Planète-retraites : même combat, même absence de stratégie

⚠️ Ce texte est issu de la rubrique Stratégie du blog (où de nombreux autres articles sont disponibles), afin d’amener un débat constructif sur les luttes en cours : ATR est cependant un mouvement légal et non-violent, et notre propos vise uniquement à questionner les objectifs et stratégies mises en place dans les luttes sociales et écologiques pour gagner en efficacité. Nous n’encourageons pas la pratique d’activités violentes ou illégales.

Contre la folle évolution du capitalisme industriel, nous devons nous organiser efficacement pour reprendre l’offensive.

1,1) Un problème de tactique : nos marches symboliques ne ciblent pas les points faibles

Si quelqu’un vous frappe, vous ne pouvez vous défendre en frappant sur ses poings : vous ne lui ferez pas mal de cette façon. Pour l’emporter dans la bagarre, vous devez le toucher où ça fait mal. Ce qui veut dire atteindre, derrière ses poings, les parties sensibles et vulnérables du corps de l’adversaire.

Imaginez que le bulldozer d’une compagnie forestière arrache des arbres à côté de votre maison. C’est bien la lame du bulldozer qui pousse la terre et couche les arbres au sol. Mais ce serait une perte de temps que de frapper dessus à coups de masse. Consacreriez-vous une longue et pénible journée à vous acharner sur la lame à coups de masse que vous réussiriez sûrement à l’endommager assez pour la rendre inutilisable. Mais, par rapport au reste de l’engin, la lame est relativement bon marché et facile à remplacer. Elle n’est, en somme, que les poings au moyen desquels ce bulldozer frappe la terre. Pour vaincre la machine, il faut atteindre ses parties vitales en allant les chercher derrière les poings. Dans notre contexte, cela suppose que nous ne pouvons pas nous contenter d’occupations éphémères des centres-ville par des marches syndicales : les parties vitales du système, les nœuds de ses flux économiques et énergétiques, sont ailleurs (voir au verso).

 
1,2) Un problème de stratégie : nous agissons comme si on allait gagner facilement

Les mouvements sociaux poursuivent habituellement une stratégie de guerre d’usure. Qu’est-ce qu’une guerre d’usure ? C’est une lutte lente et prolongée, qui vise à affaiblir l’ennemi jusqu’à ce qu’il s’effondre lui-même. Dans notre contexte, cela se traduit par une réaction défensive aux attaques du capitalisme industriel : nous nous opposons à un projet destructeur à la fois. Cette stratégie échoue. Nos victoires occasionnelles contre telle ou telle réforme n’affaiblissent pas réellement les institutions qui développent l’exploitation industrielle ; au mieux, nous ne faisons que ralentir la vitesse à laquelle elle se renforce.

Pour commencer à gagner notre guerre d’usure, nous aurions besoin non seulement de bloquer toute nouvelle loi destructrice, ce que nous sommes loin de réussir ; mais nous devrions également forcer le retrait de nombreuses autres réformes nuisibles déjà passées les dernières années. Et en réalité, même si nous y parvenions, hypothèse fort optimiste, notre stratégie resterait un échec. En effet, la guerre d’usure ne fonctionne que si l’on vainc l’adversaire tout en limitant ses propres pertes. Mais il n’y a rien d’acceptable dans l’augmentation actuelle d’émissions de CO2, ou dans la diminution de la biodiversité. La catastrophe est imminente. Même si nous avions les ressources pour mener une guerre d’usure, ce qui n’est pas le cas, nous n’avons certainement pas le temps. La guerre d’usure est une stratégie absurde dans notre position : nous devons changer d’objectif pour gagner en efficacité stratégique.

1,3) Un problème d’objectif : la clim ne sert à rien dans un immeuble en feu

Nous en avons marre des retournements et des compromissions. Nous savons que nous ne voulons pas travailler plus longtemps pour un système qui détruit la planète et les liens humains. Certes aujourd’hui nous travaillons, mais parce que tout dans ce système a été privatisé. Au point qu’il faut payer pour boire de l’eau, manger une pomme ou avoir un endroit ou dormir. Mais nous savons que la solidarité entre générations peut exister autrement que dans l’économie technologique. Repensons aux modèles des familles et des villages où les anciens s’occupaient des jeunes au coin du feu. Nous refusons donc de laisser entendre qu’il y aurait un compromis acceptable sur cette réforme, ni même qu’on pourrait se contenter de son retrait à l’heure où tout le vernis social du système s’effrite : aucune amélioration ne saurait être durable dans ce cadre étouffant. La seule issue, c’est la mise à l’arrêt des infrastructures industrielles et un changement radical d’organisation sociale.

Ainsi, en plus de manifester, dans l’optique d’enfin commencer à obtenir de réelles victoires, notre nouveau mouvement, Anti-Tech Resistance, vous propose donc de tourner la page.

2,1) Repenser notre organisation collective autour d’objectifs plus ambitieux

Contre les organisations actuelles, bien installées dans le système, partageant sa vision et la majorité de ses objectifs, nous avons besoin d’un renouveau organisationnel. Avec Anti-Tech Resistance, notre proposition est de s’organiser stratégiquement pour une mise à l’arrêt des infrastructures industrielles (ce qui impliquerait par extension un arrêt du travail salarié moderne, et donc de la réforme des retraites qui prétend faire travailler plus longtemps les gens dans ces infrastructures). Afin d’atteindre cet objectif, nous proposons dès maintenant l’organisation de communautés et bases arrière moins dépendantes du système industriel (on pourra pour cela trouver de l’inspiration dans le souvenir des potagers ouvriers qui aidaient le peuple à soutenir les crises où tenir les grèves). Pour cela, plutôt que de supplier les technocrates dirigeants, il s’agit donc de collectivement se former, s’entraider et mettre en commun des ressources, lieux et compétences pour récupérer ensemble l’autonomie dont le système nous a dépossédés en nous enfermant sur ses écrans/dans ses usines.


2,2) Passer d’une stratégie défensive à une stratégie offensive

La guerre contre la planète, contre la majorité des êtres humains et contre les générations futures, repose sur les combustibles fossiles. Pour aller au-delà d’une stratégie d’usure, nous devons penser en matière de systèmes, de flux, de nœuds et surtout de goulots d’étranglement. Nous devons comprendre comment le pétrole, le charbon et le gaz sont extraits, transportés, transformés, distribués et brûlés. Nous devons comprendre à quel endroit le système est faible et à quels endroits nous pouvons intervenir pour un impact maximum. Les systèmes industriels supportent la perte d’une ou deux composantes sans subir de dégâts supplémentaires et résolvent rapidement les problèmes engendrés. Mais ces systèmes sont conçus pour l’efficience (produire beaucoup et vite), non pas la résilience (résister aux chocs). Lorsqu’un nombre suffisant de pièces critiques font défaut simultanément, les défaillances se répercutent dans le système, comme une série de dominos, et entraînent l’arrêt de plus en plus d’éléments. Les impacts augmentent de façon exponentielle, les perturbations les plus longues persistent. Dans les bonnes circonstances, un échec en cascade peut mener tout le système au point mort. On pourra d’ailleurs soutenir cette piste stratégique avec les exemples récents de luttes sociales victorieuses : grèves des routiers, blocage des raffineries… C’est quand on s’en prend à ses points faibles que le système cède.


2,3) Adapter nos tactiques à une meilleure sélection des cibles

Contrairement à la situation actuelle, où les militants sélectionnent les lieux de rassemblements selon des considérations symboliques, la stratégie d’échec en cascade nécessite un choix précis des cibles.

Justement (!), la matrice CARVER, un outil développé il y a plusieurs décennies par des gens qui s’y connaissent en matière de stratégie, permet une meilleure sélection des cibles :

  • Criticité : Quelle est l’importance de l’élément pour le système ?
  • Accessibilité : Est-il facile d’atteindre l’élément ?
  • Récupérabilité : À quel point le système peut-il reprendre rapidement et facilement ses fonctionnalités après avoir endommagé l’élément ?
  • Vulnérabilité : Est-il facile d’endommager l’élément avec les tactiques et armes disponibles ?
  • Effet : Quels sont les effets secondaires indésirables pouvant être entraînés ?
  • Reconnaissabilité : Est-il facile d’identifier la cible dans des conditions défavorables, telles qu’une nuit sombre et pluvieuse ?

La plupart des contestataires, légaux comme illégaux, ont jusqu’à présent choisi des cibles accessibles et vulnérables. Mais elles ne sont ni critiques ni difficiles à remplacer. Des militant.es, soucieux d’être efficaces, devraient penser selon les critères de la matrice CARVER dans le but de déclencher un échec en cascade. Ainsi ils comprendraient qu’il est préférable de bloquer le réseau énergétique que de manifester en centre-ville. Ils comprendraient que certains points faibles ne sont pas nécessairement où on le croit. Enfin, ils comprendraient qu’il est possible de changer le cours de l’histoire.

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