Définition de l'anarchisme

Qu’est-ce que l’anarchisme ? 

L’anarchisme est un mouvement philosophique s’opposant à toute autorité ; par conséquent, il prône la conquête de la liberté collective. Il s’agit donc à la fois d’une volonté de réappropriation et d’autonomisation ; de s’approprier sa liberté et de l’exercer en refusant toute soumission. Refuser l’autorité ne signifie pas pour autant refuser l’ordre, mais plutôt de refuser l’ordre qui est imposé arbitrairement par des hommes sur d’autres hommes sous la forme de l’exploitation.  

Ainsi l’anarchisme souhaite naturellement l’abolition de l’État, et plus généralement de l’ensemble des institutions coercitives comme le capitalisme, l’armée, la police, la religion. Cette volonté d’abolir les formes de pouvoir ne doit cependant pas se confondre avec un refus de vivre en société. Il s’agit de permettre aux hommes de s’organiser librement sur la base de l’entraide et de la démocratie directe

L’anarchisme, bien qu’étant revêtu du suffixe –isme (caractéristique des idéologies, des doctrines et des dogmes) est antidogmatique. Il prône l’autonomie de la conscience vis-à-vis des notions de “morale”, de “bien”, de “mal” telles que véhiculées par le pouvoir. La notion de dignité (du respect que l’on doit à soi-même) tient toutefois une place importante dans l’éthique anarchiste. L’autre étant considéré comme le miroir de soi, sa dignité doit également être respectée. Cette importance accordée à la dignité est en réalité jumelle de celle accordée à la liberté. L’oppression infligée par l’État et ses institutions, en même temps qu’elle prive de liberté, ôte aux hommes leur dignité. L’esclave est non seulement celui dont la liberté est niée, mais dont la dignité est perpétuellement bafouée.  

Le symbole le plus fameux de l’anarchisme est le drapeau noir. Étant à l’origine une composante du mouvement ouvrier et de l’Association internationale des travailleurs (dont l’emblème est le drapeau rouge), le mouvement anarchiste adopte dès 1865 ce drapeau représentant à sa manière le deuil des libertés. 

Les principaux penseurs de l’anarchisme 

L’anarchisme, portant en son sein le germe de la variété des opinions, se caractérise non par une doctrine commune mais par une pluralité de courants, unanimement fondés sur le rejet de l’exploitation et de l’autorité imposée. 

Proudhon (1809-1865)

Pierre-Joseph Proudhon, 1862.

Profondément marqué par ses origines paysannes et son attachement à la nature, ce précurseur de l’anarchisme, dont le pôle de la pensée est la justice comme élément moteur du progrès historique, résumait les choses ainsi. « Nulle révolution ne peut aboutir si elle n’est JUSTE [Le Peuple du 19 février 1849]. J’entends par justice, en ce qui concerne une révolution, la faculté qu’elle doit posséder de se développer suivant son principe, parallèlement aux idées, aux institutions et aux droits établis, sans toucher à ces droits, sans faire violence à ces institutions, sans contredire ces idées, que cependant il est de son essence de convertir et d’abroger. » L’on voit donc que la révolution telle qu’il l’entendait était non-violente mais subversive. 

Malgré la densité de son œuvre, il sut toutefois résumer sa pensée ainsi :  

« la Révolution, au XIXe siècle, a un double objet : 

1° Dans l’ordre économique, elle poursuit la subordination complète du capital au travail, l’identification du travailleur et du capitaliste, par la démocratisation du crédit, l’annihilation de l’intérêt, la réduction à l’échange, égal et véridique, de toutes les transactions qui ont pour objet les instruments de travail et les produits. À ce point de vue, nous avons fait observer, et nous avons dit, les premiers, que désormais il n’y avait plus que deux partis en France : le parti du travail, et le parti du capital. 

2° Dans l’ordre politique, la Révolution a pour but d’absorber l’État dans la société, c’est-à-dire de procéder à la cessation de toute autorité, et à la suppression de tout appareil gouvernemental, par l’abolition de l’impôt, la simplification administrative, la centralisation séparée de chacune des catégories fonctionnelles, en autres termes, l’organisation du suffrage universel. 

À ce point de vue encore, nous disons qu’il n’y a plus que deux partis en France : le parti de la liberté, et le parti du gouvernement. » (La Voix du peuple du 28 décembre 1849). 

Bakounine (1814-1876) 

Dans Dieu et l’État, Bakounine expose une vision collective de la liberté, à rebours de la liberté individuelle des Lumières et lui accorde une importance suprême :  

« Je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m’entourent, hommes et femmes, sont également libres. La liberté d’autrui, loin d’être une limite ou la négation de ma liberté, en est au contraire la condition nécessaire et la confirmation. Je ne deviens libre vraiment que par la liberté d’autres, de sorte que plus nombreux sont les hommes libres qui m’entourent et plus profonde et plus large est leur liberté, et plus étendue, plus profonde et plus large devient ma liberté. La véritable liberté n’est pas possible sans l’égalité de fait (économique, politique et sociale). La liberté et l’égalité ne peuvent se trouver qu’en dehors de l’existence d’un Dieu extérieur au monde ou d’un État extérieur au peuple. L’État, le Capital et Dieu sont les obstacles à abattre. » 

Pour Bakounine, la reprise de l’État par les révolutionnaires n’est ni possible, ni souhaitable. Contrairement aux communistes, il se fait fort de promouvoir l’autogestion au niveau le plus bas dans une perspective fédéraliste, pour que le pouvoir soit exercé par la masse des gens et non de façon autoritaire, de haut en bas. Il écrit dans Étatisme et Anarchie :  

« Je ne suis point communiste parce que le communisme concentre et fait absorber toutes les puissances de la société dans l’État, parce qu’il aboutit nécessairement à la centralisation de la propriété entre les mains de l’État, tandis que moi je veux l’abolition de l’État… Je veux l’organisation de la société et de la propriété collective ou sociale de bas en haut par la voie de la libre association, et non de haut en bas, par le moyen de quelque autorité que ce soit. Voilà dans quel sens je suis collectiviste et pas du tout communiste. » 

La vie de Bakounine, ponctuée de voyages à travers l’Europe et de participation aux activités révolutionnaires du XIXe siècle, fut tout à la fois marquée par la tendance qu’il avait à former des groupements secrets pour attiser les ardeurs révolutionnaires. Les membres de son organisation sont dévoués, désintéressés, « capables de servir d’intermédiaires entre l’idée révolutionnaire et la spontanéité populaire. »  Son fameux différend organisationnel avec Marx amènera à un éclatement de l’Association Internationale des Travailleurs, fondée à Londres en 1864.  

Kropotkine (1842-1921)

Il s’agit sans aucun doute du théoricien principal de l’anarchisme qui, malgré une ascendance princière, sut transcender son déterminisme par amour de la liberté et se joindre aux luttes anarchistes de son temps, quitte à devoir immigrer comme tant d’autres (en Angleterre, en Suisse, en Italie, etc.), et subir de multiples emprisonnements pour continuer le combat. Son évolution reste liée de près à celle du mouvement anarchiste et syndicaliste français. Sa pensée économique et politique se situe au carrefour des pensées de Bakounine et de Proudhon ; du premier il tirera le collectivisme comme porte de sortie de la propriété capitaliste ; et au second, en l’affirmant davantage, il prendra la logique de l’autogestion et de la fédération des petites collectivités comme fondement de l’organisation sociale. Ainsi, Kropotkine devint le penseur de l’alliance entre anarchisme et communisme. Son œuvre fondatrice, à savoir L’Entraide (1902), constitue une démonstration ethnologique et zoologique de l’importance de l’entraide dans l’évolution des espèces. S’attaquant en cela au darwinisme social d’un Herbert Spencer qui faisait florès en son temps (et ne réfutant pas Darwin pour autant), Kropotkine apporta à la théorie anarchiste un fondement naturaliste. Notons cependant que ses espérances d’une libération de la violence du travail supposaient une mécanisation plus grande du travail (cf La conquête du pain, 1892). Son intelligence lui interdisait toutefois de considérer les utopies comme des schémas à suivre strictement, comme “un évangile à prendre en entier ou à laisser. Il est une suggestion, une proposition – rien de plus” (préface à Comment nous ferons la révolution, d’Emile Pouget et Emile Pataud). 

Impossible de parler de l’anarchisme sans citer l’excellent documentaire de Tancrède Ramonet retraçant l’histoire du mouvement anarchiste.

Quelques penseurs anarchistes contemporains

Renaud Garcia

Enseignant et philosophe, Renaud Garcia est entré de façon fracassante dans le paysage critique avec Le Désert de la critique (2015 – L’Échappée). Dans cet ouvrage important, l’auteur cherche à disséquer la philosophie contemporaine, notamment post-structuraliste (incarnée par Gilles Deleuze, Felix Guattari, Michel Foucault), en démontrant le caractère intrinsèquement déliant de la déconstruction, qui refuse toute notion de commun pour engager l’individu sur des luttes vaines – autorisées et encadrées par le pouvoir libéral et technologique. S’assimilant davantage au mouvement anarchiste naturien, Renaud Garcia poursuit son œuvre avec Le Sens des Limites (2018 – L’Échappée) afin de déterminer où doit se mener le combat contre l’abstraction capitaliste et technologique, responsable d’une attaque contre un caractère fondamental du vivant : la limite. Pratiquant le refus de parvenir, Garcia s’est également illustré par d’éminents travaux sur la théorie de l’évolution chez Kropotkine, le socialisme paysan ou les trop méconnus anarchistes naturiens. 

Aurélien Berlan

Aurélien Berlan est jardinier et doctorant en philosophie. Après son habilitation à diriger des recherches, il a fait le choix de s’installer à la campagne afin d’associer convictions et pratique d’un mode de vie décroissant. Enseignant à l’Université de Toulouse, contributeur du Groupe Marcuse (dont l’excellent La liberté dans le coma sorti chez ses amis de La Lenteur en 2013), Aurélien Berlan publie La fabrique des derniers hommes chez La Découverte en 2012.  

Héritier de Simone Weil, Berlan dissocie deux conceptions de la liberté dans son maître-ouvrage Terre et Liberté. La liberté autonomie, issue de l’anarchisme, qui consiste à vivre de son travail de la terre en produisant soi-même ses moyens de subsistance. Et la liberté délivrance, issue du libéralisme, consistant à faire reposer sur les autres (salariés, serfs, femmes, domestiques, esclaves, machines) la production des nécessités matérielles de la vie, jugée inconfortable. C’est bien entendu la seconde conception qui triomphe aujourd’hui, y compris dans un milieu prétendument immunisé au techno-progressisme comme l’anarchisme vert. 

Inspiré par le Chiapas, Aurélien Berlan y critique aussi la croyance en une révolution par des petits gestes individuels (pétitions, recyclage et autres douches courtes). 

Une conférence d’Aurélien Berlan donnée à Toulouse en 2021.

L’anarchisme est-il de droite ou de gauche ? 

Bien qu’issu du mouvement ouvrier et ayant, ce faisant, une certaine parenté avec celui-ci, le mouvement anarchiste se refuse à participer aux élections, identifiant assez tôt que les élus du camp le plus juste prendront bien vite goût aux avantages de leur fonction pour former une classe à part. Malgré sa parenté certaine avec le socialisme, il serait donc impropre d’accoler un adjectif comme “gauche” ou “droite” à l’anarchisme, puisqu’il refuse les catégories parlementaires imposées par l’État. Point anecdotique, il put exister à la marge un anarchisme “de droite”, ou “anarchisme aristocratique”, mais dont la présence s’est limitée au strict plan littéraire. 

L’État, ennemi naturel de la société 

  Un lieu commun récurrent consiste à dire que l’État est la société, et inversement. Entretenant ainsi l’illusion d’une impossibilité de s’organiser socialement sans la tutelle d’une organisation supérieure, cette erreur de la pensée occulte des millénaires d’histoire et de réalités humaines. C’est pour lutter contre cette méprise qu’ont écrit et agit des penseurs comme Tocqueville (dans L’Ancien Régime et la Révolution), Pierres Clastres (dans La Société contre l’État, et dans son travail d’anthropologie), Bernard Charbonneau (dans L’État, il démontre le péril que l’État fait courir sur l’individu, la société et la nature), James C. Scott, Kropotkine, etc. 

En effet, la plupart des tribus de chasseurs-cueilleurs savaient s’organiser sans État, de même que la France d’avant la conquête monarchique ou que la moindre communauté villageoise à la surface du globe. Prendre en main son destin en tant que groupe, prendre les décisions nécessaires à sa survie en exerçant concrètement sa liberté, c’est cela dont prive l’État. 

L'Oeil de l'Etat par James C. Scott
L’anthropologue anarchiste James C. Scott réalise dans cet ouvrage majeur une dissection méthodique de la machine étatique.

Les révolutions anarchistes dans l’histoire 

La Commune de Paris

En septembre 1870, dans un contexte de guerre avec la Prusse, la ville de Paris se retrouve assiégée. L’hiver, meurtrier pour les classes populaires, charrie avec lui le vent de la révolte. Famine et humiliation de l’armistice réunissent patriotes et anarchistes le 18 mars 1871 pour proclamer la commune insurrectionnelle de Paris. Bien qu’affrontant Allemands et Versaillais, des mesures démocratiques et sociales sont rapidement appliquées (démocratie directe, abolition de la peine de mort, suspension du paiement des dettes et loyers, liberté de la presse, création d’un bataillon féminin, etc.). Mais les armes théoriques et matérielles des communards sont insuffisantes : doutes sur la nécessité de chefs militaires élus et fusils de seconde main ne font pas bon ménage pour défendre stratégiquement la révolution. Le 21 mai 1871, les troupes d’Adolphe Thiers pénètrent dans Paris avec la complicité de l’armée prussienne (pourtant ennemie). Au cours de ce que l’histoire nommera Semaine Sanglante, 20 000 révolutionnaires seront massacrés par un homme de gauche. 

Les anarchistes dans la Guerre d’Espagne 

La guerre civile espagnole (17 juillet 1936 – 1er avril 1939), oppose le camp des républicains (composé de loyalistes à l’égard du gouvernement de la IIe République, de communistes, de marxistes et de révolutionnaires anarchistes) au camp des nationalistes menés par le général Franco. Cette guerre se termina par la victoire des nationalistes et l’instauration de la dictature franquiste. 

Après une tentative ratée de putsch militaire en juillet 1936, la révolution est enclenchée. Voyant les travailleurs armés, de nombreux patrons s’enfuient ou rejoignent le camp des nationalistes. En réaction, la population procède à toute une série de saisies en vue de la collectivisation : la population ouvrière saisit les entreprises, (70 % d’entre elles en Catalogne, 50 % dans la région de Valence), et instaure un contrôle sur les autres ; les paysans collectivisent les 3/4 des terres ; les biens de l’Église sont saisis, les couvents sont transformés en réfectoires, écoles, etc. ; en lieu et place du pouvoir légal, un nouveau pouvoir se met en place, celui des syndicats et des partis de gauche afin d’organiser des milices contre les nationalistes, réorganiser les transports, approvisionner des villes, rediriger la production des usines. 

Parmi ces milices, une marque tout particulièrement les esprits : la colonne Durutti, dirigée par Buenaventura Durutti (en tant que délégué général), colonne anarchiste composée de 2 500 à 3 000 miliciens. Durutti s’était d’abord illustré en s’opposant victorieusement aux nationalistes à Barcelone au moment du coup d’État raté du 18 juillet 1936. Le 24 juillet, à la tête de sa colonne, il rejoint le front d’Aragon. Durant cette campagne, il encourage la collectivisation des terres et la création du Conseil régional de défense d’Aragon. Il s’oppose à la militarisation des milices et à la participation de la CNT-FAI au gouvernement. Le 13 novembre, lui et sa colonne sont appelés pour défendre Madrid, il meurt 6 jours plus tard. 

La révolution anarchiste en Ukraine 

Durant les affrontements procédant de la révolution d’octobre 1917 en Russie, et plus particulièrement suite à la signature du traité de Brest-Litovsk, les partisans du tsarisme et les armées austro-allemandes commettent de nombreux crimes en Ukraine. La résistance s’organise notamment autour de Nestor Makhno, paysan. Auteur de plusieurs textes dont la Plateforme, sur la nécessaire discipline organisationnelle en milieu anarchiste, le jeune stratège crée des milices d’autodéfense, aux soldats volontaires et aux officiers élus par mandats révocatoires. Chef militaire d’une armée de 50 000 paysans sur un front de plus de 1 000 kilomètres, Makhno sauve à plusieurs reprises les troupes bolchéviques (allié militaire bien qu’adversaire idéologique). Les révolutionnaires de la Makhnovtchina repoussent avec succès la réaction russo-ukrainienne et les occupants austro-allemands par une guérilla populaire en tatchanka, un véhicule de combat équipé d’une mitraillette et tracté par 1 à 4 chevaux.  

Quand leur armée insurrectionnelle libérait une commune, elle y proposait l’instauration de la démocratie directe. Si les paysans l’acceptaient, ils tendaient alors à s’organiser selon les principes égalitaires de Kropotkine : les terres étaient détenues en commun, les cuisines collectivement autogérées et la police abolie. La révolution anarchiste comprenait alors plusieurs centaines de milliers de personnes. 

L’Ukraine libertaire des Makhnovistes sera finalement déclarée illégale par les bolchéviques en 1921. Comme les marins de Kronstadt, ils seront écrasés dans le sang par leurs anciens alliés.  

Nestor Makhno en 1921 (il apparaît également sur l’image en une de l’article)

La révolution mexicaine et la révolte zapatiste au Chiapas 

Révolution mexicaine (1910)

Durant la dictature vingtenaire de Porfirio Díaz, un propriétaire terrien convaincu par l’idéal démocratique, Francisco Madero, rédige un appel à la révolte en novembre 1910. En mai 1911, Madero remplace Díaz à la tête de l’État. Il se heurte alors rapidement aux révoltes paysannes. Menées notamment par Pancho Villa ou le célèbre Emiliano Zapata, celles-ci exigent une réforme contre la privatisation des terres. Madero trahit ses promesses à Zapata en août 1911, qui reprend alors l’insurrection armée contre les autocrates successifs (Madero, Huerta, Carranza et ses alliés américains) avant d’être assassiné en 1915. Ses troupes, réformistes, s’intègreront alors à l’armée étatique contre une Constitution jugée plus sociale, entre 1917 et 1920. 

En 1911 au Mexique, un groupe de femmes et de jeunes filles rebelles en costume traditionnel s’entraînent au tir.

Révolte zapatiste au Chiapas (1994)

L’Armée zapatiste de libération nationale (EZLN) est un mouvement guévariste s’étant rapproché de l’anarchisme au contact d’indigènes mexicains. Elle se fait internationalement connaître le 1 janvier 1994, en s’emparant de plusieurs villes du Chiapas, région la plus précaire du pays. Cette guérilla spectaculaire fut enclenchée le jour de l’application du traité de libre-échange ALENA, minant la paysannerie locale au profit de l’industrie américaine. Le mouvement, devant son nom au révolutionnaire Emiliano Zapata, capitalisa sur la théologie de la libération et l’impopularité du gouvernement pour obtenir un cessez-le-feu. Comme avec Makhno et Durruti, les paysans et ouvriers comprennent sur le terrain que l’autonomie se défend militairement, avec un minimum de centralisation logistique. L’armée est ici aussi basée sur le volontariat. À l’instar de l’Espagne et de l’Ukraine, et malgré d’incessantes tentatives de répression, les communes libérées expérimentent depuis collectivisation des terres, autosuffisance et démocratie directe. 

Le culte des technosciences chez les anarchistes 

Face aux nécessités vitales conjuguées à la nécessité d’en finir avec l’exploitation, les théoriciens anarchistes se sont très souvent prononcés en faveur de la mécanisation du travail (Kropotkine) et du progrès scientifique (Malatesta) – n’y voyant alors que des moyens de réduire la charge de travail pesant sur les êtres humains. Pour citer Emile Gravelle dans un texte du journal Le naturien (paru en 1898) : les révolutionnaires (communistes, socialistes, anarchistes) « s’en prennent aux hommes tandis que c’est le système matériel d’existence qui est féroce ». En bout de course, tant que subsiste le système fondé sur l’exploitation forcenée des ressources (y compris humaines), aucun changement social n’est possible. 

Logiquement, cet attrait pour l’industrie et la mécanisation (perçues comme seuls moyens de nous délivrer de la contrainte de devoir travailler à assouvir nos besoins fondamentaux) s’est prolongé avec l’affirmation des technologies de pointe. Nous ne croyons pas nécessaire de souligner qu’une technologie dont l’existence exige un épuisement total des ressources minières, une pollution atroce et un esclavage sans cesse perpétué ne peut décemment servir aucun projet anarchiste.  

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