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Réensauvagement

Débrancher du monde industriel m’a permis de découvrir la réalité

Par
Mark Boyle
24
August
2024
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Traduction du neuvième et dernier texte de la série de Mark Boyle, auteur du livre L’année sauvage — Une vie sans technologie au rythme de la nature (2019) où il raconte son expérience d’une vie sans technologie industrielle.

Les autres textes de Mark Boyle sont à lire ici :

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Après deux années passées hors réseau, j’apprécie les lettres quotidiennes, un sommeil réparateur et mon jacuzzi fait maison (par Mark Boyle)

Voici ce que j’ai appris en vivant sans courrier électronique, sans électricité et sans téléphone…

Il était presque minuit lorsque j’ai vérifié mes e-mails pour la dernière fois et éteint mon téléphone en espérant ne plus jamais le rallumer. J’avais passé l’été 2016 à construire de mes mains une maison en bottes de paille sur une petite propriété à moitié sauvage dans le comté de Galway, en Irlande, et le lendemain matin, j’avais l’intention de commencer une nouvelle vie sans technologie moderne. Il n’y aurait pas d’eau courante, pas d’horloge, pas de combustibles fossiles, pas d’électricité ni aucune des choses qu’elle alimente ; pas d’internet, de téléphone, de machine à laver, d’ampoules ou de radio. En me débranchant du monde industriel, je n’avais aucune idée si j’allais perdre tout contact avec la réalité ou au contraire la découvrir enfin.

Je suis réticent à écrire sur les raisons générales qui m’ont poussé à rejeter la technologie. Nous les connaissons déjà trop bien, et ce n’est pas par manque d’information que nous continuons sur la voie dans laquelle nous sommes engagés. Mais, au fil du temps, j’ai constaté que ces motivations avaient lentement changé. Aujourd’hui, elles ont moins à voir avec le fait de sauver le monde qu’avec le fait de le savourer. Le monde a besoin d’être savouré [avant d’être savouré le monde a surtout besoin d’être sauvé des machines qui creusent l’écorce terrestre, la recouvrent de béton et de bitume, et déversent des substances toxiques dans l’eau, l’air et le sol, NdT].

N’ayant plus accès aux médias sociaux ni aux informations, mon monde est devenu à la fois plus petit et plus détaillé. Parfois, j’entends des conversations sur les backstops[1] ou les fake news, mais je n’y comprends pas grand-chose. Tout cela me semble abstrait et lointain alors qu’il y a tant de choses concrètes devant moi chaque jour : pêcher le brochet, faire du cidre, planter des arbres, sculpter des cuillères et une centaine d’autres choses que le monde moderne faisait auparavant à ma place. Certains suggèrent que cette approche est égoïste, que je tourne le dos aux problèmes mondiaux, et peut-être ont-ils raison. Mais je ne suis pas sûr qu’un tweet de ma part sur le Brexit aiderait davantage le monde que le fait de retrousser mes manches et de faire quelque chose d’utile ici et maintenant.

Tout n’a pas été facile, loin de là. Sans téléphone, il n’est plus possible d’appeler la famille et les amis, ni d’envoyer un SMS pour retrouver un ami au pub. Se laver accroupi dans un bac en aluminium avec une cruche d’eau est aussi peu romantique que cela puisse paraître. Mais j’ai appris que ce mode de vie a ses propres caractéristiques et repose sur de vieilles solutions oubliées. J’écris désormais au crayon et sur papier des lettres à ceux que j’aime, un processus qui exige une qualité de langage et de pensée totalement différente. Au lieu de recevoir des courriels, des messages et des appels à n’en plus finir, je reçois une ou deux lettres par jour, et elles sont importantes pour moi. J’ai fini par construire un jacuzzi extérieur, et faire trempette sous les étoiles avec un verre de vin de mûres fait maison est aussi romantique que cela en a l’air.

En parlant de romance, après deux ans de vie commune avec ma partenaire, nous nous sommes séparés. Il serait trop simpliste de mettre tout cela sur le compte du mode de vie, même si cela a certainement joué un rôle. Ce chagrin d’amour m’a amené à me poser des questions gênantes sur ce que je sacrifiais. Mais je ne peux pas prétendre être quelqu’un d’autre que moi-même ; je ne serais pas heureux. Depuis, j’ai rencontré quelqu’un d’autre, et c’est magnifique. Si vous restez honnête, les choses s’arrangent comme elles le doivent, aussi difficile que cela puisse paraître. Les gens me demandent si je me sens seul, mais je suis plus sociable avec mes voisins depuis que j’ai abandonné les médias sociaux, et j’ai appris à apprécier les moments de tranquillité en contemplant le paysage et la faune sauvage. C’est, entre autres, ce que je n’avais pas prévu.

Lorsque vous dites non à une chose, vous dites oui à une autre. Prenez la musique. Le jour où j’ai rejeté le monde immortalisant de la télévision, de la radio et de l’internet, c’est comme si tous les artistes de renommée mondiale que j’appréciais étaient morts en même temps. Plus de Bowie ni de Joni Mitchell. Il y a une étrange tristesse à cela, mais en abandonnant la musique enregistrée j’ai commencé à assister à des sessions en live de musique traditionnelle, et j’adore ça maintenant. J’apprends même à en jouer (mal) moi-même.

N’ayant pas d’horloge, ma relation avec le temps a changé radicalement. D’une certaine manière, les choses prennent plus de temps. Il n’y a pas de bouilloire électrique pour faire mon thé en trois minutes, pas de supermarché pour acheter du pain et des pizzas. Mais le plus étrange, c’est que je dispose de plus de temps. En écrivant avec un crayon, je ne peux pas me laisser distraire par les titres d’articles putaclics ou les publicités. Les choses se déroulent à un rythme détendu, sans stress. Il y a plus de diversité, moins de répétitions. On se sent en phase, non seulement avec les rythmes saisonniers, mais aussi avec le rythme de son propre corps. Je n’ai jamais aussi bien dormi. Si je veux tout laisser tomber et partir en randonnée, je peux le faire. Cela m’a appris à « être ici et maintenant ». La pleine conscience n’est plus un luxe spirituel, mais une nécessité économique. Même si ce n’est pas la carrière la plus rentable, c’est bon pour mon bilan personnel : le bonheur.

J’ai vécu avec et sans technologie, et je sais ce qui m’apporte le plus de paix et de satisfaction. L’écologiste américain Aldo Leopold a dit un jour que « nous aspirons tous à la sécurité, à la prospérité, au confort, à une longue vie et à l’ennui ». Il est trop facile de vivre longtemps sans jamais se sentir pleinement vivant. Pendant la majeure partie de ma vie, je n’ai pas réussi à trouver le bon équilibre entre cette sensation et le confort. Aujourd’hui, je veux ressentir toutes les émotions et tous les éléments dans leur intégralité. La pluie, la joie, l’émerveillement – tout cela.

Ce mode de vie n’est peut-être pas fait pour tout le monde, mais il l’est pour moi. Je ne sais pas grand-chose, mais je sais cela.

Mark Boyle

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Footnote [1] — Relatif aux discussions sur le Brexit et l’éventuel retour d’une frontière physique entre l’Irlande et l’Irlande du Nord, voir cet article : https://www.francetvinfo.fr/monde/europe/la-grande-bretagne-et-l-ue/brexit-on-vous-explique-le-backstop-irlandais-ce-filet-de-securite-au-coeur-du-bras-de-fer-entre-londres-et-bruxelles_3167753.html

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