Florilège de poèmes français célébrant la nature (1/2)

Loin de se cantonner à des descriptions idylliques, la poésie française regorge de trésors appelant à traiter la nature avec révérence. Car Ronsard n’est pas que Mignonne, allons voir si la rose, La Fontaine n’est pas que Maître corbeau, sur un arbre perché, … En faire une anthologie complète pourrait avoir ses avantages, mais contentons-nous de poser un premier jalon avec le florilège qui suit.

Pierre de Ronsard (1524-1585)

CONTRE LES BÛCHERONS DE LA FORÊT DE GASTINE

Ecoute, Bûcheron, arrête un peu le bras !
Ce ne sont pas des bois que tu jettes à bas ;
Ne vois-tu pas le sang, lequel dégoutte à force
Des nymphes qui vivaient dessous la dure écorce ?

Sacrilège meurtrier, si on pend un voleur
Pour piller un butin de bien peu de valeur,
Combien de feux, de fers, de morts et de détresses
Mérites-tu, méchant, pour tuer nos déesses ?

Forêt, haute maison des oiseaux bocagers,
Plus le cerf solitaire et les chevreuils légers
Ne paîtront sous ton ombre, et ta verte crinière
Plus du soleil d’été ne rompra la lumière,
Plus l’amoureux pasteur, sur un tronc adossé,
Enflant son flageolet à quatre trous percé,
Son mâtin à ses pieds, à son flanc la houlette,
Ne dir’ plus l’ardeur de sa belle Jeanette.
Tout deviendra muet ; Echo sera sans voix ;
Tu deviendras campagne et, en lieu de tes bois
Dont l’ombrage incertain lentement se remue,
Tu sentiras le soc, le coutre et la charrue;
Tu perdras ton silence, et haletants d’effroi
Ni Satyres ni Pans ne viendront plus chez toi.

Adieu, vieille forêt, le jouet de Zéphyre,
Où premier j’accordai les langues de ma lyre,
Où premier j’entendis les flèches résonner
D’Apollon, qui me vint tout le cœur étonner ;
Où premier, admirant la belle Calliope,
Je devins amoureux de sa neuvaine trope,
Quand sa main sur le front cent roses me jeta
Et de son propre lait Euterpe m’allaita.
Adieu, vieille forêt, adieu, têtes sacrées,
De tableaux et de fleurs autrefois honorées,
Maintenant le dédain des passants altérés,
Qui, brûlez en été des rayons éthérés,
Sans plus trouver le frais de tes douces verdures,
Accusent vos meurtriers et leur disent injures.

Adieu, chênes, couronne aux vaillants citoyens,
Arbres de Jupiter, germes Dodonéens,
Qui premiers aux humains donnâtes à repaître !
Peuples vraiment ingrats, qui n’ont su reconnaître
Les biens reçus de vous, peuples vraiment grossiers
De massacrer ainsi nos pères nourriciers !

Que l’homme est malheureux qui au monde se fie !
O Dieux, que véritable est la philosophie
Qui dit que toute chose à la fin périra
Et qu’en changeant de forme une autre vêtira;
De Tempé la vallée un jour sera montagne
Et la cime d’Athos une large campagne,
Neptune quelquefois de blé sera couvert ;
La matière demeure, et la forme se perd.

                Pierre de Ronsard
              (Élégies, XXIV, 1560)


Joachim du Bellay (1522-1560)

AU FLEUVE DE LOIRE

Ô de qui la vive course
Prend sa bienheureuse source,
D’une argentine fontaine,
Qui d’une fuite lointaine,
Te rends au sein fluctueux
De l’Océan monstrueux,
Loire, hausse ton chef ores
Bien haut, et bien haut encores,
Et jette ton oeil divin
Sur ce pays Angevin,
Le plus heureux et fertile,
Qu’autre où ton onde distille.
Bien d’autres Dieux que toi, Père,
Daignent aimer ce repaire,
A qui le Ciel fut donneur
De toute grâce et bonheur.
Cérès, lorsque vagabonde
Allait quérant par le monde
Sa fille, dont possesseur
Fut l’infernal ravisseur,
De ses pas sacrés toucha
Cette terre, et se coucha
Lasse sur ton vert rivage,
Qui lui donna doux breuvage.
Et celui-là, qui pour mère
Eut la cuisse de son père,
Le Dieu des Indes vainqueur
Arrosa de sa liqueur
Les monts, les vaux et campaignes
De ce terroir que tu baignes.
Regarde, mon Fleuve, aussi
Dedans ces forêts ici,
Qui leurs chevelures vives
Haussent autour de tes rives,
Les faunes aux pieds soudains,
Qui après biches et daims,
Et cerfs aux têtes ramées
Ont leurs forces animées.
Regarde tes Nymphes belles
A ces Demi-dieux rebelles,
Qui à grand’course les suivent,
Et si près d’elles arrivent,
Qu’elles sentent bien souvent
De leurs haleines le vent.
Je vois déjà hors d’haleine
Les pauvrettes, qui à peine
Pourront atteindre ton cours,
Si tu ne leur fais secours.
Combien (pour les secourir)
De fois t’a-t-on vu courir
Tout furieux en la plaine ?
Trompant l’espoir et la peine
De l’avare laboureur,
Hélas ! Qui n’eut point d’horreur
Blesser du soc sacrilège
De tes Nymphes le collège,
Collège qui se récrée
Dessus ta rive sacrée.
Qui voudra donc loue et chante
Tout ce dont l’Inde se vante,
Sicile la fabuleuse,
Ou bien l’Arabie Heureuse.
Quant à moi, tant que ma Lyre
Voudra les chansons élire
Que je lui commanderai,
Mon Anjou je chanterai.
Ô mon Fleuve paternel,
Quand le dormir éternel
Fera tomber à l’envers
Celui qui chante ces vers,
Et que par les bras amis
Mon corps bien près sera mis
De quelque fontaine vive,
Non guère loin de ta rive,
Au moins sur ma froide cendre
Fais quelques larmes descendre,
Et sonne mon bruit fameux
A ton rivage écumeux.
N’oublie le nom de celle
Qui toutes beautés excelle,
Et ce qu’ai pour elle aussi
Chanté sur ce bord ici.

Joachim Du Bellay


Jean de la Fontaine (1621-1695)

L’HIRONDELLE ET LES PETITS OISEAUX

Une Hirondelle en ses voyages

Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu

       Peut avoir beaucoup retenu.

Celle-ci prévoyait jusqu’aux moindres orages,

       Et devant qu’ils fussent éclos,

       Les annonçait aux matelots.

Il arriva qu’au temps que la chanvre se sème,

Elle vit un manant en couvrir maints sillons.

«  Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux Oisillons :

Je vous plains ; car pour moi, dans ce péril extrême,

Je saurai m’éloigner, ou vivre en quelque coin.

Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?

       Un jour viendra, qui n’est pas loin,

Que ce qu’elle répand sera votre ruine.

De là naîtront engins à vous envelopper,

       Et lacets pour vous attraper ;

        Enfin mainte et mainte machine

        Qui causera dans la saison

        Votre mort ou votre prison.

        Gare la cage ou le chaudron !

        C’est pourquoi, leur dit l’Hirondelle,

        Mangez ce grain et croyez-moi. « 

        Les Oiseaux se moquèrent d’elle :

        Ils trouvaient aux champs trop de quoi.

        Quand la chènevière fut verte,

L’Hirondelle leur dit : » Arrachez brin à brin

        Ce qu’a produit ce mauvais grain,

        Ou soyez sûrs de votre perte.

-Prophète de malheur, babillarde, dit-on,

        Le bel emploi que tu nous donnes !

        Il nous faudrait mille personnes

        Pour éplucher tout ce canton. « 

        La chanvre étant tout à fait crue,

L’Hirondelle ajouta : «  Ceci ne va pas bien ;

       Mauvaise graine est tôt venue.

Mais puisque jusqu’ici l’on ne m’a crue en rien,

       Dès que vous verrez que la terre

       Sera couverte, et qu’à leurs blés

       Les gens n’étant plus occupés

       Feront aux Oisillons la guerre ;

       Quand reginglettes et réseaux

       Attraperont petits Oiseaux,

       Ne volez plus de place en place ;

Demeurez au logis, ou changez de climat :

Imitez le Canard, la Grue et la Bécasse.

       Mais vous n’êtes pas en état

De passer comme nous les déserts et les ondes,

       Ni d’aller chercher d’autres mondes.

C’est pourquoi vous n’avez qu’un parti qui soit sûr :

C’est de vous enfermer aux trous de quelque mur. « 

       Les Oisillons, las de l’entendre,

Se mirent à jaser aussi confusément

Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre

       Ouvrait la bouche seulement.

       Il en prit aux uns comme aux autres :

Maint Oisillon se vit esclave retenu.


Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres,

Et ne croyons le mal que quand il est venu.

Jean de la Fontaine

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