le pouvoir profite des JO pour étendre le technocontrôle avec la VSA

La vidéosurveillance algorithmique (VSA)

Le 12 avril, le Sénat a adopté une loi autorisant entre autres la mise en place de la vidéosurveillance algorithmique (VSA) dans le cadre des prochains Jeux olympiques de 2024. Cette technologie est particulièrement dangereuse, dans un contexte d’intensification de la répression contre les mouvements sociaux, et pourrait nous coûter beaucoup.

Les Jeux olympiques de Paris 2024 viennent s’ajouter à la liste des événements sportifs globaux qui apparaissaient, par les investissements infrastructurels qu’ils nécessitent, de plus en plus absurdes dans un monde en déliquescence. Comme la neige artificielle des Jeux olympiques d’hiver en Chine et les stades climatisés de la coupe du monde de football au Qatar, on peut s’interroger sur la pertinence de construire aujourd’hui de nouveaux « communs négatifs » quand il s’agirait plutôt de démanteler les existants (et il y a de quoi faire !)[1]. À l’heure de l’urgence écologique et alors que le Président de la République annonçait la « fin de l’abondance » (?) quel intérêt y’a-t-il à artificialiser les terres arables d’Île-de-France pour construire des piscines olympiques[2] ?

Il y a beaucoup à dire sur ces événements[3] et on aurait tort de se limiter à leur impact environnemental : en effet, ils sont aussi des moments de scandaleux manquements aux droits sociaux (humains) les plus fondamentaux[4]. On pourrait penser que de tels agissements sont l’apanage des régimes les plus autoritaires, mais l’examen récent du « projet de loi relatif aux Jeux olympiques et paralympiques de 2024 » nous pousse à en douter – ou à faire l’hypothèse que la France, notre flamboyante démocratie, verse peu à peu vers l’autoritarisme. Dans cet article, nous nous intéressons à une véritable « techno-saloperie » : la vidéosurveillance algorithmique (VSA) adoptée le 12 avril dernier dans l’article 7 de cette loi relative à la sécurisation des JO.

Qu’est-ce que la VSA ?

La vidéosurveillance algorithmique est un dispositif de « vidéoprotection intelligente », pour reprendre les termes de l’administration centrale[5]. Comme la vidéosurveillance classique, elle se fonde sur un ensemble de caméras qui produisent des images dans une optique sécuritaire de prévention des risques, afin de repérer les situations « suspectes » et d’en avertir les agents pour empêcher le drame (la bousculade, le vol, le meurtre, ou pire encore l’attentat…). Rien d’inédit pour la corporation policière, à un point près : cette veille ne sera plus assurée par un agent humain, mais par une intelligence artificielle (IA), réputée capable de « détecter en temps réel des événements prédéterminés (comme des mouvements de foules, un sac abandonné ou des comportements suspects) dans des lieux accueillant des manifestations, à leurs abords et dans les transports en commun »[6]. Ainsi, les algorithmes, codés et entrainés à cette fin, doivent pouvoir détecter automatiquement certains objets, mouvements, situations « suspectes » pour produire des notifications et guider l’intervention policière[7].

Pourquoi il faut s’en inquiéter ?

Comme le rappelle La Quadrature du Net, ce type de dispositif existe déjà : ces technologies de surveillance biométrique sont développées par des entreprises spécialisées, et d’ores et déjà mises en place dans certaines communes de manière opaque et illégale[8]. Toutefois, cette loi olympique vient opérer un véritablement changement d’échelle. Son « expérimentation » dans le cadre des JO ouvre la porte à une utilisation légale et généralisée, potentiellement à terme sur l’ensemble du territoire. En se saisissant de cette technologie, l’État vient démultiplier ses capacités de surveillance et – de facto – de répression.

Le contexte actuel de répression des mouvements sociaux – dans le cadre de la mobilisation contre la réforme des retraites ou des luttes écologistes – nous pousse à nous interroger sur les possibles usages futurs d’un tel dispositif. Si ces technologies sont légitimées dans le discours sécuritaire techno-solutionniste comme prévenant des risques d’attentats terroristes islamistes ou les débordements type Stade de France 2022, quelles garanties avons-nous sur ses utilisations à terme ? Aujourd’hui déjà, le gouvernement et son sinistre ministre de l’intérieur parlent d’ « éco-terrorisme » ou de « terrorisme intellectuel » pour désigner des luttes résolument pacifistes (et inoffensives ?), menacent de dissoudre les Soulèvements de la Terre, répriment leur propre peuple dans une grande violence, au point d’être « prêt à tuer pour un tas de terre » à Sainte-Soline[9]… Nous pouvons penser qu’une redéfinition du « suspect » (terme extrêmement vague) puisse viser, dans un futur proche, non plus la réalisation de possibles attentats mais des actions militantes, de désobéissance civile, voire de simple manifestation. Le terrorisme s’apparente à un cheval de Troie de l’augmentation des capacités de répression de l’État vers des sommets exorbitants, bientôt (déjà) tournées contre les militantes et les militants.

La multiplication des crises annonce une intensification de la surveillance et de la répression. De la même manière, les grands événements rassemblant les foules sont opportunément utilisés comme prétexte pour introduire de nouvelles technologies extrêmement intrusives, comme le souligne Mathieu Rigouste.

« L’accélération des crises politiques, économiques, sociales, sanitaires et climatiques constitue l’un des principaux terrains d’intensification de ces dynamiques sécuritaires et d’expansion du pouvoir policier. Mais elles sont aussi à l’œuvre à travers la succession des “grands projets” et des “grands événements” internationaux[10]. »

Refuser la VSA et son monde 

Petit à petit, nous semblons nous avancer sur le chemin de l’autoritarisme. L’État se renforce, prenant appui sur ces technologies de surveillance et de contrôle. Plusieurs associations se battent avec vigueur pour saborder cette trajectoire : la Quadrature du Net milite exemplairement pour le choix politique de refuser cette technologie (entre autres). Malheureusement, son appel n’a pas été entendu, la loi ayant été définitivement adoptée au Sénat le 12 avril 2023.

Alors que Noémie Levain, juriste et membre de l’association, était l’invitée en janvier de La question du jour sur France Culture, le journaliste Guillaume Erner qui l’interrogeait eut un moment d’illumination ellulienne :

« On sait que toutes les technologies, à terme, finissent par être utilisées. »[11]

De cette manière, sans le citer (en avait-il conscience ?), il reformule l’une des caractéristiques du système technicien énoncées par Jacques Ellul à partir d’une formule du physicien Denis Gabor :

« Tout ce qu’il est possible de faire doit être fait. »

En ce sens, il faut garder à l’esprit qu’il est dans l’ordre des choses que l’État cherche à agrandir son pouvoir au moyen des technologies. En outre, le système technologique se développe grâce au contrôle des individus. C’est donc tout à fait logique de voir se multiplier les technologies de surveillance, pour discipliner les individus et les conformer au système technologique. Jacques Ellul avait prévenu dès 1954.

« Les techniques policières, qui se développent à une cadence extrêmement rapide, ont pour fin nécessaire la transformation de la nation tout entière en camp de concentration. Ce n’est pas une décision perverse de tel parti, de tel gouvernement ; mais pour être certain d’attraper des criminels, il faut que chacun soit surveillé, que l’on sache exactement ce que fait chaque citoyen, ses relations, ses habitudes, ses distractions… Et l’on est de plus en plus en mesure de le savoir.

Cela ne veut pas dire que la terreur règne ; cela ne veut pas dire que l’on est arrêté arbitrairement : la meilleure technique est celle qui se fait le moins sentir, qui pèse le moins. Mais cela veut dire que chacun doit être rigoureusement connu et surveillé discrètement. Et cela provient uniquement du perfectionnement des méthodes[12]. »

À l’occasion de cette fête des Jeux olympiques et de sa fuite en avant techno-sécuritaire, formulons une critique systémique de ce qui fait système. Cette surveillance de masse n’est que le produit du système technologique, qu’il s’agit de mettre hors d’état de nuire.

Téji S.


  1. Emmanuel Bonnet, Diego Landivar et Alexandre Monnin. Héritage et fermeture. Une écologie du démantèlement. Divergences, 2021.

  2. Collectif Saccage Paris. Défendons les jardins contre l’olympisme et son monde. Lundi Matin, mai 2021. https://lundi.am/Defendons-les-jardins-contre-l-olympisme-et-son-monde

  3. Concernant Paris 2024, on redirigera vers le site de Saccage 2024 et sa « remorque-à-info ». https://saccage2024.noblogs.org/archives/category/general/remorqueavelo

  4. On sait qu’ au Qatar, la construction de ces infrastructures s’est faite au mépris des droits des travailleurs. Voir, entre autres : https://www.amnesty.org/en/latest/campaigns/2016/03/qatar-world-cup-of-shame/

  5. Pour une présentation pédagogique et apaisée de la dystopie en marche, consulter : https://www.vie-publique.fr/loi/287639-loi-jo-2024-jeux-olympiques-et-paralympiques-de-paris-2024.

  6. Nous reprenons à nouveau les termes officiels de Vie Publique.

  7. Pour une présentation plus exhaustive sur le plan technique (mais aussi juridique !), voir le dossier d’analyse de la Quadrature du Net : https://technopolice.fr/wp-content/uploads/2023/01/Dossier-VSA-LQDN.pdf

  8. La Quadrature du Net, Loi JO : refusons la surveillance biométrique https://www.laquadrature.net/biometrie-jo/

  9. Christophe Bonneuil « Prêt à tuer pour un tas de terre » Terrestres. https://www.terrestres.org/2023/03/30/pret-a-tuer-pour-un-tas-de-terre/

  10. Mathieu Rigouste, La Police du futur, 2022.

  11. Disponible sur https://www.youtube.com/watch?v=xbNCEZIkXU4

  12. Jacques Ellul, La Technique ou l’Enjeu du siècle, 1954.

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