portrait de Theodore Kaczynski

Qui est Theodore Kaczynski ?

Theodore Kaczynski est un intellectuel né le 22 mai 1942 à Chicago. Élève brillant, ce fils d’ouvriers est accepté à l’université d’Harvard à seulement 16 ans. Docteur en mathématique, Kaczynski réussit à démontrer le théorème de Wedderburn et devient le plus jeune professeur de l’histoire de Berkeley, la meilleure université du pays. Refusant de faire carrière dans la recherche, il y enseigne deux ans avant de démissionner en 1969 pour vivre en autonomie (« j’en ai assez d’enseigner aux ingénieurs ce qui servira à détruire l’environnement »). Depuis sa forêt du Montana, il assiste, impuissant, à la destruction technologique de la vie sauvage alentour. Longtemps passionné d’anthropologie, découvrant notamment les travaux de l’anarchiste français Jacques Ellul dans La Technique ou l’Enjeu du siècle (dont l’analyse du péril technologique est un classique sociologique), Kaczynski entreprend de rédiger un ouvrage plus complet et plus accessible. Par des méthodes très discutables*, le mathématicien parvient à faire publier son manifeste dans le New York Times du 19 septembre 1995 — qui s’écoulera à plus d’un million d’exemplaires.

Aux États-Unis, les idées de Theodore Kaczynski séduisent de plus en plus de personnes aux profils très variés, des anarchistes aux environnementalistes[1], en passant par certains conservateurs[2] ainsi que de nombreux adolescents exprimant leur rejet de la modernité sur TikTok. Dans un article paru en 2021 dans The Baffler, on peut lire que les « hashtags #tedpill, #tedk et #tedkazcynski » totalisent collectivement « des millions de vues[3] ». Avaler la « pillule Ted », c’est rejeter la technologie moderne et embrasser le retour à un mode de vie préindustriel plus proche de la nature.

Ted Kaczynski pris en photo devant sa cabane en 1972, dans les forêts du Montana. Il y a vécu en autonomie presque totale durant plus de deux décennies.

Thèses défendues

Son manifeste, La Société industrielle et son avenir, devient rapidement une référence en sciences sociales. De la première traduction de 1996 aux éditions du Rocher jusqu’à celle des éditions Xenia en 2008, le manifeste français est cependant truffé d’inexactitudes (sens inversé, paragraphes manquants, fautes d’orthographe…). Il vient enfin d’être officiellement traduit en version augmentée aux Éditions LIBRE.

Armé des concepts de sur-socialisation, de processus de pouvoir et d’activités de substitution, Ted Kaczynski résume, avec un matérialisme rigoureux, ses postulats principaux :

  1. Le système technologique nous conduit inéluctablement à un désastre liberticide et écocide ;
  2. Ne pouvant être réformé en faveur de la liberté, seul son effondrement devra empêcher le désastre ;
  3. La gauche est la première ligne de défense contre la révolution anti-tech ;
  4. Il faut un mouvement révolutionnaire se fixant comme objectif le démantèlement total du système techno-industriel (prenant des mesures pour tenir à l’écart les gauchistes).

Critique du gauchisme

Theodore Kaczynski livre une éclairante analyse de la « psychologie du gauchisme » moderne (morale devant beaucoup au « post-structuralisme »). Loin de rejeter en bloc les idées de gauche ou de défendre l’ethno-nationalisme (rejeté via une lettre spécifique dans le Manifeste), le gauchisme est chez lui davantage considéré comme un trait psychologique des « sur-socialisés » (intellectuels bourgeois occidentaux, faux rebelles ayant intégré les valeurs étatistes du système). Le gauchisme 1) est une synthèse des souffrances psychiques modernes et 2) nuit à la lutte révolutionnaire en attaquant les points non-sensibles du système (corrompant ainsi les mouvements par le culte de la pureté). Le gauchisme est alors le symptôme et l’anticorps du système. En deux mots, pour Kaczynski (qui revendique plusieurs fois, en anarchiste proche de Lewis Mumford, ne pas être idéologiquement opposé aux libertés des minorités), le gauchiste est celui qui est stratégiquement inefficace.

Le manifeste qui a fait connaître Theodore Kaczynski, texte où il développe sa critique du gauchisme moderne.

Sur-socialisation

La sur-socialisation est le fait pour une personne d’être incapable de déroger au code moral – extrêmement exigeant – de notre société sans que cela génère en elle un profond sentiment de culpabilité, de honte et de haine de soi. Ainsi, « la personne sursocialisée est tenue psychologiquement en laisse et suit les rails posés par la société pour guider sa vie. » Le gauchiste tente de sectionner sa laisse et de se rebeller, mais la plupart du temps ses revendications sont en accord avec la morale du système. Il apparaît donc comme un catalyseur pour forcer l’adaptation de la société à son substrat matériel – le système technologique.

Processus de pouvoir

Pour être heureux, l’homme a besoin de se donner des buts réalisables, de difficulté modérée, pour accomplir son « processus de pouvoir ». Dans la société industrielle, ce processus est entravé. Les activités proposées requièrent de plus en plus souvent un effort physique et mental minimal pour satisfaire ses besoins vitaux (ceci n’est évidemment pas vrai pour tous les emplois, il s’agit d’une tendance générale des sociétés industrialisées). Or quand le processus de pouvoir n’est pas accompli naissent les « activités de substitution », des buts artificiels dont l’hédonisme passif est la plus récurrente caractéristique. Cela cause frustration permanente et dépendance au système techno-industriel.

Activités de substitution

D’après Kaczynski, « quand les gens n’ont pas à fournir d’efforts pour satisfaire leurs besoins physiques, ils s’inventent souvent des buts artificiels. » La société moderne offre aux humains un catalogue prolifique d’activités de substitution : « la recherche scientifique, les exploits sportifs, l’action humanitaire, la création artistique et littéraire, l’ascension professionnelle, l’accumulation d’argent et de biens très au-delà des besoins physiques, ou encore le militantisme en faveur de causes ne concernant pas directement le militant, à l’instar des Blancs qui s’occupent des droits des minorités non blanches. » Cependant, les activités de substitution parviennent rarement à se substituer complètement à des buts réels et à satisfaire le processus de pouvoir. Les humains modernes ne sont « jamais satisfaits, jamais tranquilles », ils en veulent toujours plus. La frustration est leur fardeau quotidien.

Mensonges colportés par les médias

Theodore Kaczynski serait fou

Theodore Kaczynski est malgré lui devenu sujet de récupération hollywoodienne. Précurseur incompris, penseur et ermite, dénoncé par son frère, trahi par ses avocats, dépeint comme fou par beaucoup, alimentant de fausses rumeurs sur le projet dit MK-Ultra, sa vie a inspiré un long-métrage (Ted K) et deux séries Netflix. L’une d’entre elles, Manhunt Unabomber, est une fiction retraçant plus ou moins fidèlement une partie de son existence, contribuant à démocratiser ses idées auprès d’un nouveau public.

Le projet MK-Ultra est le nom de code d’un projet de la CIA visant à développer des techniques de contrôle et de programmation de l’esprit.

Si le projet MK-Ultra a bel et bien existé, il a aussi stimulé l’imaginaire des théoriciens du complot. Certains journalistes peu scrupuleux se sont aussi amusés à propager des rumeurs, à l’instar d’Alston Chase et de son article « Harvard and the Making of the Unabomber » paru en 2000 dans The Atlantic. Selon Kaczynski, le papier d’Alston Chase aurait été le point de départ de spéculations innombrables sur sa prétendue participation au projet MK-Ultra. Theodore Kaczynski dément avoir été sujet à des tortures lors des expérimentations menées à Harvard par le professeur Henri Murray. Dans une lettre, il explique avoir participé à des entretiens et à des tests de personnalité qui étaient loin de pouvoir être qualifiés de « torture ».

Une lettre où Kaczynski dément avoir été sujet à des tortures par le docteur Murray.

Le journaliste de The Atlantic prétend que les thèses politiques du mathématicien seraient en partie le résultat des traitements que ce dernier aurait subis durant les expérimentations de Murray à Harvard. Kaczynski serait « diabolique », un monstre à l’instar des terroristes du World Trade Center ou de Staline. En écrivant cela, Alston Chase montre seulement qu’il ignore beaucoup de choses sur la psychologie humaine, car comme l’écrit l’éminent psychologue Philippe Rochat dans son dernier livre, « les monstres inhumains n’existent que dans notre tête », dans notre esprit simplificateur.

C’est probablement pour neutraliser la portée politique des idées de Theodore Kaczynski que le système médiatique et l’industrie du divertissement tentent de le faire passer pour un fou. On observe à travers l’histoire ce même mécanisme de défense utilisé par le pouvoir à l’encontre des dissidents politiques. Invoquer la folie permet de discréditer des idées, de les présenter comme illégitimes aux yeux des masses. Personne ne prendrait le temps de s’intéresser aux idées d’un fou, encore moins de lire ses écrits. On observe une réaction similaire du pouvoir à l’encontre des écologistes en général, du fondateur de Sea Shepherd Paul Watson aux militants radicaux s’attaquant aux mégabassines agricoles.

En définitive, il suffit de lire les écrits de Kaczynski pour en arriver à la conclusion suivante : Ted Kaczynski n’est pas fou. Il est plutôt très lucide. Un certain nombre de ses anticipations faites au cours des années 1990 dans La Société industrielle et son avenir ont depuis été confirmées.

Theodore Kaczynski serait fasciste

Kaczynski est également récupéré par l’extrême-droite à cause de sa critique du « gauchisme ». Ajouter une critique de la « psychologie du droitisme » à son manifeste aurait certainement évité cette récupération. Dans une lettre, le mathématicien a explicitement rejeté toute accointance avec l’extrême droite et se présente comme un « adversaire » des éco-fascistes. Ces derniers cultivent, tout comme les éco-socialistes, l’utopie héritée des Lumières d’une société planifiée à l’aide de la rationalité scientifique.

À gauche comme à droite, ils rêvent naïvement d’une technologie « limitée » et « sagement utilisée » qui permettrait de conserver l’habitabilité de la planète. Pourtant, l’histoire nous a enseigné à maintes reprises qu’il est impossible de contrôler rationnellement le développement d’une société. Pour terminer, Kaczynski ajoute qu’un « véritable mouvement anti-tech rejette toute forme de racisme ou d’ethno-centrisme », pour des raisons purement stratégiques, car un tel mouvement doit être internationaliste. Dans le cas contraire, la partie du monde dotée de la puissance technologique la plus importante éradiquera ou absorbera les autres sociétés et finira par rendre la planète inhabitable.

Les livres de Kaczynski

La Société industrielle et son avenir

Premier ouvrage de Theodore Kaczynski publié fin des années 1990, ce texte succinct d’une centaine de pages livre un regard nouveau sur le système techno-industriel et ses implications. La catastrophe environnementale résultant de l’industrialisation ayant largement été documentée, l’auteur préfère s’intéresser aux effets sociaux de la technologie : annihilation de la liberté, aliénation généralisée, humiliations répétées, hausse exponentielle de la souffrance mentale dans les pays du Nord et de la souffrance physique dans le Sud global, destruction croissante des conditions d’habitabilité de la planète, etc. L’ensemble de ces maux sont le produit du développement de la technologie. C’est pourquoi l’auteur préconise une révolution qui ciblerait les « bases économiques et technologiques de la société actuelle. »

L’Esclavage Technologique

Dans son récent livre L’Esclavage Technologique, toujours aux Éditions LIBRE, Ted Kaczynski rassemble essais inédits et meilleures correspondances pour démontrer notamment que la haute technologie, étant inadaptée au fonctionnement de notre cerveau (stable depuis le paléolithique), impose un stress considérable aux êtres humains. Afin de soigner les individus et servir le système, le développement technologique permettra de contrôler nos cerveaux et nos gènes — une condition qu’ATR juge indigne et déshumanisante.

Révolution Anti-Tech

Ayant appris de ses erreurs passées, Kaczynski encourage ses lecteurs à s’organiser stratégiquement dans le fondamental Révolution Anti-Tech : pourquoi et comment paru en 2016. Sondant l’histoire et les sciences dures, la théorie évolutionniste de Kaczynski explique de façon convaincante que plus un système se complexifie, plus son instabilité augmente : comme pour les prédictions économiques ou météorologiques, « l’échec est la norme » en matière de planification étatique. Cette impossibilité de planifier le développement d’une société à long terme implique de précipiter l’inéluctable effondrement du système technologique, menace première. Dans ses deux derniers chapitres, à travers un examen des mouvements passés identifiant les erreurs stratégiques à éviter, Kaczynski pose donc pour la première fois les règles objectives qu’un nouveau mouvement révolutionnaire doit suivre pour sauver les conditions de vie sur Terre.

Films et documentaires

Das Netz

Das Netz (La Toile ou Voyage en cybernétique dans sa version française) est un documentaire indépendant allemand réalisé par Lutz Dammbeck sorti en 2005. Diffusé par Arte et sous-titré Unabomber, le LSD et l’Internet, ce film aide à mieux comprendre l’évolution récente du système technologique global. Celui-ci s’est renforcé durant la seconde moitié du XXe siècle avec l’essor d’une nouvelle science, la cybernétique. Cette discipline a enfanté ce que certains appellent la troisième révolution industrielle – le développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication (ordinateurs, réseaux, Internet, intelligence artificielle, etc.) survenu après la Seconde Guerre mondiale.

Lutz Dammbeck s’intéresse à la rencontre du monde de l’art – notamment la contre-culture des années 1960 – et de l’univers des sciences et de l’informatique. Il part aux États-Unis interroger des personnages influents dont John Brockman, David Gelernter, Robert Taylor et Stewart Brand qui ont tous joué un rôle déterminant dans l’essor de la cybernétique et la diffusion de la pandémie NTIC (Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication). Le film est rythmé par des échanges de lettres entre Theodore Kaczynski et Lutz Dammbeck.

Welcome To The Machine

Welcome To The Machine est un documentaire réalisé par Avi Weider sorti en 2013 aux États-Unis. Ponctué d’interviews de technologistes (Ray Kurzweil, Jaron Lanier, Rodney Brooks, David Gelernter, Kevin Kelly) et de technocritiques (David Skrbina, Shelly Turkle), le film explore comment la technologie modifie l’être humain pour en changer la signification. La frontière entre l’humain et la machine tend à s’effacer, car le développement technologique refaçonne continuellement l’être humain – et la société tout entière – sur le modèle de la machine.

Unabomber : In His Own Words

À ne pas confondre avec la fiction Manhunt, cette série documentaire produite par Netflix (Unabomber : Sa vérité en version française) retrace le parcours de Theodore Kaczynski. Bien que critiquable sur certains aspects, notamment la présence d’éléments fallacieux dans la biographie du mathématicien, le documentaire a le mérite de rétablir quelques vérités, de donner la parole au principal intéressé, à ses camarades de Harvard, à son gardien de prison ou encore au philosophe technocritique David Skrbina.

Ted K

Ted K est un biopic sur la vie d’ermite menée par Kaczynski dans les forêts du Montana. Il observe peu à peu la lèpre industrielle dévaster ses paisibles montagnes (épandage de pesticides pour tuer la végétation sous les lignes à haute tension, largage d’explosifs par hélicoptère pour détecter des gisements de pétrole, déforestation, survols d’avions militaires à basse altitude, etc.). Le film retranscrit assez fidèlement la sensation de rage que l’on peut éprouver à la vue d’une pelleteuse violant une forêt ancienne.

Remarque importante

*Afin de faire publier son manifeste et de lui assurer un maximum de visibilité, Theodore Kaczynski s’est lancé dans une campagne d’envoi de colis piégés, principalement à destination d’intellectuels influents qui défendaient et/ou participaient activement au développement du système technologique.

Si nous partageons nombre des lucides analyses d’Unabomber sur les implication sociales du progrès technologique, nous ne cautionnons absolument pas ses actes. Nous avons choisi dans cet article de concentrer le propos sur les idées politiques et les analyses anthropologiques de Kaczynski, ces dernières étant bien moins connues que son passé violent. Nous tenons à rappeler au lecteur que ATR est une organisation légale et non violente.


  1. https://nymag.com/intelligencer/2018/12/the-unabomber-ted-kaczynski-new-generation-of-acolytes.html

  2. https://www.foxnews.com/opinion/was-the-unabomber-correct

  3. https://thebaffler.com/latest/influencer-society-and-its-future-semley-millar

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