Exosquelettes : adapter l’humain à un monde inhumain
Après les trottinettes et les vélos à assistance électrique, les exosquelettes de loisir s’ajoutent à la longue liste de technosaloperies responsables de l’épidémie planétaire de maladies de civilisation[1]. Les exosquelettes dits de loisir sont conçus pour soulager les contraintes d’un effort physique et optimiser la performance, que ce soit pour se rendre au travail ou pour randonner. Leur fonctionnement s’inspire de celui des exosquelettes industriels, militaires et médicaux, en plus léger et high-tech. Par sa démocratisation, cette innovation va poursuivre l’œuvre de la classe technocratique. En dégradant continuellement la santé et l’environnement des humains, la technocratie détruit l’autonomie des corps et par là même stimule la croissance des palliatifs industriels et autres prothèses technologiques.
L’exosquelette, nouvelle technosaloperie à combattre
Voici la dernière tendance technologique en vogue : l’exosquelette de loisir ProX développé par la société chinoise Hypershell qui permet de randonner ou courir sans ressentir le poids d’un sac à dos de 30 kilos[2]. Présenté lors du CES 2024 à Las Vegas, ce dispositif externe au corps va délivrer l’équivalent de 800 watts de puissance motrice dans les jambes de son utilisateur via une articulation motorisée et huit autres articulations passives. Afin d’anticiper et de s’adapter aux mouvements, l’exosquelette est également doté d’une intelligence artificielle (IA) intégrée censée analyser et apprendre des différents modes de marche. Cette technosaloperie est annoncée à des tarifs allant de 600 à 1300 dollars. Enfin, sa batterie au lithium à haute teneur en polymère permettra d’étendre l’autonomie jusqu’à 25 voire 35 kilomètres[3].
Cet exosquelette est vanté comme la solution aux douleurs articulaires et musculaires rencontrées pendant des trails ou randonnées. L’École Polytechnique Fédérale de Lausanne a par ailleurs développé le même type d’exosquelette (nommé Wiite) afin de permettre à une personne atteinte d’une lésion complète de la moelle épinière de se lever, de marcher « et surtout de faire de la randonnée à ski »[4].
Une innovation pour adapter l’humain au système industriel
Avant que les exosquelettes soient considérés comme une innovation lucrative de loisir pour les ingénieurs et les entreprises, ils ont été imaginés pour accroître la performance dans le cadre du travail en usine. Du côté des forces armées, il s’agissait de créer des soldats augmentés.
Dans les secteurs industriels, de plus en plus de robots sont utilisés depuis les années 1950/1960. Les machines deviennent de plus en plus performantes au fur et à mesure des progrès technologiques. Les ouvriers n’arrivent plus à suivre le rythme de travail infernal et représentent un coût pour les patrons. Dans les années 2010, sous couvert d’aide à la rééducation et aux personnes âgées ou de sécurité sur le lieu de travail (notamment pour éviter les troubles musculosquelettiques (TMS)), le développement de ces dispositifs d’assistance physique (DAP) deviennent une priorité pour le Japon, l’Europe et les États-Unis[5]. Derrière les objectifs pseudo-humanistes mentionnés par la propagande, la logique marchande reste dominante, comme l’affiche le professeur Kazerooni, directeur du Berkeley Robotics and Human Engineering Laboratory de l’université de Californie. Puisque la fatigue musculaire diminue, les directeurs d’usine « obtiennent une meilleure productivité, […] leurs coûts d’assurance sont moins élevés et il y a moins de jours de travail perdus pour cause de blessure [6] ». La solution à l’épuisement et à l’esclavage des travailleurs industriels est d’en faire des robots, pas de remettre en cause les moyens de production dans la société industrielle.
C’est un vieux fantasme militaire que de créer un véritable supersoldat. Serge Zaroodny, chercheur de l’armée américaine, l’imaginait en 1963 sous la forme d’un robot qui permettrait aux soldats d’acquérir la force de Hulk[7]. Quand la technologie est devenue plus mature, l’agence américaine de la défense (DARPA ou Defense Advanced Research Projects Agency) a lancé en 2000 le programme « Exosquelettes pour l'augmentation des performances humaines » (Exoskeletons for Human Performance Augmentation)[8] qui a donné en 2008 le prototype ‘Iron Man’ : XOS 2.
L’exosquelette est un énième exemple d’innovation militaire et industrielle qui débarque dans la vie civile. Les technocrates doivent leur trouver une utilité nouvelle et conquérir de nouveaux marchés. Le délire prométhéen continue : d’abord augmenter les performances lors de la course et de la marche avec le nouvel exosquelette de loisir ProX, en attendant le jour où toutes nos tâches quotidiennes, sportives ou de loisir s’effectueront avec des exosquelettes[9] (« on pourra louer des exosquelettes dans des magasins de bricolage »).
Les exosquelettes vont accélérer la destruction des conditions de survie humaine
En plus de provenir d’une logique marchande condamnant l’homme à être un éternel rouage de la mégamachine, les exosquelettes de loisir vont profondément changer notre activité physique et augmenter la sédentarité. L’Institut national de recherche et de sécurité (INRS) prend en compte dans l’utilisation d’un exosquelette au travail des risques de postures contraignantes, de stress, de fatigue cognitive par la surcharge informationnelle ou enfin des risques de perte d’équilibre ou de chute[10]. Mais si les exosquelettes de loisir venaient à devenir un objet de consommation courant, il ne fait aucun doute que les maladies civilisationnelles vont devenir encore plus répandues. L’Organisation mondiale de la santé rappelait en juin 2022 que 1,8 milliard d’adultes étaient exposés à un risque de maladie en raison d’un manque d’activité physique (maladies cardiovasculaires, diabète, démence et cancers[11]). Le lien entre obésité et sédentarité étant internationalement reconnu par les communautés de chercheurs et chercheuses, ce ne sont évidemment pas les exosquelettes de loisir qui vont diminuer nos chances de souffrir puis de mourir de ces maladies. Cette nouvelle technologie va au contraire aggraver une situation sanitaire déjà très préoccupante.
Les dommages sur notre santé liés à l’usage de ces exosquelettes dans la vie de tous les jours sont indissociables des dommages de la technologie en elle-même. La massification de la production des exosquelettes implique l’accroissement de la « même infrastructure de production énergivore et polluante, et la même organisation sociale basée sur la hiérarchie et la parcellisation des tâches » (Aurélien Berlan[12]). Puisque ces technologies nécessitent de s’adapter au porteur, les capteurs utilisés seront de plus en plus petits et high-tech, en plus d’être connectés à l’IA. La création du besoin absurde d’un exosquelette de loisir nécessitant toujours plus d’IA accélérera l’ensemble du désastre écologique, sanitaire et social déjà en cours.
Instrumentaliser les personnes non valides pour obtenir le consentement
Comme à son habitude, la technocratie utilise un argumentaire sanitaire afin d’obtenir le consentement de la population pour le déploiement de technologies de rupture. C’est même une consigne explicite dans le milieu des fanatiques de la machine[13]. La publicité faite par les technocrates des exosquelettes exploite sournoisement les personnes non valides pour obtenir l’acceptation de l’opinion publique et vendre l’innovation. Les exosquelettes sont vantés comme des outils révolutionnaires aidant au processus de réhabilitation physique des personnes ayant un handicap moteur. Pour preuve, lors des Jeux olympiques 2024, la propagande technocratique a livré en spectacle le joueur de paratennis Kevin Piette devenu paraplégique suite à un accident de moto.
Évidemment, personne pour rappeler que Kévin n’aurait jamais eu les jambes paralysées sans les routes, sans les motos et les voitures – en gros sans le système techno-industriel. Personne non plus pour rappeler que les personnes non valides sont rendues dépendantes à des entreprises, c’est-à-dire au capitalisme industriel, par ces innovations technologiques. Autrefois, les personnes non valides étaient prises en charge par leurs proches et leur entourage, aujourd’hui c’est le marché et la technologie qui s’en chargent. L’innovation, c’est surtout du progrès dans l’inhumanité. Par ailleurs, cette dépendance se manifeste par le prix pharaonique des nouvelles technologies qui vient s’ajouter aux inégalités croissantes d’accès aux soins pour les personnes économiquement précaires[15]. On retrouve également la logique purement marchande du déploiement des exosquelettes qui vise le maintien dans l’emploi de personnes en situation de handicap[16]. En d’autres termes, la technocratie conserve la « santé » des rouages humains pour optimiser le fonctionnement de la mégamachine industrielle.
Les exosquelettes de loisir vont élargir le spectre des personnes non valides (vieillesse, perte musculaire) pour ouvrir continuellement de nouveaux débouchés. Comme le mentionne une personne en situation de handicap :
« la solution civilisée pour vivre avec des personnes aux capacités différentes consiste à traiter de larges segments de la population comme des horloges cassées nécessitant de nouvelles pièces ou un entretien particulier […] cela nous permet de nous décharger de notre responsabilité de prendre soin de ceux qui nous entourent en développant de nouveaux produits. »
L’exosquelette, c’est la dernière solution de la technocratie pour remédier à des corps humains de plus en plus défaillants, de plus en plus inadaptés aux besoins du système technologique. En définitive, les exosquelettes sont la suite logique des progrès industriels imposés à l’espèce humaine par la technocratie depuis maintenant deux siècles. L’artificialisation croissante de notre environnement quotidien en fait un milieu de plus en plus hostile, de plus en plus inhumain. Ceux qui s’augmenteront survivront, les autres seront simplement éradiqués par sélection artificielle. Ce projet de société eugéniste, nous n’en voulons pas, c’est pourquoi la révolution est nécessaire.
Footnote [1] — Les maladies dites « de civilisation » sont définies comme des maladies liées au mode de vie, donc à des facteurs environnementaux. Ces maladies se développent avec l’industrialisation, avec le progrès technologique, et touchent presque uniquement les populations des pays industrialisés.
Footnote [3] — https://www.hypershell.tech/
Footnote [4] — https://www.rts.ch/info/sciences-tech/11273714-un-exosquelette-developpe-par-lepfl-permet-la-randonnee-a-ski.html
Footnote [5] — Comment la robotique change le monde : des usines aux maisons, et jusqu'à nos corps (theconversation.com)
Footnote [6] — https://www.bbc.com/afrique/monde-56726393 16 avril 2021
Footnote [7] — https://www.popsci.com/scitech/article/2008-04/building-real-iron-man/
Footnote [8] — https://www.army-technology.com/projects/raytheon-xos-2-exoskeleton-us/?cf-view
Footnote [9] — https://www.francetvinfo.fr/replay-radio/aujourd-hui-c-est-demain/exosquelettes-bientot-une-assistance-motorisee-pour-la-rando-ou-le-trail_6486707.html 29 avril 2024
Footnote [10] — https://www.inrs.fr/risques/exosquelettes/ce-qu-il-faut-retenir.html
Footnote [11] — https://www.who.int/fr/news/item/26-06-2024-nearly-1.8-billion-adults-at-risk-of-disease-from-not-doing-enough-physical-activity
Footnote [12] — https://lesamisdebartleby.wordpress.com/2022/10/16/aurelien-berlan-postface-a-du-satori-a-la-silicon-valley-de-theodore-roszak/
Footnote [13] — Voir Pièces et main d’œuvre, Manifeste des chimpanzés du futur contre le transhumanisme, 2017. On peut y lire les déclarations d’une figure influente du mouvement transhumaniste, Aubrey de Grey : « Mieux vaut ne pas parler du transhumanisme et provoquer des débats inutiles : je préfère dire que je ne fais que poursuivre la recherche médicale comme on l’a toujours fait. » Quant à Geneviève Fioraso, ancienne ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur, elle encourage explicitement à exploiter les personnes souffrantes à des fins de propagande : « La santé, c’est incontestable. Lorsque vous avez des oppositions à certaines technologies et que vous faites témoigner des associations de malades, tout le monde adhère. »
Footnote [15] — Deux exosquelettes présentés dans cette vidéo coûtent respectivement 6 000 euros (exosquelette de travail) et 200 000 euros destiné à un patient atteint de sclérose en plaques. La version commercialisée coûtera le prix d’une voiture moyenne. https://www.tf1info.fr/high-tech/video-sante-bientot-des-exosquelettes-accessibles-a-tous-2254144.html
Chaque département français en 2023 devait normalement disposer de 2 exosquelettes. Ce n’est pas encore le cas aujourd’hui, et si la commercialisation des exosquelettes à utiliser au quotidien pour un individu handicapé moteur aura lieu, ils seront abordables pour les plus riches. https://informations.handicap.fr/a-2-exosquelettes-par-departement-en-2024-les-ars-en-marche-36121.php
Footnote [16] — https://hmt-france.com/exosquelette/exosquelette-prix
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