En Suède, une ville déplacée pour agrandir une mine géante
Située en Suède dans le comté de Norrbotten, à 300 km au nord du cercle polaire arctique, la ville de Kiruna existe depuis la découverte en 1899 d’un gigantesque gisement de fer. Mais cette cité minière de 20 000 habitants est désormais menacée par l’expansion de l’industrie extractive. LKAB (Luossavaara-Kiirunavaara AktieBolag), la société exploitant la mine, a découvert un important gisement de terres rares indispensables à l’industrie électronique et aux technologies prétendument « vertes » (LED, éoliennes, panneaux photovoltaïques, batteries de voiture, etc.). Face à cela, les autorités imposent leur solution : le déplacement de la ville.
Kiruna : quand l’industrie prime sur tout le reste
La ville de Kiruna présente une particularité : elle a été fondée en 1903 par la société LKAB et repose entièrement sur l’exploitation du fer. Ce dernier est un métal clé pour le monde industriel puisqu’il représente plus de 93 % du volume total de métaux arraché annuellement à l’écorce terrestre par le système technologique. Depuis vingt ans, le déplacement de la ville est discuté par les autorités.
La raison ? L’extension de l’exploitation de la mine éponyme a affecté les sous-sols de la ville, la menaçant de s’effondrer. Envisager d’arrêter la production ? Impossible, cela anéantirait l’économie de la ville, elle qui repose sur la production de cette mine.
En 2019, déjà, le centre-ville avait été déplacé par les autorités. Les bâtiments historiques – dont l’Église – avaient été démontés pièce par pièce pour les rebâtir par la suite sur un nouvel emplacement. La société LKAB avait tout planifié. Elle a acheté des terrains pour reloger les propriétaires, proposé des appartements à loyer bloqué aux locataires et avaient racheté les terrains à 25% au-dessus des prix du marché.
Si les habitants de Kiruna demeurent enthousiastes quant à l’annonce de ce projet — le maire adjoint ayant affirmé que « tous étaient prêts à partir » —, la nouvelle n’est pas bien reçue par les peuples autochtones de la région. En effet, la société LKAB prévoit d’étendre la mine dans la région où se trouve le dernier point de passage pour la transhumance des éleveurs de rennes Saamis. Ce couloir leur permet de guider leurs troupeaux vers les pâturages d’hiver et d’été. La ville minière avait déjà empiété sur leur territoire lors de sa fondation, ce qui montre encore une fois que l’ethnocide des peuples premiers est une conséquence systématique du développement industriel.
« Si une mine est construite, ce sera impossible pour nous de conserver notre mode de vie comme nous le faisons depuis des siècles. » — Karin Kvarfordt Niia, porte-parole du Sameby, groupe d’éleveurs Saamis
Les industriels ne semblent avoir aucune peine à prioriser les intérêts miniers à la vie des Saamis, établis dans ce territoire depuis plus de 6000 ans. En guise de dédommagement, la société LKAB a construit un pont pour permettre aux rennes de circuler entre leurs pâturages estivaux et hivernaux. Aucune opposition au projet minier n’a été tolérée.
Une collaboration active entre LKAB, l’Etat suédois et la municipalité
La réalisation de ce projet est une conséquence d’un ultimatum de la société LKAB en 2004, ayant menacé les autorités locales de se défaire du chantier si jamais l’autorisation de poursuivre l’exploitation et de l’étendre ne lui était pas accordée. Il faut préciser par ailleurs que la société LKAB est détenue, depuis 1950, à 100% par l’Etat suédois.
Particularité supplémentaire : la municipalité ne détient presque aucune terre à Kiruna. En effet, la grande majorité des terres est détenue par l’entreprise LKAB, le reste appartient ou à l’Etat ou à des particuliers. Cela laisse donc le champ libre à l’entreprise et à l’Etat pour opérer selon leur plein gré.
Mais pour autant la municipalité reste conciliante avec LKAB et, indirectement, avec l’Etat suédois. Auprès de la politique municipale, aucune protestation n’a été émise. Le projet semble avoir été reçu avec un grand enthousiasme. L’histoire de Kiruna fait d’ailleurs beaucoup penser à cette ville russe où le principal employeur est la plus grande mine d’amiante du monde.
Toutefois, la bonne foi de ces acteurs est à questionner : aucune étude écologique ni sanitaire n’a été sérieusement menée afin de prévenir les possibles conséquences négatives de l’exploitation des terres rares. Le déplacement de la ville a été accéléré et les autorités ne semblent s’intéresser qu’au potentiel de cette nouvelle découverte.
Pourtant, l’exploitation des sols afin d’en obtenir des terres rares demeure extrêmement polluante. En raison des zones d’accumulation des déchets, mais aussi du fait que l’extraction elle-même nécessite une quantité conséquente d’énergie, d’eau et de produits chimiques. Pour ne rien arranger, les terres rares présentent aussi un rayonnement ionique semblable à l’uranium. De toute évidence, l’exploitation affecte durablement et sévèrement la nature sauvage dans la région.
Comment souvent, les citoyens n’ont pas vraiment été consultés directement. Les seules consultations organisées par les autorités concernent des détails liés au relogement (sur le style architectural, par exemple). Jamais les citoyens n’ont eu l’occasion de s’exprimer directement à propos du projet en lui-même.
Kiruna, un exemple type de greenwashing
Le projet Kiruna est d’importance stratégique pour l’économie mondiale, il sera donc mené à son terme et toute opposition sera écrasée. En effet, les terres rares permettent de fabriquer des composants pour des dispositifs de haute technologie. En outre, il en faut pour produire des batteries de voiture, pour les LED, pour les smartphones ; tout comme il en faut pour des panneaux photovoltaïques et des éoliennes. Les terres rares demeurent alors une matière première essentielle au bon fonctionnement du système technologique et de son économie.
De plus, cette mine est au cœur d’un enjeu géopolitique majeur. Aujourd’hui, le producteur phare de terres rares est la Chine. Recherchant une relative indépendance techno-économique, l’Europe affiche un besoin proéminent pour cette matière première ; quitte à déplacer une ville et entraver la vie d’une peuplade au mode de vie non industriel. Les intérêts de l’industrie passent avant tout le reste.
Pour justifier cette destruction, les autorités suédoises ont paradoxalement avancé l’argument d’une organisation écologique de la nouvelle ville en construction. Celles-ci essaient de concilier l’idéal écologique avec l’expansion de la mine, dont le profit économique permet à la ville-minière de survivre. Mais comment une telle configuration peut-elle être écologique ?
Derrière ces promesses et cette manipulation de la cause écologique, des problèmes sérieux ne sont pas abordés. Les autorités ont affirmé réutiliser les matériaux de l’ancienne ville pour la construction de la nouvelle. Mais ces matériaux sont vieux de presque cent ans ! Le problème de la pollution des voitures est effacé par la solution de la voiture électrique et l’emplacement prévu pour la nouvelle ville de Kiruna nécessite une artificialisation des terres, des forêts et des pâturages.
Les terres rares deviennent un motif de plus en plus récurrent dans l’industrialisation des rares endroits encore sauvages qui subsistent sur le globe. L’exemple de Kiruna démontre une nouvelle fois que rien n’arrête l’expansion techno-industrielle, pas même l’anéantissement d’une culture ancestrale ni le déplacement d’une ville de 20 000 habitants. Il est grand temps pour le mouvement écologique d’abandonner la stratégie défensive – qui consiste à vouloir arrêter un projet industriel à la fois – pour passer à une stratégie offensive.
Sources
https://fr.wikipedia.org/wiki/Mine_de_Kiruna
https://fr.wikipedia.org/wiki/Kiruna
https://fr.wikipedia.org/wiki/LKAB
https://www.letemps.ch/economie/un-mega-gisement-terres-rares-decouvert-kiruna-suede
https://www.letemps.ch/monde/kiruna-ville-demenage-trois-questions
https://www.geo.fr/environnement/definition-terres-rares-scandium-yttrium-et-lanthanides-124433
https://www.insu.cnrs.fr/fr/cnrsinfo/les-terres-rares-le-paradoxe-environnemental
https://www.demainlaville.com/la-ville-mine-de-kiruna-creuse-t-elle-sa-tombe
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