AirTag, une technologie qui rend le techno-totalitarisme possible.

Le AirTag rend la techno-surveillance plus accessible

Un des derniers produits d’Apple, le traqueur AirTag, se targue de résoudre l’un des désagréments les plus frustrants du quotidien : l’égarement d’objets. Toutefois, outre son amas de nuisances environnementales, cette innovation peut être facilement utilisée à des fins criminelles.

Les AirTag, « innovation pratique »

Connaissez-vous AirTag ? Il s’agit d’une des dernières trouvailles de la bien connue marque américaine Apple. Ce sont des petites pastilles d’un peu plus de trois centimètres de diamètre, qui pèsent chacune onze grammes et remplissent la fonction de trackers.

Pour faire simple, un AirTag permet de localiser certains objets (clés, sac, voiture…) en cas d’égarement, de perte ou de vol. La localisation s’effectue par bluetooth, en usant d’autres iPhones comme de relais. On peut ensuite, avec son propre iPhone, localiser le AirTag – et donc l’objet. Il est possible de le repérer sur une carte ou de se faire guider plus précisément pour le retrouver dans un espace réduit.

Se délivrer de la recherche des clés, mais à quel prix ?

La technologie poursuit ainsi sa colonisation apparemment inexorable de notre quotidien. En conclusion de sa rubrique high tech, Le Parisien écrit que « le AirTag correspond à un besoin, ne plus perdre ses affaires, ce qui est bien le rôle d’une innovation pratique[1] ». Pour les fous de technique, leur iPhone doit désormais prendre en charge jusqu’à la recherche de leurs clés. Et tant pis si la délivrance fantasmée de ces tâches « pénibles » par la prolifération numérique nécessite une abondance de déchets et de pollutions en tous genres, extractivisme et esclavage moderne[2].

Pourquoi utiliser sa mémoire et/ou rechercher activement ses objets égarés quand une innovation technologique fait le travail à notre place ? Mieux vaut ajouter des AirTag à son arsenal technologique personnel (smartphone, tablette, montre connectée, écouteurs avec ou sans fil…) ! Mieux vaut nourrir la fuite en avant technologique et la destruction de nos conditions de vie sur Terre plutôt que de continuer à chercher – occasionnellement – ses clés !

La technologie vient se substituer à nos capacités cognitives et nous affaiblit. Le recours à la technologie amoindrit les capacités personnelles : en sous-traitant la recherche des clés (entre autres choses), on abandonne à la machine notre faculté de mémoire, dont on sait qu’elle se détériore quand elle n’est pas stimulée régulièrement.

Le techno-harcèlement accessible au grand public

Au-delà de ces considérations matérielles, qui devraient suffire à pousser tout un chacun à s’activer pour le démantèlement du système technologique dans son ensemble[3], on peut pointer les dangereuses implications de la commercialisation de ce gadget. Même les plus fervents amateurs de technologie dénoncent les nuisibles potentialités des AirTag. Ces dernières semaines, plusieurs articles et vidéos ont été publiés pour alerter sur le sujet[4]. Surprise : les trackers de clés peuvent être utilisés comme des trackers d’humains, et notamment de femmes.

De nombreuses personnes témoignent sur les réseaux sociaux de leur horreur en découvrant le mouchard dans leurs affaires personnelles. On imagine non sans frémir les potentialités de contrôle, de traçage et de violence qu’un tel appareil offre aux proches toxiques, aux conjoints violents, aux inconnus pervers… Aux États-Unis, un homme a d’ores et déjà été tué par une ex-compagne jalouse qui le traquait grâce à un AirTag[5].

Jacques Ellul avait depuis longtemps averti de l’ambivalence du progrès technique : chaque innovation charrie un ensemble inextricable d’effets, dont certains « imprévus » se révèlent extrêmement négatifs. La merveilleuse utopie technologique nous offre une nouvelle possibilité : elle démocratise le techno-harcèlement et la chasse à l’homme (ou à la femme) pour 35 euros pièce. Elle rend aussi possible une surveillance diffuse et constante de ses proches et laisse présager des possibilités futures de techno-contrôle horizontal.

« Pour dormir tranquille, achetez un iPhone »

Apple n’a pas manqué de communiquer sur ces effrayantes « dérives » de l’AirTag. L’entreprise a assuré que différents mécanismes étaient prévus pour empêcher un usage criminel, comme le suivi des personnes à leur insu. Un message d’avertissement est censé apparaître sur les iPhone à proximité d’un traqueur inconnu. Toutefois, de nombreux utilisateurs témoignent encore d’un délai important et cette fonctionnalité n’est pas disponible sur tous les portables, mais uniquement sur les iPhone dernier cri d’Apple.

Ce n’est que depuis très récemment que les smartphones Android (Samsung) sont en mesure de détecter des AirTag indésirables[6]. Aussi, il est frappant de constater qu’aucune réponse ne fait mention de celles et ceux qui ne posséderaient pas de smartphone. La seule option que nous laisse le système technologique pour se protéger (un minimum) de ce techno-harcèlement, c’est le recours aux mêmes technologies numériques pour les contrer. La technologie se rend inévitable ; il devient impossible de vivre sans.

Refuser les AirTag et démanteler le système technologique

Ainsi, les AirTag constituent une menace technologique supplémentaire pour l’autonomie et la liberté. Outre les dégâts environnementaux et sociaux inhérents à leur production, ces traqueurs nourrissent – par leur nécessaire ambivalence – l’insécurité en décuplant le pouvoir de nuisance de personnes toxiques, mal intentionnées et dangereuses.

Les AirTag dessinent aussi un horizon peu enviable : celui du contrôle de tous par chacun. Ce petit objet, insignifiant en apparence, illustre bien la marche du système technologique : pour assouvir un fantasme de délivrance de tâches quotidiennes[7] ou pour satisfaire un désir malsain de contrôle sur d’autres, les humains technophiles nourrissent une fuite en avant technologique qui détruit leurs propres conditions de vie et les met eux-mêmes en danger.

La hausse de la puissance technologique et son accessibilité croissante impliquent de fait une multiplication des capacités de nuisance. Quand les technosaloperies sont plus accessibles et plus performantes, les salopards sont plus nombreux et plus puissants. Aussi, lorsque la multiplication des technosaloperies dépasse un certain seuil, quand ces dernières commencent à faire partie du paysage, les comportements de salopards se normalisent. Ce n’est pas l’humain le nuisible, c’est le progrès technique qui l’abrutit, le déshumanise.

Seule et unique solution au problème : bannir les AirTag et démanteler le système technologique qui rend les traqueurs utiles et, probablement à moyen terme, inévitables.

T.S.


  1. https://www.leparisien.fr/high-tech/le-parisien-a-teste-les-airtags-dapple-un-accessoire-aussi-utile-que-couteux-pour-les-tetes-en-lair-26-04-2021-DCIATY3S6VAWDH4V2FXMNDNPDA.php

  2. Célia Izoard et Aurélien Berlan. « Dématérialisation – Le numérique est-il un paradis virtuel ou un bagne industriel ? » In Greenwashing, Manuel pour dépolluer le débat public. Anthropocène, Seuil, 2022.

  3. Rejoignez ATR !

  4. Par exemple chez Le Parisien « Les AirTag d’Apple détournés pour traquer des femmes : nos conseils si vous en retrouvez un » https://www.youtube.com/watch?v=pMbR2UL690s ; chez Konbini « AirTag caché : les astuces pour les détecter et s’en débarrasser ! » https://www.youtube.com/watch?v=cXB7olxog70 ; à BFM TV https://www.bfmtv.com/tech/apple/que-faire-si-vous-quelqu-un-vous-espionne-avec-un-air-tag_AV-202306140433.html ; ou France Info : https://www.francetvinfo.fr/societe/harcelement/harcelement-cinq-questions-sur-les-airtags-ces-mouchards-d-apple-dont-l-usage-detourne-est-denonce-sur-les-reseaux-sociaux_5887616.html

  5. https://lawandcrime.com/crime/woman-allegedly-ran-over-man-with-car-three-times-after-tracking-him-down-with-apple-airtag-and-accusing-him-of-cheating/

  6. https://www.bfmtv.com/tech/google/votre-smartphone-android-detecte-desormais-les-air-tags-caches_AV-202307280272.html

  7. Aurélien Berlan. Terre et liberté. La quête de l’autonomie contre le fantasme de la délivrance. La Lenteur, 2021.

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