressentir les effets de la Civilisation pendant leur vie, certains peuvent même avoir une prédisposition aux maladies avant leur naissance. L’épigénétique est définie comme « l’étude des changements héréditaires dans l’expression des gènes (gènes actifs versus inactifs) qui ne sont pas liés à des changements de séquence d’ADN sous-jacente – un changement de phénotype sans changement de génotype – ce qui affecte ensuite la façon dont les cellules lisent les gènes », selon Qu’est-ce que l’épigénétique ?.

Par exemple, ceux qui vivent dans des zones urbaines denses, au contact de facteurs polluants tels que la pollution de l’air et de l’eau, sont plus prédisposés aux maladies cardiovasculaires et aux cancers. Cela est particulièrement vrai pour les communautés afro-américaines, selon un article de recherche de 2017 intitulé « Épigénétique et disparités en matière de santé ».

Un article de 2009, « Mécanismes épigénétiques dans la schizophrénie », indiquait que les environnements urbains jouaient un rôle dans les troubles psychotiques. L’article affirmait : « Les rapports indiquent que les psychoses semblent se regrouper dans les environnements urbains et dans les groupes socio-économiques inférieurs. Par exemple, les immigrants afro-caribéens au Royaume-Uni et surtout leurs descendants présentent un risque 10 fois plus important d’être atteint de schizophrénie, et les minorités ethniques au Royaume-Uni ont un taux d’incidence de schizophrénie au moins 3 fois supérieur. Ces observations ont conduit certains à proposer que la schizophrénie puisse être une maladie de transition épidémiologique, ou en d’autres termes, une maladie qui augmente son incidence au cours du développement d’une société. »

La médecine moderne est également une pratique centralisée. Elle tente de se limiter à un seul domaine de la société – « l’utilisation médicale réelle ». Par cela, j’entends une utilisation médicale comprise dans la conscience moderne. Vaccins, chirurgies avancées ou autres procédures médicales. Elle est également intégrée à une culture diversifiée et hiérarchisée – médecins de différentes spécialités, infirmières, aides-soignants, etc.

Opposez cela à la médecine pré-civilisée. Cette forme traversait les domaines de la cohésion sociale, tels que les pratiques religieuses et la résolution des conflits ; l’ethnobotanique et d’autres connaissances biogéographiques ; ainsi que l’« utilisation médicale réelle ». Les pratiques médicinales variaient d’une culture à l’autre, bien sûr. Elles pouvaient être entre les mains de médecins, de guérisseurs, de sorciers, de chamans et d’autres leaders spirituels, ou pouvaient être pratiquées par l’ensemble de la communauté. Certaines cultures accordaient plus d’importance aux cérémonies et à la magie, considérant les maladies comme étant liées aux esprits. D’autres utilisaient moins de pratiques religieuses et d’herboristerie.

La psychiatrie, malgré de nombreux avantages apparents, est axée sur la « réparation » des individus afin qu’ils puissent travailler. Les psychiatres sont comme des mécaniciens et des techniciens qui réparent des machines pour que l’usine continue de fonctionner. Certains affirment même que ce n’est pas une forme de médecine au sens propre, mais une institution sociale qui se cache sous le déguisement de la médecine moderne, utilisant sa glorification à ses propres fins.

Personnellement, j’ai toujours été une personne énergique. J’ai été diagnostiqué avec un Trouble Déficitaire de l’Attention avec Hyperactivité (TDAH) en première année d’école primaire et j’ai reçu un traitement médicamenteux. Bien que je sois trop jeune pour me rappeler les détails maintenant, ce diagnostic m’a vraiment blessé et a encore des effets durables. Beaucoup ont des histoires et des expériences similaires. Pour citer un penseur anti-technologie : « Dans notre société, le concept de « santé mentale » recouvre principalement la capacité d’un individu à se conformer aux besoins du système sans manifester de signes de stress. »

Comme d’autres l’ont soutenu, et comme je l’ai mentionné précédemment, la médecine civilisée, et peut-être toute la Science, n’est qu’une tendance visant à adapter les individus aux besoins de la Civilisation elle-même. Où cela s’arrête-t-il ? Des inventions comme CRISPR-Cas9 se présentent comme la solution aux prédispositions génétiques aux maladies, mais nous ne pouvons pas honnêtement admettre qu’elles seront utilisées uniquement à cette fin, et non à des fins racistes ou fascistes. Il n’est pas difficile d’imaginer ce que des leaders comme Hitler feraient avec un tel progrès.

En fait, j’invite les partisans de la psychiatrie et de la psychologie à enquêter sur l’usage qui en fut fait sous le régime du parti National-Socialiste en Allemagne. Le programme s’appelait « Loi de prévention d’une descendance atteinte de maladie héréditaire ». Il ciblait les personnes (et leurs enfants) atteintes de retard mental diagnostiqué, de schizophrénie, voire d’alcoolisme. Le plan « Action T4 » était le meurtre de masse systématique, par eugénisme, des patients des hôpitaux psychiatriques. Entre 270 000 et 300 000 personnes sont décédées. Des méthodes telles que les chambres à gaz ont été utilisées, posant les bases de l’Holocauste.

Des pratiques similaires existaient en dehors de l’Allemagne nazie, comme aux États-Unis au début des années 1900. Henry G. Goddard, psychologue américain et eugéniste, était l’un des nombreux à discuter du traitement des « inaptes » ou des « faibles d’esprit ». Pour lui, la ségrégation était le moyen principal pour éviter le mélange des « mauvais » gènes. D’autres personnes de son domaine prônaient des interdictions d’immigration, voire des exterminations. Souvent, les femmes vivant dans la pauvreté étaient vues comme les plus enclines à être « inaptes ».

Je ne vais pas mentir et prétendre que certaines cultures pré-civilisées n’ont pas maltraité, exclu ou négligé les personnes malades et/ou handicapées. Mon propos est de révéler que la médecine moderne est l’une des multiples tentatives pour résoudre les nombreuses contradictions de la société moderne, des contradictions entre notre évolution et notre environnement actuel. Je ne préconise pas non plus un retour idéaliste à la vie paléolithique. Il est tout à fait possible que la médecine future ressemble à une synthèse du passé et du présent.

Je ne peux pas non plus nier certains bienfaits de la médecine et de la science à notre époque. Mais les anarchistes n’accepteraient pas la police américaine au motif qu’elle fait aussi de bonnes choses comme arrêter des violeurs. Ils critiquent la police parce qu’elle maintient l’ordre du système dans son ensemble, et les quelques bienfaits en résultant sont une conséquence secondaire. Il en va de même pour la médecine moderne.

Artxmis Graham Thoreau


« appel à l’évasion folle » par queer cannibal collective[6]

nous ne pouvons pas travailler pour la machine ; la machine ne travaillera jamais pour nous

la domestication de l’humain-animal[7] est un processus central et fondamental de la civilisation, agissant comme force principale de sa continuation. sans la domestication continue des humains, la civilisation (y compris son actuelle domestication du reste du monde) ne pourrait se maintenir.

pour ceux qui cherchent à détruire la civilisation, le démantèlement de cette domestication est une nécessité. pour trouver le mouvement vers cette destruction, nous cherchons là où un défi surgit, interdit, de l’intérieur du monde civilisé. ici, nous voyons d’innombrables failles dans l’hégémonie de la domestication : la folie de ses sujets.

tandis que la domestication déforme l’humain-animal en humain-personne, il y a ceux qui sont incapables ou qui refusent de se conformer à ses exigences. ces incapacités et ces refus ont d’abord été taxonomisés comme des maladies de l’esprit, et maintenant mentales. quelque soit le paradigme, une faute est localisée chez des animaux particuliers[8]. nous sommes vus en silhouette ; les besoins non satisfaits et le désir désorienté ne sont vues que comme des aberrations. le terrain de la médecine sert donc à réduire des expériences innombrables à une poignée de diagnostics. les façons dont nous avons survécu jusqu’à présent dans ce monde, qu’elles aient bien fonctionné ou non, sont considérées comme des échecs à « vivre correctement ».

nous contestons cette affirmation. une incapacité à interagir joyeusement avec les mécanismes de la civilisation n’est pas une incapacité à vivre. nous n’échouons pas à apprendre lorsque nous ne pouvons pas être scolarisés ; nous n’échouons pas à nous autonomiser lorsque nous ne pouvons pas être employés. nous ne sommes pas isolés lorsque nous ne pouvons pas interagir avec le symbolique. au contraire ! c’est le fonctionnement même de ces mécanismes qui arrache la vie de nos vies, l’être de nos êtres, et nous laisse à la dérive dans l’abstraction d’un monde manufacturé, déconnecté de nos désirs. notre incapacité à y participer exige que nous cherchions autre chose. comment une pièce défectueuse peut trouver la vie dans une machine conçue pour nous priver de la nôtre ?

nous cherchons notre propre issue

une clarté surgit lorsque « ne peut pas » coïncide avec « ne pourra pas ». quand advient la réalisation totale de l’impossibilité de vivre dans ce monde, la turbulence du socio-politique se résout en une compréhension de notre statut et de nos ennemis.

il devient clair que par rapport à cette société, nous sommes une sorte d’ennemi. plus précisément, nous sommes le contre-exemple de la production réussie d’un humain-personne. nous sommes le déchet impénitent ; nous sommes en quelque sorte redoutables mais emphatiquement dégoûtants. nous sommes les « pas finis ».

d’après les institutions qui nous attaquent, il existe un remède. ils nous disent qu’existent des moyens d’accéder à ce merveilleux royaume – la représentation, l’acceptation, l’inclusion, une communauté. mais il n’y a pas de « santé » dans les modes de vie domestiqués. leurs paroles sont des mensonges : aucun merveilleux royaume n’existe, les travailleurs productifs aussi veulent se tuer, et nulle part ce terrain vague n’héberge de communauté.

malgré les tentatives institutionnelles d’assimilation et leur rhétorique d’inclusivité, il y aura toujours des laissés-pour-compte de la domestication. si ce n’est pas nous, si le moule est refait pour nous satisfaire, il y aura d’autres Autres. pour que l’internalité de la civilisation soit lisible, il doit y avoir un Dehors[9], et les fous occupent une position spécifique et singulière en tant que partie intégrante de celui-ci. nous sommes le Dehors qui s’ouvre de l’intérieur – nous sommes des trous dans l’Intérieur, des déchirures imprévisibles dans son tissu. lorsque l’illusion de la réalité s’étire à l’extrême et se casse, nous sommes ces espaces.

notre position à l’intérieur montre clairement que leur division entre le Dehors et l’Intérieur est une invention, une construction nécessaire aux fins de la civilisation. la division ne se reflète dans l’expérience vécue que dans la mesure où elle est imposée par la violence sociale. pourtant, ils ne peuvent pas la forcer à exister dans son intégralité : leur récit maintient l’hégémonie mais ne peut obscurcir complètement la masse vivante qui coule et fluctue en dessous.

il y a un monde au-delà du Monde des abstractions qui plane au-dessus de nous comme un linceul, essayant désespérément de cacher la vie pullulante et pustuleuse dont nous faisons partie depuis toujours. les humains-personnes travaillent sans relâche pour cloisonner cette vie (pour se barricader à l’Intérieur) mais, dans la folie, nous entrevoyons le monde au-delà du linceul. que nous le voulions ou non. dans notre capacité à résister à l’abstraction du monde, à nous prémunir de la représentation et du symbolique, à être aussi inutiles que possible pour la machine, nous cherchons la sortie de cette cage.

notre vécu dans ce monde, notre expérience en tant que ce que nous sommes, est indéniable. c’est peut-être la seule chose que nous ne pouvons nier. nous avons ici une opportunité ; de cette manière, les fous possèdent une sorte particulière de bénédiction. en ne nous conformant pas à l’effet d’amortissement et de guidage de la réalité sociale normative, nous sentons ce monde d’une manière que ceux complètement immergés dans la réalité ne peuvent.

notre savoir est douloureux. mais pour nous, serait-il moins douloureux de l’ignorer ? nous croyons qu’il est dans notre intérêt de mettre à profit notre expérience pour tenter de nous échapper de toutes façons possibles. si notre folie est un trou dans la domestication, nous devons résister aux forces qui poussent à nous refermer, à nous recoudre, à nous taire ; nous devons plutôt nous déchirer, déchirer le plus possible le tissu de l’Intérieur.

il n’y a pas de vie pour nous ici. pas en tant que ces créatures que nous sommes. pour vivre, nous devons embrasser la folie et nous entraider pour sortir.

queer cannibal collective


« Médecine Sauvage » par Ria Del Montana

Il y a trente ans qu’une maladie auto-immune est apparue dans mon sang. J’ai étudié les médicaments nocifs et artificiels et j’ai déchiré les ordonnances. Les rhumatologues, ces responsables du taux de décès le plus élevé par ordonnance, m’ont traité comme une hors-la-loi pour avoir refusé leur expertise. Ensuite, ils m’ont traité comme une curiosité lorsque j’expliquais comment les remèdes botaniques apaisaient mes maux. Ils se sentirent impuissants en me demandant d’épeler les noms des plantes à inscrire dans mon dossier.

Même si les soins modernes étaient sûrs et efficaces, la civilisation et la médecine collaborent pour distribuer suffisamment de « bienfaits » afin de maintenir l’ordre, gardant les strates « possédantes » bien séparées des « démunies ». La disparité des soins de santé institutionnels est une injonction de la civilisation à marcher droit, sinon vous aussi périrez dans la famine et la peste. Mais, comme les écoles et les emplois, la médecine est un subterfuge favorisant l’écocide de la civilisation, enraciné dans la croyance au progrès. Cette croyance est trop effrayante pour être considérée comme fausse, nous sommes pris au piège du progrès, comme s’il n’y avait pas d’autre option. Le progrès est devenu le seul monde que les humains connaissent.

Quel est le prix du progrès ? La médecine participe au carnage de la modernité envers la Terre et les animaux « démunis » – en torturant et tuant des animaux de laboratoire, en polluant les cours d’eau avec des médocs toxiques qui créent des mutations chez poissons et amphibiens, en souillant les terres par tonnes de déchets synthétiques. On nourrit les patients cardiaques avec des corps d’animaux abattus, nocifs pour leur santé, pour ensuite exiger davantage de médicaments et de chirurgies. Un engrenage bien huilé.

Ce n’est pas que je rejette automatiquement la médecine moderne. Je choisis intuitivement ce qui me convient. Un os cassé – d’accord, je prendrai un plâtre. Je me sens en droit d’exploiter la techno-dystopie comme je le souhaite. Elle a volé la connaissance sauvage des humains ainsi que leur foyer sauvage, où vivent aliments et remèdes naturels. Désastreuse, elle provoque une multitude de maladies et de décès humains et non humains, suscitant autant de confiance et de respect qu’un meurtrier sociopathe. De la pollution technologique aux accidents de voiture, des incendies domestiques et suicides par dépression aux catastrophes liées aux changements climatiques, la liste est interminable. Bien que le paysage pré-civilisation présentait un ensemble de risques et de dangers différents, les maux et les décès des premiers humains étaient dérisoires en comparaison.

A l’ère de Neandertal, les traitements efficaces de blessures et pathologies chroniques graves étaient répandus. Il y avait des individus avec des blessures et des maladies nécessitant des niveaux étendus de soins quotidiens pendant des mois, voire des années. Le Néandertalien de Feldhofer (~40 000 ans avant aujourd’hui) s’est remis d’une fracture sévère du bras nécessitant l’immobilisation de son membre et a reçu de la nourriture, de l’eau et une protection, ainsi que des soins à long terme pour une maladie chronique. Shanidar I (~45 000 ans avant aujourd’hui) a reçu des soins pour survivre au moins une décennie avec un bras atrophié, une jambe endommagée, probablement une cécité à l’œil et une perte d’audition. La Chapelle-aux-Saints (~60 000 ans avant aujourd’hui) a été soignée pour une arthrose sévère et une maladie systémique. Juste des compagnons bienveillants et des moyens primitifs. Pas besoin de commettre des carnages.

Les premiers humains s’occupaient aussi de leurs propres besoins médicaux. Par exemple, des anthropologues ont découvert un Néandertalien malade dans la grotte d’El Sidrón avec un abcès dentaire et un parasite intestinal causant des diarrhées. Des analyses d’ADN sur les aliments retrouvés dans le tartre dentaire ont révélé qu’il se nourrissait principalement de peupliers (Populus), qui contiennent de l’acide salicylique, un analgésique naturel et l’ingrédient actif de l’aspirine, ainsi que de plantes couvertes de moisissure Penicillium, l’antibiotique pénicilline. Les humains antérieurs, comme tous les autres animaux, trouvaient leurs remèdes et leurs stratégies de guérison grâce à des relations profondément affectueuses, à leurs instincts et à leurs sens primaires aiguisés qui s’émoussèrent sous l’effet de la civilisation.

La science doute et se moque de la sagesse primitive. La réactivation de la santé animale redonne le contrôle à l’écologie, rétablissant l’appartenance et la symbiose. Bien que les technologies médicales avancées surpassent les soins de santé d’autrefois, en particulier pour les enfants, combien de blessures et maladies sont causées par la technologie ? Et cela vaut-il le coût d’un techno-écocide pour tous ? Je sens que la plupart des animaux, y compris moi-même, préfèrent les soins sauvages et que notre terre et nos vies volées nous soient restituées. Le progrès rétorque : « est-ce que tu veux qu’un enfant meure d’une infection facile à traiter ? » Pas plus que je ne veux qu’un enfant soit tué par balle, qu’il ingère les pilules de mamie, ou qu’il se suicide à cause de ce que l’on fait à notre planète.

Ria Del Montana


  1. Il est aujourd’hui clairement établi par la communauté scientifique que de nouvelles maladies – les maladies dites de « civilisation » liées au mode de vie ou à l’empoisonnement chimique des biotopes (eau, terre, air) – sont en croissance exponentielle à travers le monde depuis plus d’un demi-siècle. Le système technologique nous rend de plus en plus malades et nous fournit des antidotes au poison qu’il distille. Une dépendance indigne étrangement qualifiée de « progrès » par Homo industrialis.

  2. Ted Kaczynski, La Société Industrielle et son avenir (Editions LIBRE)

  3. History.com, Neolithic Revolution : https://www.history.com/topics/prehistory/neolithic-revolution (Janvier 2018)

  4. Christopher Ryan, Civilisés à en mourir : le prix du progrès est depuis disponible aux Editions LIBRE

  5. Casper Worm Hansen et al., Gender Roles and Agricultural History: The Neolithic Inheritance.

  6. NdT : Le texte anglais est écrit sans majuscule en début de phrase, avec certains passages soulignés. Nous avons voulu respecter ce choix de mise en page.

  7. c’est-à-dire, la séparation de l’humain-animal du monde. la domestication humaine est réalisée grâce à l’abstraction de l’expérience réelle, y compris la division de cette expérience en un monde intérieur du moi et un monde extérieur des sens, la taxonomie de l’être et de l’action en formes calcifiées et régimentées (comme les innombrables itérations des formations identitaires qui dictent les façons acceptables/inacceptables de se relier – la division des animaux humains ou de leurs actions en moralement permis et moralement interdit, les innombrables méthodes développées pour déterminer la personne, etc. etc.).

  8. bien que l’opinion psychiatrique récente admette que certaines divergences spécifiques – la dépression, les troubles anxieux, etc. – peuvent être créées par les contextes de la vie, la responsabilité de « se réparer » repose toujours sur l’individu seul. l’objectif du traitement reste le même : devenir un membre productif de la civilisation. nous ne sommes pas satisfaits d’une « acceptation » libérale des divergences qui ne remet jamais en question les systèmes qui nous traumatisent. la psychiatrie prétend atténuer la douleur, mais elle n’arrête pas les saignements.

  9. par Dehors, nous entendons l’espace que la civilisation cherche à conquérir. le Dehors est la nature telle que le mot est généralement utilisé ; il englobe à la fois les ressources matérielles nécessaires pour poursuivre la production ainsi que l’espace symbolique qui doit exister afin de définir l’Intérieur. le Dehors est l’obscurité infiniment noire pour ceux qui sont assis auprès du feu. le Dehors est ce contre quoi les agents de l’ordre (militaires, policiers, médecins et tous les autres) protègent les bons citoyens.

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