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Technocène

Poncif n° 10 : « La lutte des classes n’est qu’une lutte parmi d’autres »

Par
R.F
15
October
2024
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« Notre lutte contre le système techno-industriel peut certainement être comprise comme une guerre de classe. Au sens marxiste traditionnel, le travailleur lutte contre la bourgeoisie pour le contrôle du système (ou pour gagner une plus grande part des bénéfices matériels générés par le système). Mais notre but est moins la réappropriation que la destruction. La seule lutte des classes pertinente à nos yeux est celle qui oppose l’élite technocrate au reste du monde. »

(Theodore Kaczynski, 1999)

À l’heure où la gauche reste persuadée que la lutte des classes n’est qu’une lutte parmi d’autres, où seule la classe dominante (technocrate) se sait classe et agit en conséquence, rappelons que ce n’est pas un idéalisme bourgeois qui pousse ATR à prôner la révolution anti-tech. La situation matérielle, écologique et économique, est le levier de notre existence. C’est pourquoi la lutte des classes doit aujourd’hui revêtir une nouvelle forme.

I – La révolution anti-tech n’est pas un caprice d’idéalistes bourgeois

À force de cibler le système technologique, certains esprits chagrins nous accusent sur le terrain de nier les difficultés économiques des travailleurs ordinaires. Or, moins que la résolution de ces problèmes dans le cadre de la société technologique, c’est de leur dépassement anti-technologique que nous parlons. Concrètement, nous ne voulons pas d’une amélioration des conditions d’esclavage. L’essence moins chère, les courses moins chères ou autres aménagements du système ne remplaceront jamais la recherche d’une autonomie concrète.

Ne nous méprenons pas ici : c’est bien parce que nous sommes aussi travailleurs que nous refusons d’entretenir le schéma momifié de la lutte pour l’amélioration des conditions de vie dans la société techno-industrielle (c’est-à-dire l’amélioration de la société techno-industrielle). Nous avons vu l’impasse syndicale, l’impasse participative, le piège institutionnel qui capture et détourne les énergies vives. Se battre pour une amélioration des conditions de vie au sein du système revient à se battre pour prolonger l’existence dudit système. Vouloir améliorer la vie des prisonniers de la société techno-industrielle, c’est ne pas vouloir leur libération.  

Depuis ses premiers balbutiements, le techno-système vend divers rêves : débarrasser le genre humain du travail par le progrès de l’automatisation, assurer à tous l’abondance, offrir le temps de vivre une fois la quête machinique accomplie. Mais que voit-on ? Là où la machine triomphe, l’être humain en ressort appauvri. Moins compétent, devenu frêle ou obèse, intellectuellement et moralement diminué. Son temps libre, il le livre en pâture à l’industrie du divertissement. Sa santé, au service d’oncologie. Toutes ces promesses d’un avenir meilleur courent en fait depuis l’avènement de la société industrielle. Plus de deux cents ans après, les mêmes espérances animent ceux qui en sont les prisonniers.

Que les anarchistes aient pu rêver, tel Kropotkine dans La Conquête du pain, que l’industrie autogérée nous libérerait du temps d’étude et de vie nous semble pardonnable. En effet, le XIXe ne s’était encore ni confronté à la question des ressources, ni à celle du désastre mondial causé par la révolution industrielle (tant sur les hommes que sur la nature). En revanche, y croire aujourd’hui relève du plus puéril des fantasmes. Où se situe donc l’idéalisme ? Chez les rêveurs technolâtres. Chez ceux qui, face au désastre, préfèrent le collectiviser que le démanteler.

II – Le sort du prolétariat est indissociable de celui de son environnement

Le parent pauvre du marxisme est bien la conscience de la nature. Et même si Marx manifeste ça et là une conscience aigüe de l’enfer représenté par le développement technologique, tous ses héritiers n’ont pas opéré le rapprochement qui s’impose. À l’heure où le chômage, la sous-qualification, l’ubérisation sont la norme, la réponse ne peut être trouvée là où est apparu le problème.  

« 176. D’autres scénarios peuvent être envisagés, combinant différents aspects évoqués. Par exemple, les machines pourraient accaparer les travaux dotés d’une réelle importance pratique mais laisser aux hommes des tâches subalternes. Certains suggèrent que le développement des services créera de nombreux emplois. Ainsi, des individus passeront leur temps à cirer mutuellement leurs chaussures, à faire office de taxi les uns pour les autres, à confectionner de petits objets ou à se servir à table les uns les autres, etc. Cela nous paraît une manière de finir absolument indigne pour l’espèce humaine, et nous doutons que beaucoup puissent s’épanouir dans des occupations aussi vaines[1]. […] »

La réponse ne se trouve pas non plus du côté des boutiquiers qui assurent leurs arrières en vendant des formations. « Devenez homme total, séducteur, expert, digital-nomad, rentier de l’immobilier ou même formateur pour 300 € seulement[2] ! » Car qui peut vous apprendre à vivre sinon vous-même ?  

La vie des prolétaires, la vie humaine, comme la vie animale, ne peut s’épanouir sans un environnement sain. Or, le progrès de la machinerie technologique s’accompagne invariablement d’une dégradation « pour tous » des conditions de vie. L’industrie numérique émet autant de CO2 que l’aviation civile. 99,8% des Français sont empoisonnés au glyphosate. 200 espèces disparaissent chaque jour. Suivent la dignité humaine, notre expérience sensible, notre autonomie, des rapports sociaux authentiques. Face à la dépossession, face à la destruction par la technocratie et son système d’un environnement sain, notre conscience de classe bondit. Si notre existence est menacée par les actions de la classe technocratique, nous ne serons pas sauvés en inversant les rôles. La solution n’est pas de mieux consommer, de pouvoir consommer davantage. La solution n’est pas de mieux détruire la nature sauvage. La solution n’est pas d’autogérer la sixième extinction de masse. Qui voudrait d’un communisme sans climat stable, sans eau potable, sans air respirable, sans terres cultivables ? La solution réside dans le démantèlement de ce qui nous nuit collectivement : le système technologique.

Pourquoi le collectif, l’apprentissage en commun de la défense, de l’agriculture, de la construction, la pratique commune du sport et du travail intellectuel sont-ils des clés d’ATR ? Parce que nous savons que l’entraide est à la fois un facteur d’évolution… et de révolution.

III – La révolution, pas la reprise de l’État bourgeois

Notre conscience de classe nous empêche de vouloir répéter les erreurs de nos ancêtres révolutionnaires, et pour citer Debord, nous sommes le prolétariat devenu « classe de la conscience ». Qu’il soit intersectionnel ou non, le pouvoir ne nous intéresse pas : l’État suinte l’exploitation des masses par le moindre de ses orifices et n’est pas conçu pour autre chose que cette fin. Nous battre pour prendre le pouvoir serait un non-sens. Ce que nous voulons, c’est que la vie sur cette terre ait encore une chance de croître. Si l’industrialisation et le libéralisme politique ont acté la mise à mort du vivant, à nous d’en décréter la mort à notre tour.

« Le prolétariat ne peut être lui-même le pouvoir qu’en devenant la classe de la conscience. Le mûrissement des forces productives ne peut garantir un tel pouvoir, même par le détour de la dépossession accrue qu’il entraîne. La saisie jacobine de l’État ne peut être son instrument. Aucune idéologie ne peut lui servir à déguiser des buts partiels en buts généraux, car il ne peut conserver aucune réalité partielle qui ne soit effectivement à lui.[3] »

L’État est irrécupérable. Prolétarien ou non, il n’est qu’un sous-système au sein de l’entité « système technologique ». Il suit les tendances, les ordres de ce dernier, lesquels ne visent qu’à un accroissement suicidaire. On ne saurait s’approprier l’État sans devoir céder aux pressions globales du système technologique. Toutefois, l’objectif d’une révolution anti-tech tient compte de cela.

« La Règle (ii) stipule que si un mouvement aspire à transformer une société, son objectif doit alors être tel que les changements sociaux qu’il induira seront irréversibles — ce qui signifie que ces changements perdureront, sans que quiconque n’ait à fournir d’effort supplémentaire. La raison en est que le mouvement, une fois au pouvoir, sera ׅ“corrompu” ; c’est-à- dire qu’il ne sera plus fidèle à ses objectifs et idéaux antérieurs.[4] »

Plutôt que le renversement de l’Etat, c’est le démantèlement du système que doit viser la révolution. En effet, « il serait mieux de voir notre lutte comme anti-technologie, car la lutte des classes maintient l’illusion qu’il suffit de se débarrasser d’une classe particulière. Si nous nous libérions de la classe technocrate mais conservions la technologie, une nouvelle technocratie émergerait bientôt.[5] » Il est crucial de penser stratégiquement et rationnellement notre combat. Le seul idéal d’ATR est matériel, concret : il est celui d’une nature régénérée où pourra de nouveau s’épanouir la vie.

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Footnote [1] — Kaczynski Theodore J., La Société industrielle et son avenir, in L’Esclavage technologique Vol.1, éditions Libre, 2023, trad. Alexis Adjami et Romuald Fadeau.

Footnote [2] — Si l’offre est généralement temporaire, la crédulité des cibles commerciales semble quant à elle infinie. Plutôt que de miser au loto, ils misent sur une contrefaçon de l’amélioration personnelle, appelée développement personnel.

Footnote [3] — Debord Guy, La Société du spectacle, Gallimard, 1967, § 88.

Footnote [4] — Kaczynski Theodore J., Révolution anti-tech : Pourquoi et comment ? Editions Libre, 2021, trad. Alexis Adjami et Romuald Fadeau, p. 138.

Footnote [5] — Kaczynski Theodore J., Answer to Some Comments Made in Green Anarchist, Labadie Collection, 1999.

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