Pour en finir avec la fable de l’autogestion en milieu industriel

Footnote [1] — Voir l’éclairante analyse de Marius Blouin dans De la technocratie : la classe puissante à l’ère technologique, 2023. Selon Lénine, une fois le capitalisme renversé, « une discipline de fer » sera « maintenue par « le pouvoir d’État des ouvriers armés ». L’éventuelle « résistance de ces exploiteurs » sera « matée par la main de fer des ouvriers en armes ». Une fois le « mécanisme admirablement outillé au point de vue technique » affranchi de « parasitisme », « les ouvriers associés peuvent fort bien [le] mettre en marche eux-mêmes en embauchant des techniciens, des surveillants, des comptables ». Tous auront naturellement un « salaire d’ouvrier ». Tout en insistant encore sur la « discipline absolument rigoureuse » imposée par la technologie industrielle, « sous peine d’arrêt de toute l’entreprise ou de détérioration des mécanismes, du produit fabriqué », Lénine écrit que tout ceci peut coexister avec des décisions prises démocratiquement :
« Dans toutes ces entreprises, évidemment, les ouvriers éliront des délégués qui formeront une sorte de parlement. »
Lorsque « les capitalistes et les fonctionnaires » seront renversés, « le contrôle de la production et de la répartition », de même que « l’enregistrement du travail et des produits », seront réalisés par « les ouvriers armés, par le peuple armé tout entier. »
Le leader bolchevique précise encore entre parenthèses :
« Il ne faut pas confondre la question du contrôle et de l’enregistrement avec celle du personnel possédant une formation scientifique, qui comprend les ingénieurs, les agronomes, etc. : ces messieurs, qui travaillent aujourd’hui sous les ordres des capitalistes, travailleront mieux encore demain sous les ordres des ouvriers armés. »
Footnote [2] — https://www.cnrtl.fr/lexicographie/autogestion
Footnote [3] — https://fr.wikipedia.org/wiki/Autogestion
Footnote [4] — Kirkpatrick Sale, La révolte luddite : briseurs de machines à l’ère de l’industrialisation, 2006.
Footnote [5] — Le journaliste scientifique Charles C. Mann donne le nom « d’homogénocène » à cette nouvelle ère qui aurait commencé il y a environ 500 ans avec le développement de routes commerciales internationales traversant les océans, routes mises en place notamment par Christophe Colomb et les autres colons, explorateurs, entrepreneurs et marchands de l’époque : https://orionmagazine.org/article/the-dawn-of-the-homogenocene/
Sur la colonisation culturelle au moyen des écrans, voir cet entretien avec le sociologue gabonais Joseph Tonda : https://www.lemonde.fr/afrique/article/2018/06/29/nicki-minaj-est-la-transfiguration-du-mythe-vaudou-de-mami-wata_5323238_3212.html
Footnote [6] — George Orwell critique dans cette recension de texte la position de son ami anarchiste le poète Herbert Read, auteur de The Paradox of Anarchism. Read ne comprend pas qu’une société industrielle, en raison de ses fondements matériels, impose un haut niveau d’organisation et de hiérarchie.
Footnote [7] — À l’opposé, les techniques démocratiques ou les « outils conviviaux » (Ivan Illich) favorisent l’autonomie à l’échelle individuelle ou locale. Ces techniques rendent possible la constitution d’organisations à taille humaine autonomes (tribu nomade, bourg, village), décentralisées et démocratiques.
Footnote [8] — Voir le cours n°5 de Jancovici donné à Mines ParisTech, plus précisément la partie sur Tocqueville où il discute de l’inefficacité des démocraties et célèbre l’autoritarisme de l’entreprise pour gérer les contraintes : https://jancovici.com/publications-et-co/cours-mines-paristech-2019/cours-mines-paris-tech-juin-2019/
Voir également cet article : https://reporterre.net/Jean-Marc-Jancovici-polytechnicien-reactionnaire
Footnote [9] — Voir cette édifiante série documentaire : https://www.arte.tv/fr/videos/RC-023557/les-camps-secret-du-pouvoir-chinois/
Footnote [10] — « Les Ouïghours sont victimes du premier génocide technologique de l’histoire » : https://www.mediapart.fr/journal/international/280723/les-ouighours-sont-victimes-du-premier-genocide-technologique-de-l-histoire
Footnote [11] — Voir ce rapport de l’ONU : « Une forte croissance du produit intérieur brut et de la population ferait plus que doubler l’extraction intérieure des ressources mondiales, qui passerait de 88 milliards de tonnes en 2015 à 190 milliards de tonnes en 2060. Les besoins supplémentaires en bâtiments et infrastructures se traduiraient par une croissance annuelle de 2,2 pour cent pour les minéraux non métalliques, ce qui représenterait 59 pour cent de l’ensemble des activités d’extraction en 2060. »
https://www.resourcepanel.org/fr/rapports/perspectives-des-ressources-mondiales
Dans un autre rapport, on apprend que sur 100 milliards de tonnes de matériaux engloutis chaque année par le système industriel global, 48 milliards sont employés pour la construction de « bâtiments, d’infrastructures et de machines lourdes ».
https://www.circularity-gap.world/2022
Footnote [12] — Propos tenus par l’ingénieur géologue Aurore Stéphant lors d’une conférence intitulée « La ruée minière au XXIe siècle » : https://youtu.be/i8RMX8ODWQs
Footnote [13] — Voir par exemple le soulèvement populaire déclenché par l’ouverture de la mine de Panguna sur l’île de Bougainville, en Papouasie Nouvelle-Guinée.
Footnote [14] — L’industrialisation est le produit de luttes politiques, cette trajectoire a été imposée par les élites scientifiques et techniques, par la technocratie, voir par exemple Jean-Baptiste Fressoz, L’apocalypse joyeuse, 2012 ; voir aussi François Jarrige, Technocritiques, 2014 ou encore Thomas Le Roux et François Jarrige, La contamination du monde, 2017.
Footnote [15] — Voir la préface de l’historienne Mona Ozouf dans le livre La Fin des terroirs : 1870-1914 d’Eugen Weber :
« De quand, exactement, dater “la fin des terroirs” ? D’une époque incertaine et mouvante, étalée sur le dernier quart du XIXe siècle, et qui se clôt sur le séisme de 1914. Jusqu’à cette date, si décisive, nulle coutume ne disparaissait sans être remplacée par une autre, en laquelle elle se perpétuait tout en se modifiant. À partir de 1914 prend fin ce continuum d’attitudes et de sentiments. Ce qui disparaît, désormais, est sans héritage et sans héritiers.
[…]
C’est seulement avec la guerre de 1914, les tranchées où elle enfouit les paysans, les coupes sombres qu’elle opère dans les familles et les monuments aux morts dont elle couvre les villages qu’on peut tenir pour accomplies les noces de la France avec les Français, bien qu’elles aient été sanglantes, ou précisément parce qu’elles l’ont été. » ↑
Footnote [16] — Voir cet article du média public américain PBS : https://www.pbs.org/newshour/science/how-the-nuclear-bomb-gave-us-the-computer
Voir également : https://en.wikipedia.org/wiki/ENIAC — https://ahf.nuclearmuseum.org/ahf/history/computing-and-manhattan-project/ — https://www.books.fr/lordinateur-est-ne-de-la-bombe-h/
Footnote [17] — Voir cet article paru dans le New Yorker :
« Le réacteur Chicago Pile-1 n'était pas une réalisation scientifique abstraite. Il faisait partie d'un plan beaucoup plus vaste, conçu sous les auspices du projet Manhattan, visant à construire un parc de réacteurs nucléaires de taille industrielle, non pas pour produire de l'énergie électrique (cela viendrait beaucoup plus tard), mais pour produire du plutonium, un combustible pour les armes nucléaires. Pratiquement du jour au lendemain, l'université de Chicago est devenue un important contractant en temps de guerre. (L'un de ses nombreux contrats avec le gouvernement doublait à lui seul le budget de l'école). Les données du Chicago Pile-1 serviront à la conception des réacteurs ultérieurs, y compris celui qui a fourni le plutonium pour le premier essai d'armement nucléaire de l'histoire, connu sous le nom de Trinity, et la bombe atomique larguée sur Nagasaki. »
https://www.newyorker.com/tech/annals-of-technology/remembering-chicago-pile-worlds-first-nuclear-reactor
Footnote [18] — Guillaume Pitron, L’enfer numérique, 2021.
Footnote [19] — Voir Marius Blouin, De la technocratie : la classe puissante à l’ère technologique, 2023 :
« Il y a des amateurs d’usines à gaz parmi les anarchistes et les mutualistes – “Voyez la Catalogne en 1936… – Et la coopérative Mondragon aujourd’hui au Pays basque, avec ses dizaines d’entreprises et ses milliers de sociétaires !” On connaît l’écueil. En régime capitaliste, coopératives et mutuelles doivent suivre les méthodes des entreprises capitalistes pour survivre à la concurrence. Division du travail, auto-exploitation des salariés, gains de productivité, etc. Elles produisent de la marchandise, de la valeur d’échange et non pas de la valeur d’usage. Elles ne sont pas des îlots de socialisme ni d’anarchie dans l’océan du capitalisme, mais un capitalisme participatif dont la main-d’œuvre, ayant intériorisé et repris à son compte les règles d’une saine gestion, lutte pour son entreprise contre les fournisseurs, les clients, la concurrence, etc.
Quant aux coopératives catalanes, comme la Commune, elles ont trop peu duré pour qu’on en puisse tirer autre chose que des amas de pieuse littérature. Deux faits restent certains. 1) “Toute organisation ne profite jamais et ne profitera jamais qu’aux organisateurs.” (Panaït Istrati). 2) Plus la taille de l’organisation augmente, plus elle nécessite de hiérarchie et de spécialisation. Sorti de la horde primitive, il n’y a pas plus d’“organisation anarchiste” que de roue carrée ni d’obscure clarté. Mais libre aux vrais croyants de penser le contraire, de même que les Allemands se crurent sujets du Saint Empire Romain Germanique, de Charlemagne à Napoléon. »
Footnote [20] — Jan Waclav Makhaïski, Anciens et nouveaux maîtres, 1905 :
« La science socialiste s’est efforcée de bien dissimuler, dans son enseignement, le futur maître dont elle prépare la libération et la totale domination. Les savants socialistes ont agi, dans ce cas précis, à l’exemple des politiciens et apôtres de la bourgeoisie du temps de sa lutte contre les nobles. »
Footnote [21] — Les aptitudes physiques et mentales varient au sein des populations d’êtres vivants. Le nier en prétendant que nous serions tous égaux d’un point de vue biologique, une sorte de page blanche ou de matière brute prête à être façonnée par la culture, reviendrait à une négation de la théorie de l’évolution (notamment la variation). Il ne s’agit pas d’un jugement moral mais d’une réalité scientifique, matérielle.
Footnote [22] — Voir James C. Scott, Homo domesticus : une histoire profonde des premiers États, 2019 ; et L’œil de l’État : moderniser, uniformiser, détruire, 1998.
Footnote [23] — Guillaume Faburel, Pour en finir avec les grandes villes : manifeste pour une société écologique post-urbaine, 2020.
Footnote [24] — Ibid.
Footnote [25] — Lewis Mumford, Technique autoritaire et technique démocratique, deux textes datant de 1964 et 1979 regroupés dans un petit ouvrage disponible aux éditions La Lenteur. L’un deux est à lire ici : https://antitechresistance.org/techniques-autoritaires-et-techniques-democratiques-par-lewis-mumford/
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