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Réensauvagement

Un été à la ferme

Par
W.N
03
October
2024
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De mon quotidien de citadin, jamais je n’ai pu poser les yeux sur une étendue aussi verte, agricole, que l’horizon bleu, pur et dégagé de toute ombre urbaine, semblait être le seul à pouvoir engloutir. Et en apercevant ce tableau, je n'ai pu m’empêcher de ressentir une beauté ; une sensation qui infusait dans mon regard un grand calme et je ne me tromperai en écrivant que j’eu sous les yeux une aménité bucolique.

Etudiant sans grande conviction et noyé dans la masse urbaine chaque jour de l’année, vivant le clair de ses journées dans pas moins de 10m², c’est lors du dernier printemps que j’ai décidé de saisir une opportunité : travailler en tant qu’ouvrier agricole, dans la ferme du père à mon meilleur ami, pendant un peu plus d’un mois ; au début de l’été. Etant donné que la nécessité de trouver un travail saisonnier se faisait pressante et que je me voyais mal servir une grande entreprise, à travailler dans la cuisine d’un fast-food ou en tant que caissier, au regard de mes convictions le choix était comme d’emblée effectué.

C’est ainsi qu’avec une poignée de vêtements, quelques bouquins et un peu de tabac, je m’en suis allé à plus de 1.000km de chez moi, parmi les champs agricoles des Ardennes, vivre cinq semaines dans une petite maison — très — ancienne.

Dans le train de nuit emprunté pour se rendre sur le lieu de travail, j’eu l’heureuse surprise de constater le vol de mon téléphone portable. Ce qui, foncièrement, ne m’a pas causé une grande peine ; mais lorsque l’on a une famille qui exige — très souvent — des nouvelles, tout de suite, je me dois de concéder que cette perte est une contrainte.

C’est de cette manière que j’y ai vécu la première semaine sans aucun contact, si ce n’est la poignée de mouches et d’araignées qui peuplaient gaiement ma demeure ainsi que mon meilleur ami, venu avec moi.

Vécue de la sorte, la vie n’était pas déplaisante, non. Initialement, le travail agricole n’était pas éreintant. Nous dépensions, quotidiennement, une poignée d’heures, entre cinq et sept, à arracher des rumex d’un champ d’avoine, apprenant et se partageant ce que l’on pensait être la meilleure technique pour manier nos outils. Après ces journées, naturellement je rentrais et m’asseyant au coin d’un feu, je ne pouvais m’empêcher de me dire que sept heures de travail au champ n’avaient d’équivalent, que c’était bien plus plaisant que sept heures à être assis dans un amphithéâtre.

C’est vrai, nous étions tout le jour sous le soleil, ayant emmené avec nous de quoi écouter un peu de musique, laissant quelques rires et quelques conneries ponctuer nos journées de travail. Une vraie légèreté insoucieuse envoûtait mon cœur et mes gestes ; de quoi fallait-il s’inquiéter tant que le travail était bien fait ? Il n’y avait rien pour perturber l’auguste calme qui régnait dans ces contrées. Et de toutes manières, contre quoi voudriez-vous vous énerver ? Contre quoi voudriez-vous passer votre colère ? En frappant la colline ? En frappant la plaine ? Le champ paraissait être un temple, immense, à ciel ouvert, où le vert et le jaune des terrains agricoles, décorés du vert subtilement plus foncé des quelques rangées d’arbres, se mariaient harmonieusement au bleu du ciel dégagé ; tout allait de l’avant vers la quiétude.

Et le soir… dès lors la journée achevée, la nuit se glissant dans le ciel, il n’y avait rien à faire que de s’asseoir confortablement et de se lancer dans une discussion passionnante, à s’arracher les cordes vocales en chantant du Brassens, Ferré ou du Brel, à contempler chacune des lueurs tirer sa révérence dans le ciel vespéral, pouvant savourer la grâce des cieux sans pollution lumineuse ; une bouteille de vin modeste n’étant jamais trop loin, toujours à portée d’un élan de la main.

Bien sûr, néanmoins, que je l’ai maudit le manque de confort. Lorsqu’il fallait faire 4km dans des chemins vallonnés et dangereux, sur des vélos sans freins et aux pneus lisses bien fins. Lorsqu’il a fallu faire 40km sur ces mêmes vélos, sur des chemins similaires, sous un orage diluvien, la boue enlisant et bloquant mes roues, pour faire des courses de première nécessité, car ce magasin était le plus proche de notre habitation. Lorsqu’il se révéla que le logement devenait particulièrement, extrêmement, humide lors de la pluie — en plus du fait qu’il n’était clairement pas très viable initialement.

Il est certain que, les premières fois face à ces conditions rudes, j’ai proféré bien d’injures à l’encontre du bon dieu.

Mais que voulez-vous faire, alors ? Rapidement, l’on se rend compte que les choses sont ainsi, telles qu’elles se donnent à vous et que vous pourriez tenter tout ce que vous voudriez, ce serait vain. Dès lors, il y a un travail à faire et il se doit d’être fait aujourd’hui, car demain c’est encore une autre partie du champ, voire un autre champ, qui requiert votre intervention. Alors l’on s’y pli. Pourquoi ? Puisqu’il faut avoir conscience que l’entretien des champs, sur lesquels nous avons travaillé, permettra à des personnes de se nourrir, d’autant plus que ce sont des champs cultivés sans produit chimique, alors seule l’intervention humaine est décisive.

Souvent durant ce séjour, je me suis retrouvé face à moi-même ; sans savoir quoi faire. De retour à la vie urbaine, j’ai compris. J’ai compris que ce n’était pas tant le manque de chose à faire — nécessairement, au milieu de la campagne ardennaise les activités ne foisonnent point — mais plutôt mon incapacité à avoir toute mon attention portée sur moi-même et sur la possibilité de faire quelque chose. En ville, sans cesse vous demeurez dérangés par des problèmes vains et superficiels, par le bruit incessant, par la manière dont chaque chose se meut avec véhémence sous votre nez. Dans la campagne, sanctuaire de l’imperturbabilité, de la pondération et de la lenteur, rarement vous êtes distraits. Et il serait juste de ma part de dire que jamais, dans mon quotidien de citadin, je n’ai pu autant apprendre, me lancer dans la lecture d’œuvres, avoir un environnement propice à les savourer — comme autant échanger autant humainement avec autrui —, qu’en ce mois de retrait et de labeur.

Il est vrai que, dans cet environnement, chacun se retrouve face à soi-même. Et pour un individu n’ayant connu que la ville, les distractions, la célérité dans chaque chose, cela peut être dérangeant, être une mauvaise sensation. Ainsi les villes arrachent l’individu à lui-même, c’est de cette sorte que les jours se suivent de manière difforme, que l’on peut acquérir la sensation de ne plus vivre sa vie, d’être un spectateur de ce mouvement d’impératifs et de dérives incessant, où le seul instant nu d’obligation s’écoule dans le propre oubli de sa condition, au sein de plaisirs plastiques. La campagne n’est pas aussi cruelle. Et quand bien même elle n’offre pas aisément la chaleur du réconfort, elle prodigue, les yeux bandés, toute sa sérénité et laisse chacun s’émerveiller sur la vie elle-même. Elle vous laisse apprendre dans ses bras ouverts, elle vous laisse mûrir et acquérir un savoir inestimable. Et bien peu encore reconnaissent la préciosité d’une telle opportunité, que la vie à la campagne vous prodigue ; et il m’apparaît que la moindre des choses, le moindre retour que quiconque pourrait donner en contrecoup, c’est de chérir une telle vie et de s’y lancer avec passion, pure et motivée, essentielle à la survie de tous. Car aucun plaisir plastique de ces forteresses urbaines ne saurait égaler la profondeur et la somptuosité d’un crépuscule contemplé, lorsque le corps se détend tout entier en se délaçant du labeur de la journée.

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