Questions régulièrement adressées à ATR
"Le progrès se transforme aujourd’hui, d’une manière à proprement parler mathématique, en régression."
— Simone Weil, Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, 1934.
« Technophobe » est une expression absurde puisque l’être humain ne peut pas vivre sans technique, tout comme de nombreux autres animaux qui apprennent et se transmettent des techniques de génération en génération.
Nous nous opposons aux savoirs et moyens techniques de l’âge industriel uniquement. La vision du monde qui a enfanté le système industriel, la puissance et le gigantisme des moyens techniques de notre époque sont incompatibles avec les idéaux que nous défendons : autonomie locale, liberté, démocratie, dignité, valorisation de la condition terrestre, travail épanouissant et gratifiant, etc.
Le mode de vie dit « moderne » qui a émergé avec la première révolution industrielle repose sur la croissance. Alimenter en énergie et entretenir l’écosystème artificiel de machines au fondement du monde moderne nécessite :
· D’extraire toujours plus de matières premières ;
· D’artificialiser toujours plus de terres ;
· De rejeter toujours plus de substances toxiques dans l’air, l’eau et le sol.
Donnons un exemple avec le train, souvent présenté comme un moyen de transport écologique. Selon l’Ademe :
« SNCF Réseau est le propriétaire et le gestionnaire du réseau ferré national. La régénération et la maintenance génèrent chaque année d’importants gisements sur l’ensemble du territoire national : plus de 120 000 tonnes de rails, plus de 2 millions de tonnes de ballast, plus de 60 000 tonnes de traverses bois, plus de 300 000 tonnes de traverses béton, plus de 3 000 tonnes de câbles et fil de contact caténaire.
Sur les voies de chemin de fer, le complexe ballasté est la couche d’assise permettant la répartition des charges sur le sol et dans lequel sont enchâssées les traverses. Il est constitué par des granulats de roches massives anguleux et concassés. Soumis à de fortes pressions mécaniques, ce matériau a une durée de vie de l’ordre de 15 à 40 ans, en fonction des tonnages circulés et de la vitesse. Ainsi avec le renouvellement et la maintenance des voies chaque année, près de 2 millions de tonnes de ballast usagé doivent être valorisées. »
Pour extraire et déplacer de telles quantités de matériaux, il faut obligatoirement faire appel à d’innombrables machines, elles-mêmes grandes consommatrices de ressources et d’énergie.
La médecine moderne est totalement dépendante du système techno-industriel et donc du pétrole, que ce soit pour les transports (ambulances, hélicoptères, logistique), l’équipement et le matériel dans les hôpitaux (machines, objets à usage unique, emballages, plastique omniprésent, etc.) ou encore la fabrication de médicaments. D’après une étude, si « environ 3 % de la production pétrolière est utilisée pour la fabrication de produits pharmaceutiques, […] près de 99 % des matières premières et des réactifs pharmaceutiques proviennent de la pétrochimie. »
D’autre part, la médecine moderne a, comme de nombreuses disciplines scientifiques modernes étudiant le vivant, tendance à considérer le corps humain comme une machine composée d’engrenages et de pièces à réparer ou changer. C’est une vision extrêmement réductrice de la santé.
D’après Ivan Illich : « L’analyse des tendances de la morbidité montre que l’environnement général (notion qui inclut le mode de vie) est le premier déterminant de l’état de santé global de toute population. Ce sont l’alimentation, les conditions de logement et de travail, la cohésion du tissu social et les mécanismes culturels permettant de stabiliser la population qui jouent le rôle décisif dans la détermination de l’état de santé des adultes et de l’âge auquel ils ont tendance à mourir. »
Pour aller plus loin sur le thème de la santé, nous recommandons les textes et ouvrages suivants :
— « L’obsession de la santé parfaite » par Ivan Illich, Le Monde Diplomatique, 1999
— Némésis médical : l’expropriation de la santé (1974) par Ivan Illich
— Civilisés à en mourir : le prix du progrès (2018) par Christopher Ryan
— L’histoire du corps humain : évolution, dysévolution et nouvelles maladies (2013) par Daniel Lieberman
— Homo Confort : le prix à payer d’une vie sans efforts ni contraintes (2022) par Stefano Boni
— Dehors, les enfants ! Réapprendre aux enfants à jouer dehors et à oublier les tablettes (2018), par Angela J. Hanscom
En général, les personnes qui tiennent ce discours appartiennent à deux types :
— Soit elles pensent que le progrès technique est inéluctable, qu’il s’agirait d’une force naturelle à laquelle il serait vain d’opposer une résistance ;
— Soit elles pensent qu’il faudrait démanteler le système, mais sont résignées en raison de l’apathie générale, de l’immensité de la tâche.
Dans le premier cas, cet avis se base sur le postulat que le progrès technique serait neutre. Or c’est faux. Chaque culture, chaque civilisation développe des techniques qui lui sont propres en fonction de sa conception de l’univers, de sa manière d’envisager les rapports aux choses et aux êtres. La technique est toujours politique, elle n’est jamais neutre.
Dans le second cas, il suffit d’étudier les mouvements de résistance historique, de la résistance française sous l’occupation allemande en passant par l’ANC de Mandela, la révolution russe ou irlandaise, ou encore les résistances anticoloniales au Vietnam et ailleurs, pour constater que la situation actuelle n’est en rien nouvelle. Peu importe l’époque et le lieu, les résistants appartiennent toujours au début à une minorité de la population.
Nous ne souhaitons la mort de personne, notre organisation est non violente. Personne ne sait dire combien de personnes dépendent pour leur survie du système technologique ni combien pourraient vivre sur Terre sans ce système. D’après l’économiste Hélène Tordjman dans son livre La croissance verte contre la nature :
« L’agriculture paysanne produit 70 à 75 % de la nourriture consommée mondialement sur un quart des terres cultivées, alors que l’agriculture industrielle en produit de 25 à 30 % sur trois quarts des terres cultivées. »
Comme nous l’avons déjà mentionné ailleurs, l’association Terre de liens estime que le territoire de la France suffirait à nourrir la population autochtone.
En théorie, il serait possible que les dirigeants des États, des industries, des partis politiques, des syndicats, des administrations se mettent d’accord sur la nécessité vitale de cesser le développement technoscientifique puis de démanteler le système industriel. Les gouvernements mettraient ensuite en place un plan de démantèlement des infrastructures, procéderaient à une distribution des terres et délégueraient peu à peu leur pouvoir aux communautés locales. En pratique, nous savons tous que ça n’arrivera jamais. Même dans le cas très hypothétique où un dirigeant politique réussirait à se faire élire sur un tel programme, il y aurait toujours des organisations pour saboter sa réalisation ou éliminer le leader en question. Cela suppose un rapport de force avec le pouvoir. Plus son hégémonie sera menacée, plus il réagira violemment.
C’est simple, soit nous ouvrons le débat sur le démantèlement du système industriel et commençons à discuter des meilleures façons de procéder pour limiter les aléas qui s’en suivraient ; soit la poursuite du développement technoscientifique rendra la Terre de plus en plus hostile à la vie, et provoquera de façon quasi certaine la mort de milliards d’êtres humains et probablement la disparition complète de la plupart des formes de vie complexes si la biosphère venait à être trop endommagée.
C’est le genre de mensonges colportés encore aujourd’hui, en 2022, par des gens qui se prétendent écologistes. Une société techniquement avancée recherche la puissance, donc elle ne peut pas être égalitaire ni démocratique, et encore moins soutenable sur le plan de la consommation des ressources. Ça n’a jamais été le cas par le passé, et ça n’arrivera pas non plus à l’avenir. La plupart des prétendus « progrès » réalisés avec l’industrialisation sont en fait une amélioration d’une situation dégradée au départ par l’essor des États modernes, du capitalisme marchand puis du capitalisme industriel.
Pour nous, la « barbarie » c’est utiliser des explosifs, des excavatrices et des camions géants pour arracher chaque année des dizaines de milliards de tonnes de matières à l’écorce terrestre. Pour nous, la « barbarie » c’est recouvrir la terre nourricière de béton et d’asphalte et remplacer les paysages vivants et diversifiés par des monocultures industrielles uniformes. Pour nous, la « barbarie » c’est la contamination des fœtus humains et non humains avec des composants perfluorés, du plastique et des nanoparticules. Pour nous, la « barbarie », c’est détruire les communautés paysannes autonomes du monde entier au nom du « progrès » et du « développement ». Pour nous, la « barbarie » c’est l’esclavage qui n’a jamais cessé de croître (40 millions de personnes touchées, principalement des femmes et des enfants) et le travail forcé qui touche 160 millions d’enfants dans le monde.
C’est principalement pour cette raison que le mouvement anti-technologie doit devenir mondial. C’est pourquoi nous invitons nos frères et sœurs Russes, Chinois, Indiens, Brésiliens, États-Uniens, etc., à s’unir pour combattre le système technologique dans leurs zones géographiques respectives.
Rappelons que la conservation du système industriel et des États-nations modernes nous mène droit à un affrontement militaire entre grandes puissances qui sont en concurrence les unes avec les autres pour l’hégémonie planétaire. Le conflit Russie-Ukraine est une simple mise en bouche. Avez-vous envie d’être les premiers humains sur Terre à subir un hiver nucléaire ?
Notre organisation rejette l’opposition classique entre gauche et droite, car elle nous maintient dans l’ornière industrielle. Obsession pour la quête de puissance afin de pousser l’exploitation de la nature à son paroxysme, désir de délivrance de la condition humaine terrestre par des moyens techniques, ou encore aveuglement sur la neutralité de la technique, autant de caractéristiques partagées (à gauche comme à droite) qui expliquent pourquoi nous rejetons les clivages politiques conventionnels (voir le principe n°9 du Résistant).
De l’extrême gauche à l’extrême droite, on retrouve un même culte de la technologie. Assimilant l’existence terrestre à un fardeau et partant du postulat trompeur que la technique serait neutre politiquement, les premiers rêvent d’utiliser la technologie pour s’émanciper de la condition humaine. Obsédés par la puissance, les seconds rêvent d’asservir les peuples et la nature en faisant appel à la puissance technique.
Nous en sommes conscients. Nous ne prétendons pas apporter une solution magique capable de régler comme par enchantement tous les problèmes du monde. Il s’agit d’empêcher l’humanité de s’autodétruire et de poser les bases techniques qui favoriseront l’autonomie, la démocratie et la liberté.
Si nous partageons nombre de ses analyses très lucides sur le système technologique, nous ne cautionnons absolument pas ses actes. Ce n’est pas en s’attaquant à des individus isolés qu’on changera quoi que ce soit à la dynamique mortifère du système technologique. Kaczynski a lui-même avoué avoir agi impulsivement, sans vraiment réfléchir, sans chercher à construire une force politique. Ayant appris de ses erreurs, il encourage aujourd’hui ses lecteurs à s’organiser politiquement dans son livre Révolution Anti-Tech : pourquoi et comment.
ATR est une organisation non violente engagée dans des activités légales. Cela dit nous comprenons que des activistes exaspérés et des communautés locales persécutées, un peu partout dans le monde, emploient des moyens violents pour répondre à la violence du pouvoir.
Pour résumer, nous ne sommes ni pour ni contre la violence. Nous n’avons pas pour rôle de dicter leur attitude à des individus faisant face à une situation tragique sur leurs propres terres. Il faudrait être à la fois d’une arrogance extrême et d’une naïveté confondante pour imaginer pouvoir imposer une façon uniforme de combattre le système.
Un monde regorgeant de vie, un monde où le raffut incessant des machines serait remplacé par le chant des oiseaux, la mélodie du ruisseau, le hurlement des loups et le brame du cerf. Et puis si on manque d’imagination, il suffit de se renseigner sur les peuples autochtones et les communautés paysannes du Sud global qui vivent pour certaines encore à l’écart des flux d’échanges mondiaux. Leur existence quotidienne est (très) loin de ressembler au calvaire décrit dans le récit civilisationnel dominant matraqué en Occident depuis l’école élémentaire, et tout au long de la vie par les médias et l’industrie du divertissement.
Nous défendons la réappropriation des moyens de subsistance par les populations locales. Nous souhaitons que les gens soient capables de se nourrir convenablement par eux-mêmes, en toute autonomie, en choisissant librement les modes de subsistance adaptés aux ressources disponibles dans leur aire géographique. Agro-écologie, agro-foresterie, jardins forêt et permacole, chasse et pêche à l’aide de techniques traditionnelles (low tech), pastoralisme, petit élevage, etc., les possibilités et les combinaisons sont infinies.
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