Les Auvergnats contre l’industrie minière
L'Auvergne, ses forêts, ses volcans, ses belles rivières... et bientôt sa mégamine de lithium ? Situé dans l’Allier sur la commune d’Echassières, un projet de mine porté par le géant minier Imerys suscite l'inquiétude des habitants et des organisations environnementales. L'extraction du minerai devrait commencer au niveau de la carrière de Beauvoir (photo en une) à partir de 2028 et durer au moins un quart de siècle. Utilisé notamment pour les batteries des voitures électriques, le lithium est devenu un métal stratégique nos ennemis voulant assurer la perpétuation du système techno-industriel.
Enfumage vert
On ne parle pas ici d'un simple trou dans la terre : l'ambition est de créer l'une des plus grandes mines de lithium en Europe, d'où chaque année seraient extraites quelques 34 000 tonnes d’hydroxyde de lithium, de quoi (selon la propagande) équiper les batteries de 700 000 véhicules électriques par an[1].
Bien sûr, notre gouvernement de technos-illuminés notoires soutient de tout son poids ce projet et participe joyeusement au vaste enfumage vert qui entoure cette mine. Selon Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique, « ce projet, [est] exemplaire sur le plan environnemental et climatique ». Agnès Pannier-Runacher, alors ministre de la Transition Énergétique, a quant à elle déclaré : « Le lithium qui sera extrait de manière responsable permettra de produire dans nos gigafactories les batteries nécessaires à l’électrification de nos activités »[2].
Bref, comme toujours, les technocrates emploient le greenwashing pour neutraliser toute remise en question du progrès technique et, plus généralement, de l’ordre industriel.
Une industrie « propre », ça n’existe pas
Il faut dire que les responsables de la société Imerys promettent « des émissions inférieures de moitié à celles de toutes les autres exploitations de lithium en roche dure existantes aujourd’hui dans le monde » et « de limiter les impacts environnementaux en surface »[3]. La réalité, c'est que Imerys, comme la plupart des grandes entreprises minières, participe activement à l'écocide et à l'ethnocide en cours. En effet, cette société est accusée de polluer des cours d'eau en Amazonie, pollutions qui ont forcé les communautés locales à l'exil[4].
Quant aux promesses de « mine propre » régulièrement mises en avant par l'industrie extractive, il suffit de se pencher sur les rapports de spécialistes indépendants pour se rendre compte qu’il s’agit d’une escroquerie. Ainsi, selon l'ingénieure géologue Aurore Stéphant l'industrie minière est « le premier producteur de déchets solides, liquides et gazeux tous secteurs industriels confondus[5] ».
L'illusion du débat pour faire taire une contestation grandissante
Mais pas de panique ! Un débat public va être organisé au printemps 2024. On sait très bien où mène ce genre de pseudo-débat : à la reproduction de l’ordre techno-industriel. Face aux enjeux énormes, notamment pour la puissante industrie automobile, on peut craindre que la voix des citoyens ne pèsera pas bien lourd. Cela a pu être vérifié lors d'un précédent débat organisé dans la petite commune de Coutansouze où sera implantée cette mine.
Les représentants de la firme Imerys ont bien pris soin d'éviter de répondre aux questions délicates, notamment sur la consommation en eau et en produits chimiques du projet[6]. Quand on sait qu'il faut entre 41 000 et 1,9 million de litres d'eau pour extraire une tonne de lithium[7], la question est pourtant loin d'être anecdotique. Et dans un contexte de sécheresse qui tend à se généraliser, l'inquiétude des habitants pour leurs ressources en eau est tout à fait légitime.
Une lutte sous haute surveillance
Face au géant minier, la résistance s'organise. Les habitants ont créé plusieurs associations, notamment « Stop Mines 03 », dont le mot d'ordre est clair : « lithium ni ici, ni ailleurs »[8]. Ils évitent ainsi intelligemment le piège du NIMBY (« Not In My BackYard » : « pas dans mon jardin ») qui consisterait à s'opposer à la mine sur leur territoire sans se soucier de l’impact des mines de lithium pour les populations du Sud global.
Cette contestation est d'ores et déjà sous surveillance étroite de l'Etat, et le secteur de la future mine étant considéré comme « site avec une contestation susceptible de se radicaliser à court terme » par les services du ministère de l'Intérieur[9].
Un simple rouage dans la mégamachine
On le voit, et ce n'est pas étonnant, les défenseurs de ce projet de mines (les industriels et l'Etat) usent de mensonges et de langue de bois pour tenter d'endormir les habitants. Mais beaucoup ne sont pas dupes : la « transition écologique » n’est qu’une énième manipulation de masse pour justifier la conservation d'un système mortifère.
L'industrie extractiviste fait partie des piliers du système techno-industriel, et la transition « écologique » est le mythe qui va la rendre de plus en plus incontournable. En fait de transition, il s'agit d’ajouter à la dépendance au pétrole une dépendance aux métaux rares[10] en s’appuyant sur une industrie criminelle : les mines sont la cause de gigantesques dégâts écologiques (pollutions, sécheresses, destructions d'écosystèmes, etc.) et sociaux (exploitation, maladies, déplacements voire extermination de population, etc.)[11].
Il faut donc prendre conscience que lutter contre une seule mine n'est pas pertinent : dans l'hypothèse où des militants réussiraient à faire fermer une mine, une autre ouvrirait un peu plus loin. C'est tout le système extractiviste qu'il faut cibler. Au-delà, il est illusoire de croire qu'on peut préserver la vie sur Terre sans viser le système technologique dans sa totalité. L'industrie minière n'est qu'un rouage dans un vaste réseau de sites d’extraction, de transformation, de consommation et d'infrastructures qui consument notre planète de manière incontrôlable[12].
Penser stratégiquement
Une question s'impose alors : se battre contre chaque projet écocidaire, de manière isolée, nous permettra-t-il de sauver la planète ? Force est de constater que cette stratégie, utilisée depuis des décennies par les militants écologistes, a été inefficace pour enrayer la course folle de la civilisation industrielle. La raison est simple : nous sommes dans un combat asymétrique, où les défenseurs de la planète sont moins nombreux et moins puissants que les tenants de l'ordre techno-industriel.
Dans ce contexte, adopter une stratégie d'usure, en l'occurrence une posture défensive, est inefficace. L'histoire des luttes nous montre que pour gagner un combat asymétrique, il faut privilégier une stratégie offensive dite « d’échec en cascade » destinée à faire tomber des pans entiers du système. La victoire est possible, avec, au bout du chemin, un monde où l'industrie minière ne sera plus qu'un mauvais souvenir.
Footnote [1] — https://reporterre.net/Mine-de-lithium-dans-l-Allier-les-habitants-en-colere
Footnote [2] — https://www.imerys.com/fr/media-room/communiques-de-presse/imerys-ambitionne-de-devenir-un-acteur-majeur-du-lithium-en-europe
Footnote [5] — https://www.youtube.com/watch?v=i8RMX8ODWQs&t=1s
Footnote [6] — https://reporterre.net/Mine-de-lithium-dans-l-Allier-les-habitants-en-colere
Footnote [7] — https://korii.slate.fr/tech/voitures-electriques-penurie-mondiale-eau-batteries-semi-conducteurs-hydrogene
Footnote [8] — https://www.facebook.com/stopmine03/
Footnote [9] — https://reporterre.net/Titane-lithium-l-Europe-ouvre-un-open-bar-pour-l-industrie-miniere
Footnote [10] — Lire par exemple La Guerre des métaux rares : la face cachée de la transition énergétique et numérique, Guillaume Pitron, Les Liens qui libèrent, 2018
Footnote [11] — Lire par exemple Extractivisme. Exploitation industrielle de la nature : logiques, conséquences, résistances, Anna Bednik, Le passager clandestin, 2016
Footnote [12] — https://antitechresistance.org/systeme-technologique-definition/
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