Florilège de poèmes français célébrant la nature (2/2)

         Loin de se cantonner à des descriptions idylliques, la poésie française regorge de trésors appelant à traiter la nature avec révérence. Ceci est la seconde partie de notre sélection de poèmes célébrant la nature et vilipendant l’emprise de la technique.

Jean de la Fontaine (1621-1695)

L’HIRONDELLE ET LES PETITS OISEAUX

Une Hirondelle en ses voyages

Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu

       Peut avoir beaucoup retenu.

Celle-ci prévoyait jusqu’aux moindres orages,

       Et devant qu’ils fussent éclos,

       Les annonçait aux matelots.

Il arriva qu’au temps que la chanvre se sème,

Elle vit un manant en couvrir maints sillons.

«  Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons :

Je vous plains ; car pour moi, dans ce péril extrême,

Je saurai m’éloigner, ou vivre en quelque coin.

Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?

       Un jour viendra, qui n’est pas loin,

Que ce qu’elle répand sera votre ruine.

De là naîtront engins à vous envelopper,

       Et lacets pour vous attraper ;

        Enfin mainte et mainte machine

        Qui causera dans la saison

        Votre mort ou votre prison.

        Gare la cage ou le chaudron !

        C’est pourquoi, leur dit l’Hirondelle,

        Mangez ce grain et croyez-moi. « 

        Les Oiseaux se moquèrent d’elle :

        Ils trouvaient aux champs trop de quoi.

        Quand la chènevière fut verte,

L’Hirondelle leur dit : » Arrachez brin à brin

        Ce qu’a produit ce mauvais grain,

        Ou soyez sûrs de votre perte.

-Prophète de malheur, babillarde, dit-on,

        Le bel emploi que tu nous donnes !

        Il nous faudrait mille personnes

        Pour éplucher tout ce canton. « 

        La chanvre étant tout à fait crue,

L’Hirondelle ajouta : «  Ceci ne va pas bien ;

       Mauvaise graine est tôt venue.

Mais puisque jusqu’ici l’on ne m’a crue en rien,

       Dès que vous verrez que la terre

       Sera couverte, et qu’à leurs blés

       Les gens n’étant plus occupés

       Feront aux Oisillons la guerre ;

       Quand reginglettes et réseaux

       Attraperont petits Oiseaux,

       Ne volez plus de place en place ;

Demeurez au logis, ou changez de climat :

Imitez le Canard, la Grue et la Bécasse.

       Mais vous n’êtes pas en état

De passer comme nous les déserts et les ondes,

       Ni d’aller chercher d’autres mondes.

C’est pourquoi vous n’avez qu’un parti qui soit sûr :

C’est de vous enfermer aux trous de quelque mur. « 

       Les Oisillons, las de l’entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément

Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre

       Ouvrait la bouche seulement.

       Il en prit aux uns comme aux autres :

Maint Oisillon se vit esclave retenu.


Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres,

Et ne croyons le mal que quand il est venu.

Jean De La Fontaine


George Sand (1804-1876)

À AURORE

La nature est tout ce qu’on voit,

Tout ce qu’on veut, tout ce qu’on aime.

Tout ce qu’on sait, tout ce qu’on croit,

Tout ce que l’on sent en soi-même.

Elle est belle pour qui la voit,

Elle est bonne à celui qui l’aime,

Elle est juste quand on y croit

Et qu’on la respecte en soi-même.

Regarde le ciel, il te voit,

Embrasse la terre, elle t’aime.

La vérité c’est ce qu’on croit

En la nature c’est toi-même.

Victor Hugo (1802-1885)

APRÈS L’HIVER

N’attendez pas de moi que je vais vous donner

Des raisons contre Dieu que je vois rayonner ;

La nuit meurt, l’hiver fuit ; maintenant la lumière,

Dans les champs, dans les bois, est partout la première.

Je suis par le printemps vaguement attendri.

Avril est un enfant, frêle, charmant, fleuri ;

Je sens devant l’enfance et devant le zéphyre

Je ne sais quel besoin de pleurer et de rire ;

Mai complète ma joie et s’ajoute à mes pleurs.

Jeanne, George, accourez, puisque voilà des fleurs.

Accourez, la forêt chante, l’azur se dore,

Vous n’avez pas le droit d’être absents de l’aurore.

Je suis un vieux songeur et j’ai besoin de vous,

Venez, je veux aimer, être juste, être doux,

Croire, remercier confusément les choses,

Vivre sans reprocher les épines aux roses,

Être enfin un bonhomme acceptant le bon Dieu.

Ô printemps ! bois sacrés ! ciel profondément bleu !

On sent un souffle d’air vivant qui vous pénètre,

Et l’ouverture au loin d’une blanche fenêtre ;

On mêle sa pensée au clair-obscur des eaux ;

On a le doux bonheur d’être avec les oiseaux

Et de voir, sous l’abri des branches printanières,

Ces messieurs faire avec ces dames des manières.

26 juin 1878

Victor Hugo

AUX ARBRES

Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme !
Au gré des envieux, la foule loue et blâme ;
Vous me connaissez, vous ! – vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le cœur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’œil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu !
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel ;
Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel ! –
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon cœur est encor tel que le fit ma mère !

Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives !
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt ! C’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.

Victor Hugo, Les Contemplations, 1856


Jacques Prévert (1900-1977)

TANT DE FORÊTS


Tant de forêts arrachées à la terre
et massacrées
achevées
rotativées
Tant de forêts sacrifiées pour la pâte à papier des milliards de journaux attirant annuellement l’attention des lecteurs sur les dangers du déboisement de bois et des forêts.  

                                                                      (La Pluie et le beau temps, 1955)


Georges Brassens (1921-1981)

Le Grand Chêne, une chanson interprétée par Brassens dans la vidéo ci-dessous.

LE GRAND CHÊNE

Il vivait en dehors des chemins forestiers
Ce n’était nullement un arbre de métier
Il n’avait jamais vu l’ombre d’un bûcheron
Ce grand chêne fier sur son tronc

Il eût connu des jours filés d’or et de soie
Sans ses proches voisins, les pires gens qui soient ;
Des roseaux mal pensant, pas même des bambous
S’amusant à le mettre à bout

Du matin jusqu’au soir ces petit rejetons
Tout juste cann’ à pêch’, à peine mirlitons
Lui tournant tout autour chantaient, in extenso
L’histoire du chêne et du roseau

Et, bien qu’il fût en bois, les chênes, c’est courant
La fable ne le laissait pas indifférent
Il advint que lassé d’être en but aux lazzi
Il se résolut à l’exil

A grand-peine il sortit ses grands pieds de son trou
Et partit sans se retourner ni peu ni prou
Mais, moi qui l’ai connu, je sais qu’il en souffrit
De quitter l’ingrate patrie

A l’orée des forêts, le chêne ténébreux
A lié connaissance avec deux amoureux
 » Grand chêne laisse-nous sur toi graver nos noms… « 
Le grand chêne n’as pas dit non

Quand ils eur’nt épuisé leur grand sac de baisers
Quand, de tant s’embrasser, leurs becs furent usés
Ils ouïrent alors, en retenant des pleurs
Le chêne contant ses malheurs

 » Grand chên’, viens chez nous, tu trouveras la paix
Nos roseaux savent vivre et n’ont aucun toupet
Tu feras dans nos murs un aimable séjour
Arrosé quatre fois par jour. « 

Cela dit, tous les trois se mettent en chemin
Chaque amoureux tenant une racine en main
Comme il semblait content ! Comme il semblait heureux !
Le chêne entre ses amoureux

Au pied de leur chaumière, ils le firent planter
Ce fut alors qu’il commença de déchanter
Car, en fait d’arrosage, il n’eut rien que la pluie
Des chiens levant la patt’ sur lui

On a pris tous ses glands pour nourrir les cochons
Avec sa belle écorce on a fait des bouchons
Chaque fois qu’un arrêt de mort était rendu
C’est lui qui héritait du pendu

Puis ces mauvaises gens, vandales accomplis
Le coupèrent en quatre et s’en firent un lit
Et l’horrible mégère ayant des tas d’amants
Il vieillit prématurément

Un triste jour, enfin, ce couple sans aveu
Le passa par la hache et le mit dans le feu
Comme du bois de caisse, amère destinée !
Il périt dans la cheminée

Le curé de chez nous, petit saint besogneux
Doute que sa fumée s’élève jusqu’à Dieu
Qu’est-c’qu’il en sait, le bougre, et qui donc lui a dit
Qu’y a pas de chêne en paradis ?
Qu’y a pas de chêne en paradis ?


Marc Alyn (1937)

LA PLANÈTE MALADE

Je ne sais pas ce qui se passe,
Dit la Terre : j’ai mal au coeur !
Ai-je trop tourné dans l’espace
ou bu trop d’amères liqueurs ?

Les boues rouges, les pluies acides,
Le vert-de-gris dans l’or du Rhin,
Les défoliants, les pesticides,
N’en voilà des poisons malins !

C’est si fort que j’en perds la boule,
J’en ai les pôles de travers,
Ma tête à tant rouler se saoule :
Je vois l’univers à l’envers !

Je songe à ma rondeur de pomme
Dans le commencement des temps,
Juste avant que la dent de l’homme
Ne vienne se planter dedans.

J’étais rouge et bleue, j’étais verte :
Air pur, eau pure, oh ! mes enfants !
La vie partout, la vie offerte
A profusion, à coeur battant !

Puis vint la guerre : chasse à l’homme,
Puis la chasse : guerre à la bête.
A bas l’oiseau ! Mort à l’énorme !
Il faut mettre au pas la planète !

A présent, la chimie me ronge,
Je compte mes baleines bleues,
Mes pandas, mes oiseaux de songe
Qui ferment un à un les yeux.

Au secours, les enfants des hommes !
Le printemps perd son goût de miel.
Redonnez sa fraîcheur de pomme
A la terre, fruit du soleil !

Marc Alyn, Compagnons de la marjolaine,1989


Robert Gélis (1938-2015)

LÀ-BAS

Là-bas la glace est rouge
Et la mer sent la mort ;
Là-bas des hommes tuent,
Sans haine et sans remords.
Au gourdin, c’est moins cher,
Et plus pratique aussi
Qu’un poignard ou qu’un fusil :
Un bon coup bien placé,
Bébé-phoque a trépassé !

« C’est pour la peau, ma chère,
Dont on fait les chaussures
Que vous mettez à Megève.
C’est si commode
Et c’est à la mode…
Le cuir du bœuf
Est beaucoup trop grossier
Pour vos si jolis pieds ! »

Là-bas sur la banquise,
La glace est rouge et nue.
Pour vous chausser, Marquise,
L’Homme se diminue…


                               (2001)

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