Nietzsche contre le monde-machine

Extrait de Confronting Technology (2020), un livre du philosophe David Skrbina qui recense différents écrits sur la technologie à travers l’histoire. Ici Friedrich Nietzsche.


Les extraits qui suivent sont tirés de son livre Humain, trop humain II, de 1878 (Le voyageur et son ombre) à l’exception de la dernière citation, issue quant à elle de la Généalogie de la morale. Nombreux sont les exemples d’un tel rejet du développement industriel dans son œuvre.

218. L’enseignement de la machine.

La machine enseigne par son exemple comment engrener ensemble des troupes d’hommes, dans des opérations où chacune n’a qu’une seule chose à faire ; elle fournit le modèle de l’organisation des partis et de la conduite de la guerre. Ce qu’elle n’enseigne pas, en revanche, est la souveraine disposition de soi ; elle fait d’un grand nombre d’êtres une seule machine, et de chaque individu l’instrument d’une fin unique. L’effet le plus général qu’elle obtienne et d’enseigner l’utilité de la concentration.

220. Réaction contre la civilisation de la machine.

La machine, elle-même produit de la plus haute faculté intellectuelle, ne met presque en œuvre chez les personnes qui la servent, que les énergies inférieures, sans pensée. Elle déchaîne ce faisant une quantité prodigieuse d’énergie qui resterait sinon assoupie, c’est vrai ; mais elle ne donne pas l’impulsion de s’élever plus haut, de mieux faire, de devenir artiste. Elle rend actif et uniforme, – mais cela provoque à la longue une réaction, un ennui désespéré de l’âme, qui apprend par lui à aspirer aux divertissements de la paresse.

278. Prémisses du siècle des machines.

La presse, la machine, le chemin de fer, le télégraphe sont des prémisses dont personne n’a encore osé tirer les conclusions pour mille ans.

288. Dans quelle mesure la machine humilie.

La machine est impersonnelle, elle retire, à la pièce travaillée, sa fierté, cette qualité et ces défauts individuels inséparables de tout travail non mécanique, – donc son peu d’humanité. Autrefois, tout achat fait à des artisans était une manière de se distinguer des personnes, des marques desquelles on s’entourait ; le mobilier et le vêtement devenaient de la sorte des symboles d’estime réciproque et d’affinité personnelle, tandis que nous ne semblons plus vivre à présent que parmi une société d’esclaves, anonyme et impersonnelle. – On ne doit pas payer trop cher l’allègement du travail.

La généalogie de la morale (Partie III – Section 9)

« Toute notre manière d’être moderne […] donne l’effet de n’être qu’hybris et impiété […]. Est hybris aujourd’hui toute notre attitude à l’égard de la nature, toute la violence que nous faisons à la nature à l’aide des machines et de l’inventivité sans scrupule de nos techniciens et de nos ingénieurs […]. »

Friedrich Nietzsche

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