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Réensauvagement

Au lieu de réduire, réutiliser, recycler, il faut résister, se révolter et se réensauvager

Par
Mark Boyle
24
August
2024
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Traduction du huitième texte de la série de Mark Boyle, auteur entre autres du livre L’année sauvage — Une vie sans technologie au rythme de la nature (2019) où il raconte son expérience d’une vie sans technologie industrielle. Il évoque dans cet article la nécessité vitale de se révolter contre le système industriel et de se réensauvager.

Les autres textes de Mark Boyle sont à lire ici :

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Mon conseil après une année sans technologie : réensauvagez-vous (par Mark Boyle)

Nous ne pouvons évidemment pas tous aller vivre dans les bois. Mais si nous refusons de s’endetter, si nous résistons à la tentation des gadgets et si nous nous reconnectons à la nature, le monde pourrait bien changer.

Après avoir été un techno-enthousiaste se jetant sur le moindre gadget, j’ai de façon improbable été l’un des premiers à rejeter la technologie. Mon dernier coup de téléphone à ma famille ou à mes amis date d’il y a plus d’un an, de même que ma dernière connexion aux médias antisociaux, mon dernier SMS, mon dernier courrier électronique, ma dernière navigation en ligne. Je n’ai pas non plus pris de photos ni écouté de la musique électronique durant tout ce temps. Vivant et travaillant dans une petite maison sans électricité, sans combustibles fossiles et sans eau courante, l’année écoulée m’a beaucoup appris sur le monde naturel, la société, l’état de notre culture commune et ce que signifie être humain à une époque où les frontières entre l’homme et la machine sont de plus en plus floues.

Les raisons qui m’ont poussé à me débrancher n’ont pas tellement changé, mais elles ont évolué dans leur importance. Mes premières motivations étaient – et sont toujours – d’ordre écologique. La logique était assez simple. Même s’il est utilisé de manière minimale, un seul smartphone (ou grille-pain, serveur internet, panneau solaire, robot sexuel) repose sur l’ensemble de la mégamachine industrielle pour sa production, sa commercialisation et sa consommation.

Les conséquences de cet industrialisme toujours plus intense sont évidentes : la surveillance généralisée grâce un objet qui tient dans nos poches ; la standardisation de tout ; la colonisation de la nature sauvage, des terres indigènes et de notre univers mental ; l’impérialisme culturel ; l’extinction massive des espèces ; l’éclatement des communautés ; l’urbanisation de masse ; l’intoxication de tout ce qui est nécessaire à une vie saine ; les guerres de ressources et l’accaparement des terres ; 200 millions de réfugiés climatiques d’ici 2050 ; l’automatisation de millions d’emplois, et les inévitables inégalités, le chômage et l’absence de sens qui en résulteront et qui fourniront un terrain fertile aux démagogues pour prendre le pouvoir. Je pourrais continuer, mais vous avez déjà entendu tout cela.

Bien que cela ne m’importe pas moins aujourd’hui, une personne qui vit sans technologie dans un endroit isolé n’a pas le moindre impact sur l’économie des machines. Il y a aujourd’hui 7,7 milliards de téléphones actifs sur Terre – c’est-à-dire plus de téléphones que d’habitants – et une personne de moins ne fait donc guère de différence.

Ce qui m’intéresse le plus aujourd’hui, c’est de maintenir en vie le meilleur des anciennes façons de faire. Je veux contribuer à préserver le lien entre notre passé ancien – son artisanat, ses perspectives, ses histoires – et notre avenir, de sorte que lorsque l’appareil industriel s’effondrera sous le poids de sa propre camelote, ces anciennes pratiques puissent nous guider sur le chemin du retour. Car, comme le mentionne l’écran de votre ordinateur au moment de fermer un programme, tout ce qui n’est pas sauvegardé sera perdu. Nous ferions bien d’en tenir compte, sous peine de nous perdre nous-mêmes.

Ce mode de vie est souvent appelé « la vie simple ». En y regardant de plus près, on s’aperçoit qu’elle est loin d’être simple. Cette vie est en fait assez complexe, composée de mille petites choses simples. En comparaison, mon ancienne vie urbaine était assez simple, composée de mille petites choses complexes. Je trouvais la vie industrielle trop simple, et donc répétitive et ennuyeuse. Avec toutes ses applications, ses interrupteurs, ses divertissements électroniques, ses outils électriques, ses sites web, ses appareils, son confort et ses commodités, il ne me restait presque plus rien à faire moi-même, sauf cette chose qui me permettait de gagner de l’argent pour acheter mes autres besoins et désirs. Ainsi, comme l’a écrit Kirkpatrick Sale dans Human Scale, j’ai eu envie de « complexifier, et non de simplifier ».

Pourtant, ce mode de vie reste d’une simplicité intemporelle. J’ai découvert que lorsqu’on s’extrait de l’existence plastifiée, emballée sous vide, que nous impose la société industrielle, ce qui reste est on ne peut plus simple. Il n’y a pas d’extravagance, pas de désordre, pas de complications inutiles. Rien à acheter, rien à devenir. Pas de fioritures, pas de factures. Seulement les ingrédients bruts de la vie, à traiter immédiatement et directement, sans intermédiaires pour compliquer et embrouiller les choses. Simple. Mais complexe.

Dans la réalité sanglante, crasseuse et moite de la vie en relation directe avec un lieu particulier, j’ai appris que si la mort est une partie essentielle et belle de la vie, la cruauté à l’échelle industrielle ne l’est pas ; et que si le véganisme est un mythe urbain – la nourriture et les produits industriels anéantissent la vie en masse, qu’ils contiennent ou non des produits animaux –, la protection du monde naturel et de ses créatures époustouflantes est plus importante que jamais.

Bien que l’expression « vivre sans technologie » semble sacrificielle et austère, j’ai constaté que les avantages l’emportaient sur les pertes initiales. Lorsque vous êtes connecté au wifi, vous êtes déconnecté de la vie. C’est un choix entre le monde des machines et le monde vivant, et je me sens physiquement et mentalement plus sain d’avoir choisi le second.

Quand vous êtes connectés au wifi, vous êtes déconnectés de la vie.

On me dit régulièrement que 7,3 milliards d’humains ne peuvent pas vivre comme moi. Je suis d’accord sur ce point. Mais 7,3 milliards d’humains ne peuvent pas non plus continuer à vivre comme la masse des gens le font aujourd’hui. Je ne prétends pas que ce mode de vie soit une solution pour tous les habitants de la planète, pour la simple raison qu’il n’existe pas de solution magique à la convergence des crises que notre culture est en train d’engendrer. Les gens ne reviendront pas volontairement à une vie plus sauvage ou à des économies locales, mais en continuant à « progresser » vers l’avant cela finira probablement en techno-dystopie suivie d’un effondrement écologique.

Je ne crois pas aux solutions uniques, mais il existe des choses importantes que la plupart d’entre nous peuvent faire. Dans mon dernier livre, Boire des cocktails molotov avec Gandhi, j’affirme que les trois « r » de la génération de la catastrophe climatique – réduire, réutiliser, recycler – ont besoin d’une sérieuse mise à jour. À la place, je propose de résister, de se révolter, de se réensauvager.

Résister à l’endettement. Résister aux carrières professionnelles. Résister à la course au dollar. Résister à la vente de ce gadget produit en série qui vous détournera de la vie et des personnes avec lesquelles vous regretterez de ne pas avoir passé plus de temps une fois sur votre lit de mort.

Révoltez-vous. Si vous n’aimez pas les conséquences géo-socio-éco-politiques des combustibles fossiles, de la fracturation hydraulique [pour exploiter pétrole et gaz de schiste, NdT], de l’exploitation minière, des carrières, de l’exploitation des fonds marins, de la déforestation et de l’escroquerie en général, alors opposez-vous au système industriel qui exige tout cela.

Reconstruire. Commencez à jouer un rôle dans le ré-ensauvagement de nos paysages. Soutenez des projets novateurs, tels que Cambrian Wildwood et Rewilding Britain, qui accomplissent un travail parmi les plus importants de notre époque. Si vous possédez un terrain – un petit jardin, une ferme, un domaine –, laissez-en le plus possible à l’état sauvage et attirez les oiseaux, les insectes, les abeilles et d’autres espèces sauvages. Arrêtez de tailler. Arrêtez de contrôler. Arrêtez de pulvériser des insecticides. Arrêtez simplement de faire. En arrêtant tout cela, vous entamerez le long et fascinant chemin du réensauvagement. Alors que la roue de la vie tourne inlassablement sur elle-même, les compétences du passé deviendront celles de l’avenir.

La vie est un compromis incessant entre le confort et le sentiment d’être pleinement vivant. Mes expériences m’ont appris que la loi des rendements décroissants s’applique peut-être aussi au confort – et aux technologies qui le promettent.

J’aime la vie simple et complexe. Bien qu’elle ne soit pas une solution réaliste pour la masse des gens aujourd’hui, à moins que nous ne mettions un frein à notre addiction à plus de choses, plus de croissance, plus de technologies déshumanisantes et distrayantes – encore et toujours plus de la même chose –, elle pourrait bien être une solution pour ceux qui auront à faire face à l’avenir.

Mark Boyle

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