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Réensauvagement

Vivre sans technologie n’est pas romantique

Par
Mark Boyle
18
August
2024
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Traduction du septième texte de la série de Mark Boyle, auteur du livre The Way Home : Tales from a Life Without Technology (2019) où il raconte son expérience d’une vie sans technologie industrielle. Boyle démonte ici la critique souvent faite (à tort) aux anti-tech de romantiser la vie au plus près de la nature et de la terre. Il explique aussi que, prises individuellement sans considérer l’ensemble des coûts sociaux et environnementaux du système techno-industriel, les technologies modernes ont évidemment des avantages. Des réflexions qui ne sont pas sans rappeler les critiques que fait Theodore Kaczynski de l’anarcho-primitivisme[1].

Les autres textes de Mark Boyle sont à lire ici :

Image d’illustration : le retour à un mode de vie de paysan, de fourrageur, de chasseur ou de pêcheur implique nécessairement plus – et certainement pas moins – de travail manuel et physique.

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Qu’est-ce qui me manque le plus dans la technologie ? L’émission Match of the day et la voix de mes parents

Lorsque je suis fatigué ou occupé, je pense au confort et aux plaisirs addictifs de la vie que j’ai laissée derrière moi. Puis je pense à son coût et je suis heureux de faire ce que je fais.

Nous vivons une époque étrange. Je me souviens que, quelques mois avant mon rejet de la technologie industrielle, je cherchais en ligne l’image d’une vieille variété de pomme oubliée. J’avais l’espoir de trouver ce que je cherchais, mais je suis tombé sur un écran dominé par le logo de la marque Apple. Interloqué, j’ai tapé blackberry et orange pour voir ce que ça donnait. On m’a proposé des offres de téléphonie mobile. Je n’avais pas entendu parler de Tinder à l’époque, mais je soupçonne que vous n’obtiendrez pas de résultats sur les copeaux de bois et l’écorce de bouleau [le mot anglais tinder signifie « allume-feu », NdT].

Six mois plus tard, j’ai lu Landmarks de Robert Mcfarlane, sa remarquable contribution à un « glossaire de l’enchantement pour la Terre entière ». Il y révèle que des mots tels que gland, frêne, jacinthe des bois, conkers [jeu pour enfants se pratiquant avec des marrons[2], NdT] , pissenlit, martin-pêcheur, loutre et pâturage ont été remplacés, dans l’édition 2007 de l’Oxford Junior Dictionary, par des mots tels que bloc graphique, blog, bullet point [ou « puce » dans une liste à puces, NdT], célébrité, chat room et copier-coller. L’explication de l’Oxford University Press – à savoir que ce sont les choses qui font désormais partie de la vie d’un enfant – était pragmatique, compréhensible, honnête et profondément inquiétante.

La génération Facebook (ou maintenant Snapchat ?) ne regrettera guère les conkers, puisqu’elle n’y a jamais joué. C’est étrange. Lorsque je grandissais dans une cité ouvrière située à la périphérie d’une ville difficile, personne n’a jamais pensé à me demander si quelque chose du monde naturel – que ma culture faisait de son mieux pour rejeter – me manquait. En ce moment, je préfère les jacinthes aux bullet points, et il semble que tout les gens qui me questionnent veulent savoir ce que je regrette le plus du monde des machines.

Je pourrais dire que les embouteillages, les formulaires d’assurance, les dettes, les bus, le stress, les délais à respecter, les spams, les horaires et la pollution me manquent plus que tout ; mais je le ferais surtout pour taquiner. La vérité, c’est que certaines choses me manquent, en particulier celles que j’ai considérées comme acquises pendant la majeure partie de ma vie d’adulte. Je n’ai pas grandi comme Huckleberry Finn [Les aventures de Huckleberry Finn (1884) est un célèbre roman de Mark Twain qui raconte l’histoire d’un garçon qui fuit la civilisation en compagnie d’un esclave échappé, NdT]. Vivre au jour le jour pendant mes années de formation comportait ses propres défis, en particulier pour mes parents, mais c’était un autre genre de défis que ceux auxquels je suis actuellement confronté tous les jours. À l’époque, nous étions tous dans le même bateau et il y avait un réel sentiment de solidarité entre voisins ; aujourd’hui, j’ai parfois l’impression de nager contre un raz-de-marée, tout en me rappelant des choses qu’une partie de moi-même a jadis appréciées.

Qu’est-ce qui me manque ? Un millier de petites choses. Je suis un fan de Manchester United (depuis l’époque de Ralph Milne – qui ? – si cela peut me servir de défense). Donc non seulement je ne peux plus regarder Match of the Day [émission de foot célèbre au Royaume-Uni, NdT), mais je n’ai même pas l’occasion de connaître les scores les rares fois où je réalise qu’on est samedi. Jamais personne n’aimerait laver ses draps à la main, surtout sans eau chaude, alors une fois par mois, je rêve d’une machine à laver quand je frotte et que j’essore. Parfois, après une longue journée passée à répandre du fumier sur les plates-bandes de légumes, j’aimerais une douche chaude, mais je dois me contenter de me laver avec de l’eau de source froide que je verse à l’aide d’une cruche. Croyez moi, il n’y a rien de romantique là-dedans (sauf quand je passe une heure à allumer le feu pour chauffer le bain et à faire trempette sous le ciel de la Voie lactée encore visible ici).

Lorsque le soir je suis fatigué, je me souviens encore suffisamment du chocolat chaud et de Netflix, et les essais de John Muir sur la nature sauvage me paraissent moins fascinants qu’à l’habitude. Les jours de grande activité, je me souviens encore – trop bien – de la simplicité d’utilisation de choses comme les cuisinières à gaz, les téléphones portables, l’accès à l’internet, la musique électronique, les réfrigérateurs, les congélateurs, les vols bon marché, l’éclairage électrique, un texte tapé rapidement, les jours de congé où il n’y a rien d’autre à faire que d’actionner des interrupteurs ; en bref, je me souviens encore d’une vie vécue par procuration à travers un éventail séduisant de marchandises homogènes et sans âme produites en masse.

Certains jours, une ou plusieurs de ces choses me manquent. La plupart du temps, ce n’est pas le cas. J’ai vécu en ville, j’en connais les tentations et les plaisirs, l’attraction addictive et l’effervescence. Tout ce que je dis, c’est que, tout compte fait, je préfére encore chier dans des toilettes sèches et manger du pigeon écrasé sur la route.

Vous voyez, je n’ai jamais prétendu que la technologie était dépourvue d’avantages. Bien sûr qu’elle en a. Même les luddites auraient reconnu que les machines qui anéantissaient leurs économies artisanales étaient plus efficaces que leur travail manuel, du moins à court terme. Ce que l’on comprend moins, c’est que toute nouvelle technologie engendre des conséquences spécifiques par sa seule existence ; des conséquences attendues et surtout inattendues. Dans leur quête frénétique et acharnée pour « maximiser votre bonheur », les services de marketing font uniquement la promotion des aspects attrayants, sexy et excitants de leurs nouveaux produits soi-disant essentiels. Ils semblent parfois oublier de parler des effets néfastes et négatifs sur les personnes, la société et le monde naturel. (J’ai étudié le marketing pendant quatre ans et je vous garantis qu’il n’y a pas d’art plus sombre. Bill Hicks avait de bons conseils [dans un sketch, l’humoriste américain Bill Hicks encourageait les personnes travaillant dans le marketing et la publicité à se donner la mort, NdT]).

Toute technologie a un prix – la seule question est de savoir si vous êtes prêt à le payer. Personnellement, lorsque je fais la somme totale des coûts engendrés par la technologie industrielle, je range mon portefeuille. L’extinction massive des espèces, la catastrophe climatique, l’effondrement social, le narcissisme de masse, les problèmes généralisés de santé mentale et d’obésité, l’agriculture industrielle, l’exploitation des sols, la solitude et la rupture avec la nature – si c’est là le véritable prix à payer, je pense que je vais laisser tomber Game of Thrones et à la place continuer à laver mes vêtements boueux dans ma baignoire.

Mon objectif n’est pas de romantiser le passé, ni ma vie sans technologie. C’est parfois difficile. Certains jours, c’est vraiment très difficile. Ce matin, alors que j’étais en train de « bûcheronner », j’ai marché l’équivalent de 7 km, dont la majeure partie avec une grosse bûche sur l’épaule. C’était avant le petit-déjeuner. Plus tard, il se peut que je fasse 40 km à vélo pour aller pêcher, et que je revienne les mains vides et affamé. Je regrette souvent de ne pas entendre la voix de mes parents et, pire encore, je sais que la mienne leur manque aussi. Mais j’ai fait ces choix pour des raisons qui me semblent plus importantes que mon confort. Et la plupart du temps, je m’en réjouis.

Bien qu’ils ignorent beaucoup des réalités sanglantes et crasseuses d’une vie en lien étroit avec la terre et la nature, les techno-utopistes vous demanderont de faire attention à ceux qui romantisent le passé. Je suis d’accord sur ce point. Mais soyez encore plus vigilants avec ceux qui romantisent l’avenir.

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Footnote [1] — Voir Theodore Kaczynski, « La vérité au sujet de la vie primitive », L’esclavage technologique, volume 1, 2022. Selon Kaczynski, l’anarcho-primitivisme déforme les récits ethnographiques en décrivant les sociétés primitives comme des sociétés correspondant à tous les canons progressistes de la modernité (égalitarisme, absence de travail, de violence, de compétition, de discrimination, etc.).

Footnote [2] — Selon Wikipédia : « Conkers est un jeu inventé en Grande-Bretagne qui se pratique avec des marrons (spécifiquement les fruits du marronnier commun). Le jeu est joué par deux joueurs. Chacun a un marron pendu au bout d’une ficelle (lacet) et les joueurs les cognent l’un contre l’autre. Le marron qui casse en premier désigne le perdant. »

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