Les armes biologiques personnalisées seront bientôt une réalité
Nous avons traduit un long article paru en 2012 dans le magazine américain The Atlantic. Le journaliste Steven Kotler, le microbiologiste et généticien Andrew Hessel et l’expert en sécurité Marc Goodman faisaient le point sur les avancées des biotechnologies et dressaient un tableau effrayant. Ils expliquaient en détail comment le progrès technologique rend de plus en plus facile et indétectable la conception d’armes biologiques par des acteurs malveillants. Un article intéressant qui permet de mieux comprendre l’histoire, le fonctionnement et le développement du secteur des biotechnologies.
Ces armes biologiques d’un nouveau genre peuvent être personnalisées pour cibler précisément certains types d’ADN (dans le but d’éradiquer une population présentant certaines caractéristiques génétiques par exemple) voire un ADN unique (pour tuer une personne spécifique, une célébrité ou une personnalité politique). L’autre intérêt de cet article est d’appuyer l’analyse que fait ATR du système technologique : impossibilité de contrôler le développement technologique et ses conséquences ; destruction de l’autonomie des organismes vivants et soumission au despotisme technocratique ; escroquerie de l’open source présenté comme une émancipation ; etc.
Image de l'article : la société Illumina affirme que sa machine NovaSeq X permettra de ramener le prix du séquençage à 200 dollars par génome humain. L'ère du séquençage rapide et bon marché du génome est arrivée, et ce n'est pas une bonne nouvelle.
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Pirater l’ADN du président
Le gouvernement américain collecte discrètement l'ADN des dirigeants mondiaux et protégerait celui de Barack Obama. Une fois décodés, ces génomes pourraient fournir des informations compromettantes. Dans un avenir pas si lointain, ils pourraient aussi fournir quelque chose de plus : la base pour la création d'armes biologiques personnalisées capables d’abattre un président sans laisser de traces.
VOICI COMMENT le futur a débarqué. Tout a démarré de manière innocente, au début des années 2000, lorsque certaines entreprises ont commencé à se rendre compte que des tâches hautement qualifiées, auparavant effectuées en interne par un seul employé, pouvaient être efficacement confiées à un groupe plus large de personnes par l’intermédiaire d’Internet à [pratique aussi connue sous le nom de crowdsourcing, NdT]. Au départ, il s'agissait juste de concevoir des T-shirts (Threadless.com) et de rédiger des encyclopédies (Wikipedia.com). Mais très vite, cette tendance a fait son chemin dans les sciences exactes. Très vite, la recherche de vie extraterrestre, le développement de voitures autonomes et le pliage d'enzymes en nouvelles protéines ont été réalisés de cette manière. Les outils fondamentaux de la manipulation génétique – des outils qui coûtaient des millions de dollars il y a à peine dix ans – ayant chuté de façon vertigineuse, crowdsourcer la conception d'agents biologiques était la prochaine étape logique.
En 2008, des concours informels de conception d'ADN offrant de petites récompenses ont rapidement vu le jour. Puis en 2011, avec le lancement du défi à 100 millions de dollars de General Electrics contre le cancer du sein, le domaine est passé à des concours plus sérieux. Au début de l'année 2015, alors que les thérapies géniques personnalisées pour les cancers en phase terminale étaient à la pointe de la médecine, des sites web de conception de virus ont commencé à apparaître. Les visiteurs pouvaient télécharger des informations sur leur maladie et les virologues pouvaient fournir des recettes pour une cure personnalisée. D'un point de vue médical, tout cela était parfaitement logique : la nature avait fait un excellent travail de conception des virus pendant des millions d’années. Avec un peu de bidouillage, ils devenaient des véhicules idéaux pour administrer des thérapies géniques.
Très vite, ces sites ont été inondés de demandes qui allaient bien au-delà du cancer. Agents de diagnostic, vaccins, antimicrobiens voire médicaments psychoactifs de synthèse, tous ces produits figuraient au menu. Ce que les gens ont fait de ces produits biologiques est une énigme pour tout le monde. Aucun organisme international n'avait encore été créé pour les surveiller.
Ainsi, en novembre 2016, lorsqu'un visiteur novice répondant au nom de Cap'n Capsid a proposé un défi sur le site de conception virale 99Virions, aucune alarme n'a retenti ; son défi était banal et comptait parmi l'une des quelque 100 demandes de conception soumises ce jour-là. Cap'n Capsid était peut-être un consultant de l'industrie pharmaceutique, et son défi une nouvelle tentative de comprendre l'évolution radicale du paysage de la recherche et du développement. En fait, il aurait pu être n'importe qui, mais le problème n'en était pas moins intéressant. De plus, Capsid offrait 500 dollars pour le projet gagnant, ce qui n'est pas rien pour seulement quelques heures de travail.
Plus tard, les journaux de connexion de 99Virions montreront que l'adresse IP de Cap'n Capsid provenait du Panama, bien qu'il s'agisse probablement d'une fausse IP. La spécification de la conception elle-même n'a pas soulevé d'inquiétude. Rédigée en SBOL, un langage open-source très prisé par les adeptes de la biologie synthétique, elle ressemblait à une demande de vaccin standard. Les gens se sont donc mis au travail, tout comme les programmes informatiques automatisés qui avaient été écrits pour faire évoluer automatiquement les nouveaux modèles. Ces algorithmes devenaient de plus en plus performants et remportaient près d'un tiers des défis.
En l'espace de 12 heures, 243 modèles ont été soumis, la plupart par des systèmes informatiques. Mais cette fois, le gagnant, GeneGenie27, était un être humain : un étudiant de 20 ans de l'université de Columbia doué pour la virologie. Son projet a été rapidement transmis à une place de marché biosynthétique en ligne florissante basée à Shanghai. Moins d'une minute plus tard, une start-up islandaise spécialisée dans la synthèse a remporté le contrat pour transformer les 5 984 paires de bases en matériel génétique réel. Trois jours plus tard, un paquet de microcomprimés de 10 milligrammes à dissolution rapide a été placé dans une enveloppe FedEx et remis à un coursier.
Deux jours plus tard, Samantha, étudiante en deuxième année de science politique à l'université de Harvard, a reçu le colis. Pensant que c’était un nouveau psychédélique synthétique qu'elle avait commandé en ligne, elle glissa un comprimé dans sa narine gauche ce soir-là, puis se dirigea vers son placard. Après avoir terminé de s'habiller, le comprimé avait commencé à se dissoudre et quelques brins de matériel génétique étranger avaient pénétré dans les cellules de sa muqueuse nasale.
Mais cette drogue de soirée ne semblait lui avoir donné que la grippe. Plus tard dans la nuit, Samantha souffrait d’une légère fièvre et excrétait des milliards de particules virales. Ces particules se répandaient sur le campus dans une réaction en chaîne à croissance exponentielle qui, hormis la légère fièvre et quelques éternuements, était absolument inoffensive. Tout change lorsque le virus rencontre des cellules contenant une séquence d'ADN très spécifique, une séquence qui agit comme une clé moléculaire pour déverrouiller des fonctions secondaires moins inoffensives. Cette séquence secondaire déclenche une maladie neurodestructrice à action rapide qui entraîne des pertes de mémoire puis la mort. La seule personne au monde possédant cette séquence d'ADN était le président des États-Unis, qui devait s'exprimer à la Kennedy School of Government de Harvard dans le courant de la semaine. Bien sûr, des milliers de personnes sur le campus auraient la morve au nez, mais les services secrets ne se douteraient probablement de rien.
Nous étions en décembre, après tout, la saison du rhume et de la grippe.
LE SCENARIO QUE NOUS VENONS d'esquisser peut sembler relever de la science-fiction – et, en effet, il comporte quelques sauts futuristes. De nombreux membres de la communauté scientifique diront que l’enchainement des événements est trop rapide. Pourtant, depuis le début de ce siècle, l'accélération du développement technologique a montré une nette tendance à rendre l'impossible possible, et en un rien de temps. L'année dernière, Watson, une intelligence artificielle d'IBM, a compris le langage naturel suffisamment bien pour battre le champion humain Ken Jennings au jeu Jeopardy. À l'heure où nous écrivons ces lignes, des soldats dotés de membres bioniques reprennent du service et des voitures autonomes circulent dans nos rues. Pourtant, la plupart de ces avancées sont minimes par rapport au grand bond en avant que connaissent actuellement les biosciences, un bond dont nous commençons à peine à imaginer les conséquences.
Les armes biologiques personnalisées constituent une menace plus subtile et moins catastrophique que les épidémies accidentelles ou les armes de destruction massive. Cependant, la probabilité que les armes biologiques personnalisées soient utilisées est beaucoup plus élevée.
Plus précisément, l'ADN des dirigeants mondiaux fait déjà l'objet d'intrigues. Selon Ronald Kessler, auteur du livre In the President's Secret Service (2009), les stewards de la marine rassemblent les draps de lit, les verres à boire et d'autres objets que le président a touchés – ils sont ensuite stérilisés ou détruits – afin d'empêcher d'éventuels malfaiteurs d'obtenir son matériel génétique. (Les services secrets n'ont pas voulu confirmer ou infirmer cette pratique, pas plus qu'ils n'ont voulu commenter tout autre aspect de cet article). Selon des informations secrètes publiées en 2010 par WikiLeaks, la secrétaire d'État Hillary Clinton a ordonné à nos ambassades de prélever discrètement des échantillons d'ADN sur des chefs d'État étrangers et des hauts fonctionnaires des Nations unies. Il est clair que les États-Unis voient un avantage stratégique à connaître l’ADN des dirigeants du monde ; il serait surprenant que d'autres nations ne soient pas du même avis.
Bien qu'aucune utilisation d'une arme biologique avancée, avec ciblage génétique, n'ait été signalée, les auteurs de cet article – dont un expert en génétique et en microbiologie (Andrew Hessel) et un expert en sécurité et en criminalité (Marc Goodman) – sont convaincus que nous nous rapprochons de cette éventualité. La plupart des technologies nécessaires sont là et répondent déjà aux besoins des groupes universitaires de R&D et des entreprises de biotechnologie. Ces technologies deviennent de plus en plus puissantes, en particulier celles qui permettent de manipuler facilement l'ADN.
L'évolution du traitement du cancer permet de comprendre ce qui est en train de se passer. La plupart des médicaments anticancéreux tuent les cellules. Les chimiothérapies actuelles sont issues d'agents de guerre chimique : nous avons transformé des armes en médicaments contre le cancer, même si elles sont rudimentaires. Et comme dans le cas des bombardements, les dommages collatéraux sont inévitables. Mais aujourd'hui, grâce aux progrès de la génétique, nous savons que chaque cancer est unique, et la recherche s'oriente vers le développement de médicaments personnalisés – des thérapies sur mesure qui peuvent exterminer des cellules cancéreuses spécifiques, d'une manière spécifique, et chez une personne spécifique ; des thérapies aussi précises que des lasers.
Il est vrai qu'au tournant du millénaire, la médecine personnalisée a fait l'objet d'un grand battage médiatique, en particulier dans le domaine de la génétique. Une grande partie de cet engouement a aujourd'hui disparu. La tendance dominante est que la technologie n'a pas été à la hauteur des discours, ce qui n'est pas surprenant. Gartner, une société de recherche et de conseil dans le domaine des technologies de l'information, a inventé le terme hype cycle [cycle d’emballement, NdT] pour décrire exactement ce type de phénomène : une nouvelle technologie est introduite avec enthousiasme, puis elle est suivie d'une baisse de régime lorsqu'elle ne tient pas immédiatement ses promesses. Mais Gartner a également découvert que le cycle se poursuit au-delà ce qu’ils appellent « le creux de la désillusion ». De ces cendres renaît une « montée d'illumination », ce qui signifie que, dans une perspective historique à plus long terme, la majorité de ces développements révolutionnaires tant annoncés finissent par ouvrir de nouvelles perspectives.
Comme l'explique George Church, généticien à Harvard, c'est ce qui se passe actuellement dans le domaine de la médecine personnalisée. « Les domaines des thérapies géniques, de la création de virus et d'autres thérapies personnalisées progressent rapidement », explique George Church, « et plusieurs essais cliniques sont passés en phase 2 et 3 », c'est-à-dire que les thérapies sont testées sur un nombre de plus en plus important de sujets. « Nombre de ces traitements ciblent des cellules qui ne diffèrent que par une rare variation génétique par rapport aux cellules environnantes ou aux individus. » La start-up finlandaise Oncos Therapeutics a déjà traité près de 300 patients atteints de cancer en utilisant une forme réduite de ce type de biotechnologie ciblée.
Ces développements sont, pour la plupart, positifs – ils annoncent de meilleurs traitements, de nouvelles guérisons et, à terme, une vie plus longue. Mais il ne faudrait pas grand-chose pour subvertir ces thérapies en transformant les médicaments personnalisés en armes biologiques personnalisées.
« À l'heure actuelle », explique Jimmy Lin, chercheur en génomique à l'université Washington de Saint-Louis et fondateur de Rare Genomics, une organisation à but non lucratif qui conçoit des traitements pour les maladies infantiles rares sur la base d'une analyse génétique individuelle, « nous disposons de médicaments qui ciblent des mutations cancéreuses spécifiques. Citons par exemple le Gleevec, le Zelboraf et le Xalkori. Vertex », une société pharmaceutique basée dans le Massachusetts, « a mis au point un médicament pour les patients atteints de mucoviscidose et présentant une mutation particulière. Le ciblage génétique des individus est un peu plus éloigné. Mais un programme parrainé par l'État, du type Stuxnet, pourrait être en mesure d'y parvenir dans quelques années. Bien sûr, ce travail est assez méconnu, et si vous en parlez à la plupart des gens, ils vous diront que cela semble relever de la science-fiction. Mais quand on connaît le milieu de la recherche, on se rend compte qu'il est tout à fait possible qu'un groupe bien financé y parvienne ».
Nous ferions bien de commencer à nous préparer à cette éventualité le plus tôt possible.
SI L'ON VEUT VRAIMENT comprendre ce qui se passe dans le domaine des biosciences, il faut comprendre que la vitesse de développement des technologies de l'information s'accélère. En 1965, Gordon Moore s'est rendu compte que le nombre de composants d'un circuit intégré sur une puce d'ordinateur doublait à peu près chaque année depuis l'invention du circuit intégré à la fin des années 1950. Moore, qui allait ensuite cofonder Intel, a prédit que cette tendance se poursuivrait « pendant au moins 10 ans ». Il avait raison. La tendance s'est effectivement poursuivie pendant 10 ans, et 10 autres années par la suite. Au total, son observation est restée exacte pendant cinq décennies, devenant si durable qu'elle est désormais connue sous le nom de « loi de Moore » et utilisée par l'industrie des semi-conducteurs comme guide pour la planification future.
La loi de Moore stipulait à l'origine que tous les 12 mois (aujourd'hui 24 mois), le nombre de transistors sur un circuit intégré doublerait – un exemple de modèle connu sous le nom de « croissance exponentielle ». Alors que la croissance linéaire est une proposition lente et séquentielle (1 devient 2 puis 3 puis 4, etc.), la croissance exponentielle est un doublement explosif (1 devient 2 puis 4 puis 8, etc.) qui a un effet transformateur. Dans les années 1970, le superordinateur le plus puissant au monde était un Cray. Il fallait une pièce entière pour le contenir et il coûtait environ 8 millions de dollars. Aujourd'hui, l'iPhone que vous avez dans votre poche est plus de 100 fois plus rapide et plus de 12 000 fois moins cher qu'un Cray. Il s'agit là d'une croissance exponentielle.
Dans les années qui ont suivi l'observation de Moore, les scientifiques ont découvert que le modèle de croissance exponentielle se retrouve dans de nombreuses autres industries et technologies. Le volume du trafic de données sur Internet en un an, le nombre d'octets de stockage de données informatiques disponibles par dollar, le nombre de pixels de caméras numériques par dollar et la quantité de données transférables par fibre optique figurent parmi les dizaines de mesures du progrès technologique qui suivent ce schéma. En fait, la croissance exponentielle est si répandue que les chercheurs soupçonnent maintenant qu'elle se retrouve dans toutes les technologies basées sur l'information, c'est-à-dire toutes les technologies utilisées pour saisir, stocker, traiter, récupérer ou transmettre des informations numériques.
Au cours des dernières décennies, les scientifiques ont également découvert que les quatre lettres de l'alphabet génétique – A (adénine), C (cytosine), G (guanine) et T (thymine) – pouvaient être converties en 1 et en 0 du code binaire. Cela permet de manipuler facilement l'information génétique par voie électronique. Avec cette innovation, la biologie a franchi un cap, se transformant en une science basée sur l'information et progressant de manière exponentielle. En conséquence, les outils fondamentaux du génie génétique, conçus pour la manipulation de la vie – des outils qui pourraient facilement être détournés à des fins destructrices – voient leur coût diminuer radicalement et leur puissance augmenter. Aujourd'hui, toute personne ayant un don pour la science, une connexion Internet décente et assez d'argent pour acheter une voiture d'occasion a ce qu'il faut pour s'essayer au bio-piratage.
Ces évolutions font considérablement augmenter plusieurs menaces. Les plus cauchemardesques concernent des acteurs malveillants qui fabriqueraient des armes de destruction massive ou des scientifiques négligents qui déclencheraient des épidémies accidentelles – des problèmes très réels auxquels il est urgent d'accorder plus d'attention [le New York Times publiait en juin 2024 un article [1] expliquant pourquoi le virus à l’origine de la pandémie de Covid-19 est probablement sorti d’un laboratoire, NdT]. Les armes biologiques personnalisées, qui font l'objet du présent article, constituent une menace plus subtile et d’ampleur moins catastrophique, et c'est peut-être pour cette raison que la société commence à peine à s'en préoccuper. Pourtant, une fois disponibles, nous pensons qu'elles seront utilisées beaucoup plus facilement que les armes biologiques de destruction massive. Tout d'abord, alors que la plupart des criminels réfléchissent à deux fois avant de procéder à un massacre de masse, le meurtre est tout à fait banal. À l'avenir, les hommes politiques, les célébrités, les chefs d'entreprise – à peu près n'importe qui en fait – pourraient devenir la cible d’une attaque biologique. Même si elles s’avèrent fatales, de nombreuses attaques de ce type pourraient passer inaperçues et être confondues avec des décès de cause naturelle ; de nombreux autres meurtres seraient difficiles à mettre sur le dos d'un suspect, en particulier en raison du temps qui s'écoule entre l'exposition au pathogène et l'apparition des symptômes.
De plus, comme nous le verrons plus en détail, ces mêmes développements scientifiques ouvriront la voie, à terme, à un tout nouveau type de guerre. Imaginez par exemple que l'on puisse provoquer une paranoïa extrême chez le PDG d'une grande entreprise afin d'obtenir un avantage commercial ou, plus loin dans le futur, que l'on puisse infecter les consommateurs pour leur donner envie d’acheter de manière compulsive.
Nous avons choisi d'axer cette enquête principalement sur la biosécurité du président. C’est parce que le bien-être du président est primordial pour la sécurité nationale – et parce qu'une discussion sur les défis relatifs à la protection du président montrera à quel point assurer la « sécurité » sera difficile (et différent) au fur et à mesure que la biotechnologie progresse.
POUR ATTAQUER DIRECTEMENT le génome du président, il faut d'abord être capable de décoder les génomes. Jusqu'à récemment, ce n'était pas une mince affaire. En 1990, lorsque le ministère américain de l'énergie et les instituts nationaux de la santé ont annoncé leur intention de séquencer les 3 milliards de paires de bases du génome humain au cours des 15 années suivantes, ce projet a été considéré comme le plus ambitieux jamais entrepris dans le domaine des sciences de la vie. Malgré un budget de 3 milliards de dollars, les progrès ont été lents. Même après des années de travail acharné, de nombreux experts doutaient que le temps et l'argent prévus soient suffisants pour achever le travail.
Les choses ont commencé à changer en 1998, lorsque le biologiste-entrepreneur J. Craig Venter et sa société, Celera, se sont lancés dans la course. Profitant de la croissance exponentielle de la biotechnologie, Venter s'est appuyé sur une nouvelle génération de séquenceurs de gènes et sur une nouvelle approche à forte intensité informatique appelée séquençage à l'emporte-pièce. Il est parvenu à décrypter un génome humain (le sien) en moins de deux ans, pour un montant de 300 millions de dollars.
L'exploit de Venter était stupéfiant, mais ce n'était que le début. En 2007, soit sept ans plus tard, un génome humain pouvait être séquencé pour moins d'un million de dollars. En 2008, certains laboratoires le faisaient pour 60 000 dollars, et en 2009, pour 5 000 dollars. Cette année, la barre des 1 000 dollars semble sur le point d'être franchie. Au rythme actuel, d'ici cinq ans, le coût sera inférieur à 100 dollars. Au cours de l'histoire, il n'existe probablement aucune autre technologie dont le prix a baissé et les performances ont augmenté de façon aussi spectaculaire. [En 2022, le séquençage du génome humain coûtait quelques centaines de dollars d’après le magazine technophile WIRED [2], NdT].
Cependant, il faudrait plus qu'un simple séquenceur de gènes pour fabriquer une arme biologique personnalisée. Pour commencer, les attaquants potentiels devraient collecter et cultiver des cellules vivantes de la cible (nous y reviendrons plus tard), ce qui rendrait nécessaire l'utilisation d’appareils de culture cellulaire. Ensuite, il faudrait établir un profil moléculaire des cellules, ce qui nécessiterait des séquenceurs de gènes, des scanners de microréseaux, des spectromètres de masse, etc. Une fois qu'un schéma génétique détaillé a été établi, le criminel peut commencer à concevoir, construire et tester un agent pathogène, ce qui commence par un travail sur les bases de données génétiques et les logiciels, et se termine par un travail sur les virus et les cultures cellulaires. Rassembler l'équipement nécessaire pour faire tout cela n'est pas une mince affaire. Et pourtant, à mesure que les chercheurs se sont équipés de nouveaux outils, que les grandes entreprises ont fusionné et consolidé leurs activités, et que les petits laboratoires se sont retrouvés à court d'argent et ont fait faillite, de nombreux équipements usagés se retrouvent sur le marché de l’occasion. À l'état neuf, l'équipement requis coûterait bien plus d'un million de dollars. Sur eBay, il est possible de l'obtenir pour seulement 10 000 dollars. Si l'on retire les outils d'analyse – puisque ces processus peuvent désormais être externalisés – on peut bricoler un appareil de culture cellulaire de base pour moins de 1 000 dollars. Il n'a jamais été aussi facile d'acheter des produits chimiques et des fournitures de laboratoire ; des centaines de revendeurs sur le web acceptent les cartes de crédit et livrent presque partout dans le monde.
Les connaissances biologiques se démocratisent elles aussi de plus en plus. Des sites web comme JoVE (Journal of Visualized Experiments) proposent des milliers de vidéos pratiques sur les techniques des biosciences. Le MIT propose des cours en ligne. De nombreuses revues sont en libre accès, ce qui permet de consulter gratuitement les dernières recherches, avec des sections détaillées sur les matériaux et les méthodes. Si vous souhaitez une approche plus pratique de l'apprentissage, vous pouvez tout simplement rejoindre l'une des douzaines d'organisations de DIY [Do It Yourself] biotechnologique, telles que Genspace et BioCurious, qui ont récemment vu le jour pour faire du génie génétique une sorte d'activité de loisir. Lors d'une récente interview, Bill Gates a déclaré à un journaliste que s'il était jeune aujourd'hui, il laisserait tomber le piratage informatique pour le piratage biologique. Et pour ceux qui n'ont ni le laboratoire ni les connaissances nécessaires, des dizaines de Contract Research and Manufacturing Services [« contrat de recherche et service de fabrication » ou CRAMS] sont prêts à faire une grande partie du travail scientifique complexe contre rémunération.
Depuis l'invention du génie génétique en 1972 jusqu'à très récemment, le coût élevé de l'équipement et le coût élevé de la formation pour utiliser efficacement cet équipement ont tenu la plupart des personnes mal intentionnées à l'écart de ces technologies. Ces barrières à l'entrée ont aujourd'hui presque disparu. Dans un discours prononcé le 7 décembre 2011 lors de la conférence d'examen de la convention sur les armes biologiques et à toxines, Hillary Clinton déclarait que :
« Malheureusement, la capacité des terroristes et d'autres acteurs non étatiques à mettre au point et à utiliser ces armes ne cesse de croître. C'est pourquoi nos efforts doivent se concentrer à nouveau sur cette question [...] parce qu'il y a des signes avant-coureurs et qu'ils sont trop sérieux pour être ignorés ».
L’EXPANSION RADICALE des frontières de la biologie soulève une question inconfortable : comment se prémunir contre des menaces qui n'existent pas encore ? Le génie génétique se trouve à l'orée d'une nouvelle ère. L'ancienne ère était celle du séquençage de l'ADN, qui consiste simplement à lire le code génétique, c'est-à-dire identifier et comprendre le sens de l'ordre des quatre substances chimiques qui composent l'ADN. Aujourd'hui, nous apprenons à écrire l'ADN, ce qui ouvre des perspectives à la fois grandioses et terrifiantes.
Là encore, Craig Venter a contribué à ce changement. Au milieu des années 1990, juste avant de commencer son travail de lecture du génome humain, il s'est demandé ce qu'il faudrait faire pour en écrire un. Il voulait savoir à quoi ressemblait le génome minimal nécessaire à la vie. C'était une bonne question. À l'époque, la technologie de synthèse de l'ADN était trop rudimentaire et trop coûteuse pour que l'on puisse envisager d'écrire un génome minimal pour un organisme vivant ou, en ce qui nous concerne, pour construire une arme biologique sophistiquée. Et les techniques d'épissage de gènes, qui impliquent l'utilisation d'enzymes pour découper l'ADN existant d'un ou de plusieurs organismes et le recoller, étaient trop difficiles à mettre en œuvre.
Les progrès exponentiels de la biotechnologie ont considérablement réduit ces problèmes. La technologie la plus récente – connue sous le nom de biologie synthétique ou « synbio » – fait passer le travail du moléculaire au numérique. Le code génétique est manipulé à l'aide de l'équivalent d'un traitement de texte. En appuyant sur un bouton, le code représentant l'ADN peut être coupé et collé, importé sans effort d'une espèce à une autre. Il peut être réutilisé et reconverti. Les bases de l'ADN peuvent être échangées avec précision. Et une fois que le code a l'air correct ? Il suffit d'appuyer sur « Envoyer ». Une douzaine d’imprimeries d'ADN peuvent désormais transformer ces bits informatiques en matériel biologique.
En mai 2010, grâce à ces nouveaux outils, Venter a répondu à sa propre question en créant le premier chromosome synthétique autoréplicatif au monde. Pour ce faire, il a utilisé un ordinateur pour concevoir un nouveau génome bactérien (de plus d'un million de paires de bases au total). Une fois la conception terminée, le code a été envoyé par courrier électronique à Blue Heron Biotechnology, une entreprise de la région de Seattle spécialisée dans la synthèse d'ADN à partir de programmes numériques. Blue Heron a pris les bases A, T, C et G de Venter et a renvoyé plusieurs flacons remplis d'ADN plasmidique congelé. Tout comme on charge un système d'exploitation dans un ordinateur, Venter a ensuite inséré l'ADN synthétique dans une cellule bactérienne hôte qui avait été vidée de son propre ADN. La cellule a rapidement commencé à produire des protéines ou, pour utiliser le terme informatique en vogue chez les biologistes d'aujourd'hui, elle a « démarré » : elle a commencé à métaboliser, à croître et, surtout, à se diviser, en se basant entièrement sur le code de l'ADN injecté. La cellule s’est divisée en deux cellules, puis en quatre, puis en huit. Et chaque nouvelle cellule ne portait que les instructions synthétiques de Venter. Il s'agissait d'une forme de vie entièrement nouvelle, créée pratiquement à partir de rien. Venter a déclaré qu'il s'agissait de « la première espèce autoreproductible sur la planète dont le parent est un ordinateur ».
Mais Venter n'a fait qu'effleurer la surface. La chute des coûts et la simplicité technique croissante permettent aux biologistes synthétiques de jouer avec le vivant comme jamais auparavant. En 2006, Jay D. Keasling, ingénieur biochimiste à l'université de Californie à Berkeley, a par exemple assemblé 10 gènes synthétiques à partir des plans génétiques de trois organismes différents pour créer une nouvelle levure. Celle-ci est capable de fabriquer le précurseur de l'artémisinine, un médicament antipaludéen, l'acide artémisinique, dont les réserves naturelles fluctuent considérablement. Parallèlement, la société de Venter, Synthetic Genomics, travaille en partenariat avec ExxonMobil à la conception d'une algue qui consomme du dioxyde de carbone et rejette du biocarburant ; sa société dérivée, Synthetic Genomics Vaccines, tente de mettre au point des vaccins antigrippaux qui peuvent être fabriqués en quelques heures ou quelques jours au lieu des six mois et plus qui sont actuellement nécessaires. Solazyme, une entreprise basée à San Francisco, produit du biodiesel à partir de micro-algues modifiées. Les spécialistes des matériaux se lancent également dans l'aventure : DuPont et Tate & Lyle, par exemple, ont conçu conjointement un organisme très efficace et respectueux de l'environnement qui ingère du sucre de maïs et excrète du propanediol, une substance utilisée dans une large gamme de biens de consommation, des cosmétiques aux produits de nettoyage [pour information, DuPont est l’entreprise qui a fabriqué le PFOA, une molécule du Téflon, une substance cancérigène extrêmement persistante qui a contaminé quasiment tous les humains et les non humains sur Terre[3], NdT].
D'autres biologistes synthétiques jouent avec des mécanismes cellulaires plus fondamentaux. Basée en Floride, la Fondation pour l'évolution moléculaire appliquée a ajouté deux bases (Z et P) aux quatre bases traditionnelles de l'ADN, augmentant ainsi l'ancien alphabet génétique. À Harvard, George Church a boosté l'évolution grâce à son procédé nommé Multiplex Automated Genome Engineering (« ingénierie génomique automatisée multiplexe »), qui permute de manière aléatoire plusieurs gènes à la fois. Au lieu de créer de nouveaux génomes un par un, le MAGE crée des milliards de variantes en quelques jours.
Enfin, comme la biologie de synthèse facilite la conception, la fabrication et l'assemblage de l'ADN, nous passons déjà de la mise au point de modèles génétiques existants à la construction de nouveaux organismes – des espèces qui n'ont jamais été vues sur Terre, des espèces entièrement sorties de notre imagination [par exemple le xénobot, NdT]. Étant donné que nous pouvons contrôler les environnements dans lesquels ces organismes vivront – en ajustant des éléments tels que la température, la pression et les sources de nourriture tout en éliminant les concurrents et autres stress – nous pourrions bientôt créer des créatures capables d'accomplir des exploits impossibles dans le monde « naturel ». Imaginez des organismes capables de prospérer à la surface de Mars, ou des enzymes capables de transformer du simple carbone en diamants ou en nanotubes. Les limites ultimes de la biologie synthétique sont difficiles à discerner.
Tout cela signifie que nos interactions avec la biologie, déjà compliquées, sont sur le point de devenir beaucoup plus problématiques. Mélanger des codes provenant de plusieurs espèces ou créer de nouveaux organismes pourrait avoir des conséquences inattendues. Et même dans les laboratoires appliquant des normes de sécurité élevées, des accidents peuvent se produire. Si ces accidents impliquent une rupture de confinement, ce qui est aujourd'hui une bactérie de laboratoire inoffensive pourrait demain produire une catastrophe écologique. C'est ce qui ressort d'un rapport publié en 2010 par la Commission présidentielle pour l'étude des questions bioéthiques :
« Une dissémination non maîtrisée pourrait, en théorie, entraîner des croisements indésirables avec d'autres organismes, une prolifération incontrôlée, l'éradication d'espèces existantes et des menaces pour la biodiversité ».
La menace bio-erreurs est tout aussi inquiétante que celle du bioterrorisme. Bien que la bactérie créée par Venter soit essentiellement inoffensive pour l'homme, les mêmes techniques pourraient être utilisées pour construire un virus ou une bactérie pathogène connue ou, pire, pour créer une version beaucoup plus mortelle que la version naturelle [c’est déjà une pratique courante dans les laboratoires, les scientifiques s’amusent à faire de l’augmentation de fonction sur les virus[3], NdT]. Les virus sont particulièrement faciles à synthétiser, comme l'a montré en 2002 Eckard Wimmer, virologue à l'université de Stony Brook. Ce dernier a synthétisé chimiquement le génome de la poliomyélite à l'aide d'ADN acheté par correspondance. À l'époque, la synthèse de 7 500 nucléotides coûtait environ 300 000 dollars et prenait plusieurs années. Aujourd'hui, une synthèse similaire ne prendrait que quelques semaines et coûterait quelques milliers de dollars. D'ici 2020, si la tendance se maintient, elle ne prendra que quelques minutes et coûtera environ 3 dollars. Les gouvernements du monde entier ont dépensé des milliards pour éradiquer la polio ; imaginez les dégâts que des terroristes pourraient causer avec un agent pathogène à 3 dollars.
Dans les années 1990, la secte japonaise Aum Shinrikyo, tristement célèbre pour son attaque meurtrière au gaz sarin dans le métro de Tokyo en 1995, a mis en œuvre un programme d'armes biologiques actif et extrêmement bien financé. Ce programme incluait dans son arsenal la production d'anthrax. Lorsque les policiers ont fini par perquisitionner ses installations, ils ont trouvé la preuve d'un effort de recherche de plusieurs années dont le coût était estimé à 30 millions de dollars. Cela démontre, entre autres, que les terroristes perçoivent clairement un intérêt dans la poursuite d’un programme de recherche sur l’armement biologique. Bien qu'Aum ait réussi à causer des dommages considérables, elle a échoué dans ses tentatives pour frapper avec une arme biologique de destruction massive. Dans un article paru en 2001 dans la revue Studies in Conflict & Terrorism, William Rosenau, un expert en terrorisme qui travaillait alors à la Rand Corporation, écrivait ce qui suit :
« L'échec de la secte Aum suggère qu'il est en fait beaucoup plus difficile de mener une attaque bioterroriste mortelle que ne l'affirment parfois les responsables gouvernementaux et la presse. Malgré ses importantes ressources financières, son personnel dévoué, sa motivation et son absence de surveillance de la part des autorités japonaises, la secte Aum n'a pas été en mesure d'atteindre ses objectifs. »
C’était vrai à l’époque. Aujourd'hui, deux tendances changent la donne. La première a débuté en 2004, lorsque le concours International Genetically Engineered Machine (iGEM) a été lancé au MIT. Dans le cadre de ce concours, des équipes de lycéens et d'étudiants construisent des systèmes biologiques simples à partir de pièces standardisées et interchangeables. Ces pièces standardisées, désormais connues sous le nom de BioBricks, sont des morceaux de code ADN, avec des structures et des fonctions clairement définies, qui peuvent être facilement reliés entre eux pour former de nouvelles combinaisons, un peu comme un jeu de briques Lego génétiques. L'iGEM rassemble ces modèles dans le Registry of Standard Biological Parts (« registre des pièces biologiques standard »), une base de données open-source de BioBricks téléchargeables et accessibles à tous.
Au fil des ans, les équipes iGEM ont repoussé non seulement les barrières techniques, mais aussi les barrières créatives. En 2008, les étudiants concevaient des organismes ayant des applications concrètes ; cette année-là, le concours a été remporté par une équipe slovène pour son vaccin contre Helicobacter pylori, la bactérie responsable de la plupart des ulcères. Le grand gagnant de 2011, une équipe de l'université de Washington, a mené à bien trois projets distincts, chacun d'entre eux rivalisant avec les résultats obtenus par des universitaires de renommée mondiale et l'industrie biopharmaceutique. Les équipes ont transformé des cellules bactériennes en toutes sortes de produits, du film photographique aux substituts sanguins produisant de l'hémoglobine, en passant par des disques durs miniatures, avec cryptage des données.
La sophistication de la recherche iGEM s'est accrue, tout comme le niveau de participation. En 2004, cinq équipes ont soumis 50 BioBricks potentielles au registre. Deux ans plus tard, 32 équipes ont soumis 724 pièces. En 2010, l'iGEM est passé à 130 équipes qui ont soumis 1 863 pièces, et la base de données du registre comptait plus de 5 000 composants. Comme l'a souligné le New York Times :
« L'iGEM a préparé toute une génération d'esprits scientifiques parmi les plus brillants du monde à adopter la vision de la biologie synthétique, sans que personne ne s'en aperçoive vraiment, avant même que n'aient commencé les débats publics et les réglementations qui encadrent généralement des nouvelles technologies aussi risquées et controversées sur le plan éthique. »
(L'iGEM lui-même demande aux étudiants d'être attentifs à toute question d'éthique ou de sécurité et encourage le débat public sur ces questions).
La deuxième tendance à prendre en compte, ce sont les progrès que les organisations terroristes et criminelles ont réalisé dans à peu près toutes les autres technologies de l'information. Depuis l’avènement de la révolution numérique, certains parmi les premiers utilisateurs se sont révélés être des acteurs malhonnêtes. Des pirates téléphoniques comme John Draper (alias « Captain Crunch ») ont découvert dans les années 1970 que le réseau téléphonique d'AT&T pouvait être piraté pour permettre des appels gratuits à l'aide d'un sifflet en plastique distribué dans les boîtes de céréales (d'où le surnom de Draper). Dans les années 1980, les premiers ordinateurs de bureau ont été détournés par un ensemble sophistiqué de virus informatiques à des fins malveillantes, puis, dans les années 1990, à des fins de vol d'informations et d'enrichissement financier. Dans les années 2000, des algorithmes cryptographiques de cartes de crédit prétendument inviolables ont fait l'objet d'une rétro-ingénierie et des smartphones ont été infectés à plusieurs reprises par des logiciels malveillants. À plus grande échelle, les attaques par déni de service sont devenues de plus en plus destructrices, paralysant tout, des sites web personnels aux réseaux financiers. En 2000, « Mafiaboy », un lycéen canadien agissant seul, a réussi à geler ou à ralentir les sites web de Yahoo, eBay, CNN, Amazon et Dell.
En 2007, des pirates russes ont ciblé les sites web estoniens, perturbant les institutions financières, les réseaux de radiodiffusion, les ministères et le parlement estonien. Un an plus tard, avant l'invasion russe, la Géorgie a subi une cyberattaque massive qui a paralysé son système bancaire et perturbé les réseaux de téléphonie mobile. Les insurgés irakiens ont ensuite réutilisé SkyGrabber – un logiciel russe bon marché fréquemment utilisé pour pirater la télévision par satellite – afin d’intercepter les flux vidéo des drones américains Predator. Cela leur permettait de surveiller les opérations militaires américaines et d’y échapper.
Dernièrement, le crime organisé a commencé à confier à des personnes ou à des groupes possédant des compétences spécialisées certaines parties de ses opérations illégales : impression de fausses cartes de crédit, blanchiment d'argent. (Au Japon, les yakuzas ont même commencé à sous-traiter les meurtres à des gangs chinois.) Étant donné la nature anonyme de la foule en ligne, il est pratiquement impossible pour les forces de l'ordre de surveiller tous ces mouvements.
La tendance historique est claire : chaque fois que de nouvelles technologies entrent sur le marché, les usages illégitimes suivent rapidement les usages légitimes. Un marché noir ne tarde pas à apparaître. Ainsi, tout comme les criminels et les terroristes ont exploité de nombreuses autres formes de technologie, ils se tourneront certainement bientôt vers la biologie synthétique, la dernière frontière numérique.
EN 2005, DANS LE CADRE de sa préparation à cette menace, le FBI a engagé Edward You, chercheur en cancérologie chez Amgen et ancien thérapeute génique à la Keck School of Medicine de l'université de Californie du Sud. You, aujourd'hui agent spécial superviseur à la direction des armes de destruction massive au sein de l'unité des contre-mesures biologiques du FBI, savait que la biotechnologie se développait trop rapidement pour que le bureau puisse suivre le rythme. Il a donc décidé que la seule façon de garder une longueur d'avance était de développer des partenariats avec ceux qui sont à la pointe de la technologie.
« Lorsque j'ai commencé à m'investir, il était clair que le FBI n'allait pas commencer à jouer les Big Brother dans le domaine des sciences de la vie. Ce n'est pas notre mandat et c’est impossible. Toute l'expertise se trouve dans la communauté scientifique. Notre travail doit consister en une éducation de proximité. Nous devons créer une culture de la sécurité dans la communauté des biologistes de synthèse, une science responsable, afin que les chercheurs eux-mêmes comprennent qu'ils sont les gardiens de l'avenir ».
À cette fin, le FBI a commencé à organiser des conférences gratuites sur la biosécurité, à poster des coordinateurs de la sensibilisation aux armes de destruction massive dans 56 bureaux locaux afin de nouer des contacts avec la communauté SynBio (entre autres responsabilités), et est devenu partenaire de l'iGEM. En 2006, après que des journalistes du Guardian eurent réussi à commander par courrier un fragment neutralisé du génome du virus de la variole, les fournisseurs de matériel génétique ont décidé d'élaborer des lignes directrices en matière d'autosurveillance. Selon You, le FBI considère l'émergence organique de ces directives comme la preuve que son approche de police de proximité fonctionne. Toutefois, nous ne sommes pas sûrs que ces nouvelles règles permettent d’éviter qu'un agent pathogène soit envoyé dans une boîte postale.
Quoi qu'il en soit, il faut aller beaucoup plus loin. Un rapport publié en octobre 2011 par le Centre des armes de destruction massive, une organisation à but non lucratif dirigée par les anciens sénateurs Bob Graham (démocrate) et Jim Talent (républicain), indique qu'une attaque terroriste au moyen d'une arme de destruction massive quelque part dans le monde est probable d'ici la fin de l'année 2013, et que l'arme sera très probablement biologique. Le rapport souligne en particulier les dangers de la biologie synthétique :
« La technologie de synthèse de l'ADN continuant à progresser rapidement, il sera bientôt possible de synthétiser presque n'importe quel virus dont la séquence d'ADN a été décodée [...] ainsi que des microbes artificiels qui n'existent pas dans la nature. Cette capacité croissante d'ingénierie de la vie au niveau moléculaire comporte le risque de faciliter la mise au point d'armes biologiques nouvelles et plus meurtrières. »
Les acteurs non étatiques malveillants ne sont pas le seul danger à prendre en compte. Quarante pays, dont la Chine, accueillent aujourd'hui des recherches sur la biologie synthétique. Le Beijing Genomics Institute (BGI), fondé en 1999, est la plus grande organisation de recherche génomique au monde, séquençant l'équivalent d'environ 700 000 génomes humains par an. (Dans un récent article de Science, le BGI a affirmé avoir une capacité de séquençage supérieure à celle de tous les laboratoires américains réunis). L'année dernière, lors d'une épidémie d'E. coli en Allemagne, alors que l'on craignait qu'il s'agisse d'une nouvelle souche particulièrement mortelle, le BGI a séquencé le coupable en seulement trois jours. À titre de comparaison, le SRAS, la variante mortelle de la pneumonie qui a semé la panique dans le monde entier en 2003, a été séquencé en 31 jours. Le BGI semble prêt à aller au-delà du séquençage de l'ADN et à devenir également l'un des principaux synthétiseurs d'ADN.
Le BGI embauche chaque année des milliers de jeunes chercheurs brillants. La formation est excellente, mais les salaires sont apparemment bas. Cela signifie qu’un nombre conséquent de ces biologistes synthétiques talentueux pourraient chaque année se mettre en quête d'un meilleur salaire et de meilleures opportunités de carrière. Certains de ces emplois seront sans aucun doute localisés dans des pays qui ne sont pas encore sur le radar de la biologie de synthèse. L'Iran, la Corée du Nord et le Pakistan embaucheront très certainement.
À L’APPROCHE DE L’INVESTITURE de Barack Obama, les menaces à l'encontre du nouveau président se sont multipliées. Chacune de ces menaces a dû faire l'objet d'une enquête approfondie. Dans son livre sur les services secrets, Ronald Kessler écrit qu'en janvier 2009, lorsque des informations ont révélé que le groupe islamiste somalien al-Shabaab pourrait tenter de perturber l'investiture de Obama, le travail des services secrets ce jour-là est devenu encore plus difficile. Au total, rapporte Kessler, les services secrets ont coordonné l'action de quelques 40 000 agents et officiers issus de 94 agences policières, militaires et sécuritaires. Des chiens renifleurs de bombes ont été déployés dans toute la zone et des équipes de tireurs d’élite ont été postées le long du parcours du défilé. Il s'agit là d'une capacité de réaction considérable, mais à l'avenir, elle ne suffira plus. Le dispositif de défense contre les armes créées par la biologie de synthèse reste à inventer.
L'éventail des menaces contre lesquelles les services secrets doivent se prémunir va déjà bien au-delà des armes à feu et des engins explosifs. Ces dernières années, des attaques chimiques et radiologiques ont été lancées contre des fonctionnaires. En 2004, l'empoisonnement du candidat à la présidence ukrainienne Viktor Iouchtchenko impliquait du TCCD, un composé de dioxine extrêmement toxique. Iouchtchenko a survécu, mais a été gravement marqué par des lésions induites chimiquement. En 2006, Alexandre Litvinenko, ancien officier des services de sécurité russes, a été empoisonné à mort avec le radio-isotope polonium 210. L'utilisation d'armes biologiques n'est pas inconnue : les attaques à l'anthrax perpétrées en 2001 aux États-Unis ont failli toucher des membres du Sénat.
Le Kremlin est bien sûr soupçonné d'empoisonner ses ennemis depuis des décennies, et l'anthrax existe depuis un certain temps. Mais les technologies génétiques ouvrent la voie à une nouvelle menace : l'ADN d'un chef d'État pourrait être utilisé contre lui. Il est particulièrement difficile de se défendre contre cette menace. La vigilance des services secrets ne permettra jamais de sécuriser totalement l'ADN du président, car il est désormais possible de produire un schéma génétique complet à partir des informations contenues dans une seule cellule. Chacun d'entre nous perd des millions et des millions de cellules chaque jour. Ces cellules peuvent être collectées à partir de n'importe quelle source – un tissu usagé, un verre, une brosse à dents. Chaque fois que le président Obama serre la main d'un électeur, d'un membre de son cabinet ou d'un dirigeant étranger, il laisse une trace génétique exploitable. Chaque fois qu'il donne un stylo lors d'une cérémonie de signature de projet de loi, il livre aussi quelques cellules. Ces cellules sont mortes, mais l'ADN reste intact, ce qui permet de révéler des détails potentiellement compromettants sur la biologie du président.
Pour fabriquer une arme biologique, les cellules vivantes seraient la véritable cible (bien que des cellules mortes puissent suffire d’ici une dizaine d'années). Elles sont plus difficiles à récupérer. Une mèche de cheveux, par exemple, est morte, mais si ce cheveu contient un follicule, il contient également des cellules vivantes. Un échantillon de sang frais ou de salive, ou même un éternuement, pris dans un tissu jeté, pourrait suffire. Une fois récupérées, ces cellules vivantes peuvent être cultivées, ce qui constitue une source perpétuelle de matériel pour effectuer des travaux de recherche.
Même si les agents des services secrets étaient en mesure de balayer toutes les cellules rejetées dans l'environnement actuel du président, ils ne pourraient pas empêcher la récupération de l'ADN du passé du président. L'ADN est une molécule très stable, qui peut durer des millénaires. Le matériel génétique reste présent sur les vieux vêtements, les papiers du lycée – toute une myriade d'objets manipulés et jetés bien avant l'annonce d'une candidature à l'élection présidentielle. Quelle attention a-t-on portée à la protection de l'ADN de Barack Obama lorsqu'il était sénateur ? Organisateur communautaire à Chicago ? Étudiant en droit à Harvard ? Enfant en bas âge ? Et même si l'ADN présidentiel était totalement verrouillé, une bonne approximation du code pourrait être réalisée à partir des cellules des enfants, des parents ou des frères et sœurs du président, qu'ils soient vivants ou non.
L'ADN présidentiel pourrait être utilisé de diverses manières politiquement sensibles, par exemple pour fabriquer des preuves d'une liaison, alimenter les spéculations sur le lieu de naissance et l'héritage, ou identifier des marqueurs génétiques de maladies susceptibles de jeter le doute sur les capacités de leadership et l'acuité mentale. Combien faudrait-il pour renverser un président ? Les premiers signes de la maladie d'Alzheimer de Ronald Reagan sont peut-être apparus au cours de son second mandat. Certains médecins estiment aujourd'hui que la maladie était alors latente ou trop légère pour affecter sa capacité à gouverner. Mais si les informations sur son état avaient été confirmées génétiquement et rendues publiques, le peuple américain aurait-il exigé sa démission ? Le Congrès aurait-il été contraint de le mettre en accusation ?
Pour les services secrets, ces nouvelles vulnérabilités évoquent des scénarios d'attaque dignes d'un thriller hollywoodien. Les progrès de la recherche sur les cellules souches rendent toute cellule vivante transformable en de nombreux autres types de cellules, y compris des neurones ou des cellules cardiaques, voire du « sperme » produit in vitro. Toute cellule vivante récupérée dans un verre sale ou une serviette de table froissée pourrait, en théorie, être utilisée pour fabriquer des spermatozoïdes synthétiques. Ainsi, un président pourrait soudainement être confronté à une « ancienne amante » qui apporterait des preuves ADN d'un rapport sexuel, comme une tache de sperme sur une robe. Des tests sophistiqués permettraient de distinguer un faux sperme obtenu in vitro d'un vrai – ils ne seraient pas identiques – mais les résultats ne seraient jamais convaincants pour le grand public. Les spermatozoïdes produits in vitro pourraient aussi un jour s'avérer capables de féconder des ovules, ce qui permettrait de donner naissance à des enfants au moyen de la fécondation in vitro standard.
Comme nous l'avons mentionné, même les thérapies modernes contre le cancer pourraient être utilisées à des fins malveillantes. Des thérapies personnalisées conçues pour attaquer les cellules cancéreuses d'un patient spécifique font déjà l'objet d'essais cliniques. La biologie synthétique est sur le point d'étendre et d'accélérer ce processus en rendant peu coûteuses les thérapies virales personnalisées. Ces « bombes magiques » peuvent cibler les cellules cancéreuses avec précision. Mais que se passerait-il si ces bombes étaient entraînées à attaquer les cellules saines ? Entraînées contre les cellules de la rétine, elles produiraient la cécité. Contre l'hippocampe, elles pourraient effacer la mémoire. Et contre le foie ? La mort s'ensuivrait en quelques mois.
L'administration de ce type d'agent biologique serait très difficile à détecter. Les virus n’ont pas de goût quand on les ingère, ils sont inodores et facilement diffusés par aérosol. Ils pourraient être dissimulés dans un flacon de parfum ; il suffirait d'en appliquer un peu sur le poignet de l'agresseur, à proximité de la cible, pour commettre une tentative d'assassinat. Si l'agent pathogène était conçu pour cibler spécifiquement l'ADN du président, personne d'autre ne tomberait malade. Personne ne soupçonnerait un attentat sur le moment et cette possibilité serait envisagée longtemps après l'infection.
Les agents pathogènes pourraient être conçus pour faire des dégâts plusieurs mois, voire des années après l'exposition, en fonction des objectifs du concepteur. Plusieurs virus sont déjà connus pour déclencher des cancers. De nouveaux pourraient être conçus pour infecter le cerveau avec, par exemple, une schizophrénie synthétique, un trouble bipolaire ou la maladie d'Alzheimer. Des possibilités plus étranges existent également. Une maladie conçue pour amplifier la production de cortisol et de dopamine pourrait induire une paranoïa extrême, transformant, par exemple, une colombe pacifiste en faucon va-t-en-guerre. Ou encore, un virus qui stimule la production d'ocytocine, la substance chimique responsable du sentiment de confiance, pourrait nuire aux capacités de négociation d'un dirigeant. Certaines de ces idées ne sont pas nouvelles. Dès 1994, le laboratoire Wright de l'armée de l'air américaine a théorisé l’usage de bombes à phéromones à base de produits chimiques.
Bien entendu, les chefs d'État ne seraient pas les seuls à être vulnérables aux menaces de la biologie de synthèse. Al-Qaida a fait s’écraser des avions contre des immeubles pour paralyser Wall Street, mais imaginez les dégâts sur l'économie mondiale d'une attaque visant certains PDG des 500 plus grandes firmes. Oubliez l'enlèvement de riches ressortissants étrangers pour obtenir une rançon ; l'enlèvement de leur ADN pourrait un jour suffire. Les célébrités seront confrontées à un nouveau type de harcèlement. À mesure que la maîtrise de la biologie de synthèse devient plus facile, ces technologies pourraient finir par être utilisées pour « régler » toutes sortes de différends, y compris ceux d'ordre domestique. Il ne fait aucun doute que nous sommes à l'aube d'un monde nouveau.
COMMENT PROTEGER le président dans les années à venir, alors que la biotechnologie continue de progresser ? Malgré l'accélération du progrès des biotechnologies facilement exploitables, les services secrets ne sont pas impuissants. Des mesures peuvent être prises pour limiter les risques. L'agence n'a pas voulu révéler les mesures déjà en place, mais la création d'un groupe de travail scientifique au sein de l'agence pour surveiller, prévoir et évaluer les nouveaux risques biotechnologiques serait un point de départ évident. Le déploiement de technologies de détection est une autre possibilité. Des bio-détecteurs capables de détecter des agents pathogènes connus en moins de trois minutes ont déjà été construits. Ils peuvent s'améliorer, beaucoup s'améliorer, mais même dans ce cas, leur efficacité serait limitée. La biologie synthétique ouvre la voie à de nouveaux agents pathogènes finement personnalisés, et nous devons apprendre à détecter des choses jamais croisées auparavant. Sur ce point, les services secrets ont un grand avantage sur les centres de contrôle et de prévention des maladies ou l'Organisation mondiale de la santé : leur principale responsabilité consiste à protéger une seule personne. Des technologies de biodétection pourraient être développées autour du génome du président. Nous pourrions utiliser ses cellules vivantes pour construire un système d'alerte précoce avec une précision moléculaire.
Des cultures de cellules vivantes prélevées sur le président pourraient également être conservées à portée de main – l'équivalent biologique des sauvegardes de données. Il semblerait que les services secrets transportent déjà plusieurs litres de sang du groupe du président, au cas où une transfusion d'urgence s'avérerait nécessaire. Ces systèmes de sauvegarde biologique pourraient être étendus pour inclure de l'« ADN propre », c'est-à-dire des bibliothèques de cellules souches vérifiées qui permettraient des greffes de moelle osseuse ou l'amélioration des capacités antivirales ou antimicrobiennes. Avec l'amélioration des technologies d'impression de tissus, les cellules du président pourraient même être transformées, un jour, en organes de remplacement prêts à l'emploi.
Cependant, même si les services secrets mettaient en œuvre tout ou partie de ces mesures, rien ne garantit que le génome présidentiel soit totalement protégé. Toute personne réellement déterminée à obtenir l'ADN du président finirait par réussir, quelles que soient les défenses mises en œuvre. Les services secrets devront peut-être accepter qu'ils ne peuvent pas contrer complètement toutes les menaces biologiques ; et ils sont incapables de garantir que le président n'attrapera jamais un rhume.
Dans l'espoir de mettre en place la meilleure défense contre une attaque, une solution possible – qui n'est pas sans inconvénient – est la transparence radicale : divulguer l'ADN du président et d'autres données biologiques pertinentes, soit à un groupe restreint de chercheurs en biosciences ayant reçu une autorisation de sécurité, soit (la mesure la plus controversée) au grand public. Ces idées peuvent sembler contre-intuitives, mais nous en sommes venus à penser que l'ouverture de ce problème – et l'engagement actif du peuple américain dans la protection de son dirigeant – pourrait s'avérer être la meilleure défense.
L'une des raisons pratiques est le coût. Tout effort de protection interne serait exceptionnellement coûteux. Certes, compte tenu de l'enjeu, le pays supporterait la dépense, mais est-ce la meilleure solution ? Après tout, au cours des cinq dernières années, DIY Drones, une communauté en ligne à but non lucratif composée d'amateurs d'aéronefs autonomes (travaillant gratuitement, pendant leur temps libre), a produit un véhicule aérien sans pilote à 300 dollars doté de 90 % des fonctionnalités d'un drone militaire Raven à 35 000 dollars. Ce type de réduction des coûts est typique des projets open source.
En outre, la mise en œuvre de la biosécurité en interne implique d'attirer et de conserver un très haut niveau de compétences. Les services secrets sont donc en concurrence avec l'industrie – une position intenable sur le plan budgétaire – et avec le monde universitaire, qui offre aux chercheurs la liberté de s'attaquer à un plus large éventail de problèmes intéressants. Mais en faisant appel à l'intelligence collective de la communauté des sciences biologiques, l'agence s'assurerait l'aide gratuite du groupe le plus compétent.
L'ouverture des informations génétiques du président à un groupe restreint de chercheurs bénéficiant d'une habilitation de sécurité présenterait également d'autres avantages. Elle permettrait aux biosciences de suivre les traces des sciences informatiques, où les « exercices de type Red Team », ou « tests de pénétration », sont des pratiques extrêmement courantes. Dans ces exercices, la Red Team – généralement un groupe de faux pirates informatiques – tente de trouver des faiblesses dans les défenses d'une organisation (la Blue Team). Un environnement de test similaire pourrait être développé pour la guerre biologique.
L'une des raisons pour lesquelles ce type de pratique a été si largement institué dans le monde de l'informatique est que la vitesse du développement technologique dépasse de loin la capacité à suivre le rythme d'un expert en sécurité travaillant seul. Comme les sciences biologiques progressent aujourd'hui plus vite que l'informatique, il suffirait d'un effort interne du type du projet Manhattan pour que les services secrets prennent de l'avance sur cette courbe. Le FBI dispose de ressources bien plus importantes que les services secrets ; près de 36 000 personnes y travaillent, par exemple, contre moins de 7 000 pour les services secrets. Pourtant, Edward You et le FBI ont examiné ce même problème et ont conclu que le seul moyen pour le bureau de faire face aux menaces biologiques était d'impliquer l'ensemble de la communauté des sciences biologiques.
Alors pourquoi aller plus loin ? Pourquoi prendre la décision radicale de divulguer le génome du président au monde entier et pas seulement aux chercheurs ayant une autorisation de sécurité ? Tout d'abord, comme l'indique clairement le mandat de collecte d'ADN du département d'État américain, la collecte secrète du matériel génétique des dirigeants du monde a déjà commencé. Il ne serait pas surprenant que l'ADN du président ait déjà été collecté et analysé par les adversaires de l'Amérique. Il n'est pas non plus impensable, compte tenu de la véhémence croissante entre partis, que les adversaires politiques du président, au niveau national, soient en possession de son ADN. Dans le numéro de novembre 2008 du New England Journal of Medicine, Robert C. Green et George J. Annas ont mis en garde contre cette possibilité, écrivant que d'ici l'élection de 2012, « les progrès de la génomique rendront plus probable la collecte et l'analyse de l'ADN afin d'évaluer les informations sur les risques génétiques qui pourraient être utilisées pour ou, plus probablement, contre les candidats à la présidence ». Il n'est pas difficile non plus d'imaginer la montée en puissance d'un analogue biologique du groupe de pirates informatiques Anonymous, désireux de fournir une image transparente des génomes et des antécédents médicaux des dirigeants mondiaux. Tôt ou tard, même en l'absence d'open-sourcing, le génome d'un président finira par être rendu public.
La question est donc la suivante : est-il plus dangereux de jouer la défense et d'espérer le meilleur, ou de passer à l'attaque et de se préparer au pire ? Aucun des deux choix n'est parfait, mais au-delà des questions importantes de coût et d'attraction des talents, l'externalisation – comme le souligne Claire Fraser, directrice de l'Institut des sciences du génome à la faculté de médecine de l'université du Maryland – « uniformiserait les règles du jeu, en supprimant la nécessité pour les agences de renseignement de planifier tous les pires scénarios possibles ».
Cela permettrait également à la Maison Blanche d'anticiper la tempête médiatique qui se produirait si quelqu'un d'autre divulguait le génome du président. En outre, l'examen constant du génome du président nous permettrait d'établir une base de référence et de suivre les changements génétiques au fil du temps, ce qui produirait un niveau exceptionnel de détection précoce des cancers et autres maladies métaboliques. Et si de telles maladies étaient découvertes, un génome en libre accès pourrait également accélérer le développement de thérapies personnalisées.
Le facteur le plus important à prendre en compte est le temps. En 2008, quelque 14 000 personnes travaillaient dans des laboratoires américains ayant accès à du matériel pathogène critique ; nous ne savons pas combien de dizaines de milliers d'autres font de même à l'étranger. En dehors de ces laboratoires, les outils et les techniques du génie génétique sont accessibles à de nombreuses autres personnes. En 2003, un groupe d'experts en sciences biologiques, réuni par l'Académie nationale des sciences pour le groupe d'évaluation stratégique de la CIA, a remarqué que les processus et les techniques nécessaires au développement d'agents biologiques avancés pouvaient être utilisés pour faire le bien comme pour faire le mal. Cela implique qu’il sera bientôt extrêmement difficile de distinguer la recherche légitime de la recherche destinée à la fabrication d'armes biologiques. En conséquence, « la plupart des experts interrogés ont affirmé qu'une relation qualitativement différente entre le gouvernement et la communauté des sciences biologiques pourrait être nécessaire pour faire face le plus efficacement possible à la future menace des armes biologiques ».
À notre avis, il ne s'agit plus d'une question de faisabilité. Les progrès de la biotechnologie modifient radicalement le paysage scientifique. Nous entrons dans un monde où l'imagination est le seul frein à la biologie, où des individus déterminés peuvent créer une nouvelle forme vivante à partir de rien. Aujourd'hui, lorsqu'on évoque un problème difficile, on entend souvent le refrain suivant « il existe une application pour cela ». Plus tôt que vous ne l’imaginez, les applications seront remplacées par des organismes pour trouver des solutions à de nombreux problèmes. À la lumière de cette révolution à venir de la biologie de synthèse, une coopération plus large entre les scientifiques et les agences de sécurité – définie par des échanges ouverts, une collaboration continue et des moyens de défense externalisés auprès du public – pourrait s'avérer être le seul moyen de protéger le président. Et, par la même occasion, le reste d'entre nous.
Andrew Hessel, Marc Goodman et Steven Kotler
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