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Ted Kaczynski
Technocène

Les sources du radicalisme anti-tech de Theodore Kaczynski

Par
Sean Fleming (Traduction R.F)
30
June
2024
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Cet article de Sean Fleming, chercheur à l’université de Cambridge (Royaume-Uni, apporte un éclairage salvateur sur ce qui distingue Kaczynski de ses inspirateurs. Du fait de sa relative impartialité, nous avons jugé bon d’en rédiger une traduction en français. Le texte est téléchargeable en format PDF.

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Image d’illustration : de gauche à droite, Jacques Ellul (historien et philosophe), Desmond Morris (zoologiste) et Martin Seligman (chercheur en psychologie). Trois universitaires qui ont influencé l’analyse radicale de Theodore Kaczynski sur le système technologique.

En un certain sens, Theodore Kaczynski est le terroriste le plus académique que l’Amérique ait jamais connu. Il fut, dans l’ordre, diplômé de Harvard en 1962, Docteur (PhD) de l’université du Michigan en 1967, puis professeur-assistant de mathématiques à Berkeley. Après sa démission en 1969, il décida de vivre en pleine nature et de bâtir sa propre cabane dans une zone reculée du Montana. De là, il lança une série d’attaques à la bombe, lesquelles firent trois morts et vingt-trois blessés, jusqu’à son arrestation en 1996. Quoique l’on ait beaucoup écrit sur la vie et les crimes de Kaczynski, l’on a beaucoup moins traité de son manifeste, La Société industrielle et son avenir, publié dans le Washington Post en 1995[1]. Aussi, les théoriciens politiques, les historiens des idées et même les spécialistes du terrorisme, n’ont accordé à ce manifeste qu’une très mince attention[2].

Kaczynski présente un intérêt particulier pour les spécialistes de l’idéologie en ce qu’il est parvenu à influencer nombre d’acteurs et de mouvements radicaux. Au lendemain de son arrestation, il s’attira les faveurs de la frange la plus radicale du mouvement écologique, incluant notamment l’anarcho-primitiviste John Zerzan ainsi que le cofondateur de Deep Green Resistance, Derrick Jensen[3]. Plus récemment, le mépris de Kaczynski pour le « gauchisme » lui a valu de se faire quelques admirateurs à l’extrême-droite. Notons à cet égard que le terroriste Anders Breivik a grandement plagié son manifeste, et que le parti néofasciste grec « Aube dorée » en a publié une traduction en 2018[4]. En réalité, Kaczynski se rapproche de Nietzche par une qualité : ne pouvant être rangé dans une case, il attire les radicaux de tous types.

Mais Kaczynski est bien plus qu’une mine d’idées pour les groupes radicaux déjà existants. Il est aussi à l’origine de son propre type de radicalisme, lequel imprègne tout un éventail de groupes anti-tech[5]. Le plus important d’entre eux, le groupe terroriste mexicain Individualidades Tendiendo a lo Salvaje (ITS – Individualistes tendant vers le sauvage), a repris le flambeau de Kaczynski en envoyant des bombes à des scientifiques en avril 2011. ITS et ses ramifications ont depuis revendiqué des attaques en Argentine, au Brésil, au Chili et en Grèce, ainsi que nombre d’autres au Mexique. Aussi, la campagne d’attentats à la bombe de Kaczynski n’était peut-être qu’un signe avant-coureur des événements à venir, sachant qu’ITS n’en est peut-être qu’à ses débuts.

Le présent article ambitionne de dévoiler l’origine de la pensée kaczynskienne. Or, cette tâche ne sera pas chose aisée. Bien que Kaczynski cite de nombreuses sources dans son manifeste, il ne cite pas les plus importantes. Lui qui avait, par le passé, écrit aux auteurs qu’il admirait (en son nom propre, sans bombes), craignait en effet que les citer ne donne des pistes au FBI[6]. Par conséquent, l’on peut affirmer que tous ceux ayant déjà cherché à discerner les influences de Kaczynski n’ont fait que spéculer.

Ma méthode relève de l’approche que Michael Freeden qualifie de « génétique[7] ». Au moyen de preuves solides, « scientifiques », sur les lectures de Kaczynski, agrémentées de comparaisons textuelles, je m’emploierai à révéler les sources qu’il chercha à dissimuler. Je m’appuierai sur les documents d’archives conservés dans le fonds Joseph A. Labadie du Special Collections Research Center de l’université du Michigan, lesquels contiennent des copies de la plupart des documents retrouvés dans sa cabane et confisqués par le FBI en 1996[8]. L’élément de preuve crucial repose sur un ensemble de notes « privées » sur le manifeste[9]. Les journaux de Kaczynski, ses notes, ses brouillons et ses correspondances contiennent également des preuves de ses lectures et de celles qui l’ont influencé. Les principales idées du manifeste dérivent des œuvres de trois universitaires bien connus : le philosophe français Jacques Ellul, le zoologiste anglais Desmond Morris et le psychologue américain Martin Seligman[10].

Mon excavation des sources de Kaczynski démontrera le caractère à part (et même original) de son idéologie, jusqu’ici mésestimé. Les deux explications que l’on entend le plus au sujet du manifeste sont à la fois incomplètes et exagérées : ce n’est ni un tract éco-terroriste, ni une compilation des auteurs critiques de la technologie que Kaczynski aurait pu lire à Harvard. Son idéologie anti-tech révolutionnaire se distingue de l’écologie radicale, de l’éco-anarchisme et même du néo-luddisme. Je montrerai qu’il est nécessaire de comprendre l’agencement unique des idées opéré par Kaczysnki pour tracer les contours de la nouvelle forme de radicalité anti-tech dont il est l’inspirateur. À l’examen, certains « éco-terroristes » se révèleront en fait être des terroristes anti-tech d’inspiration kaczynskienne.

Cet article se compose de cinq sections. La première portera sur les deux principales explications quant à la formation idéologique de Kaczynski : en premier lieu, qu’il tirerait ses idées de la lecture d’écologistes radicaux ; en second lieu, qu’il se serait imprégné des concepts présents dans le programme éducatif général d’Harvard. Les trois sections d’après sonderont les documents d’archive et dévoileront les trois influences majeures de Kaczysnki : Ellul, Morris et Seligman. La cinquième section s’attachera à déterminer l’influence de Kaczynski sur le radicalisme anti-tech contemporain, dont ITS fait partie.

« La société industrielle » et son passé

Dans une lettre d’avril 1995 au New York Times, écrite au nom du « groupe terroriste FC » (Freedom Club), Kaczynski promit qu’il mettrait fin à sa série de colis piégés si son « article », comprenant entre 29 000 et 37 000 mots, en venait à être publié dans le Times ou « tout autre périodique largement lu et diffusé au niveau national[11] ». Il s’agissait alors plus d’une menace que d’une promesse : publiez-le ou d’autres personnes y passeront. Le Washington Post accepta donc de le publier (sans révisions) dans une « section spéciale » le 19 septembre 1995.

Le manifeste avance les cinq arguments suivants : 1) la technologie moderne forme un « système » indivisible, auto-entretenu, non soumis à un contrôle humain ; 2) les êtres humains sont, sur le plan biologique et psychologique, inadaptés à la vie au sein de la société technologique ; 3) le perpétuel développement du système technologique conduira inévitablement à la catastrophe (soit la disparition de l’humanité, soit sa soumission complète au système) ; 4) puisque le système technologique ne peut être contrôlé, et donc être reformé, une révolution est nécessaire afin d’éviter la catastrophe ; et 5) le militantisme gauchiste est une forme de pseudo-rébellion servant à détourner l’attention du problème technologique[12].

Il existe deux interprétations populaires du manifeste, chacune étant liée à sa propre vision de la formation idéologique de Kaczynski. Suivant l’interprétation écologiste, Kaczynski est par essence un « éco-terroriste[13] ». Le manifeste épouserait une forme d’écologie radicale, proche de celle d’Earth First! et du Earth Liberation Front. Aussi, les défenseurs de l’interprétation écologiste relèvent deux choses. La première, que Kaczynski lisait les publications d’écologie radicale, dont Earth First! et Live Wild or Die!, et qu’il s’en serait servi pour sélectionner ses cibles. La seconde, que le contre-idéal qu’il oppose à la technologie est celui de la « nature sauvage » – un trope de l’écologie radicale. Ainsi que l’affirme Ron Arnold, « l’Unabomber n’était rien qu’un symptôme isolé d’années passées à haïr la civilisation industrielle, et initiées par le puissant lobby écologiste[14] ».

Selon l’interprétation harvardienne, avancée par Alston Chase, l’écologie de Kaczysnki serait hypocrite et rhétorique[15]. En réalité, le « noyau de sa philosophie […] tient à une espèce de primitivisme culturel » ou de néo-luddisme[16]. Le manifeste ne serait donc qu’une compilation des critiques de la technologie que Kaczynski aurait extraite du programme éducatif général d’Harvard entre 1958 et 1962, alors qu’il n’était pas diplômé. Il aurait « emprunté, ou partiellement donné corps, aux idées d’une longue liste de penseurs politiques et de sociologues » :

« Aristote, Jefferson, Marx ; les penseurs socio-critiques Lewis Mumford, Erich Fromm, Paul Goodman et Eric Hoffer ; les économistes Thorsten Vebler, E.F. Schumacher et Leopold Kohr ; les philosophes Oswald Spengler, Arthur Schopenhauer, Friedrich Nietzsche et Hannah Arendt ; les psychologues Sigmund Freud, Alfred Adler et B.F. Skinner ; les sociologues Theodor W. Adorno et Talcott Parsons ; ainsi que nombre d’autres penseurs dont, bien entendu, Ellul[17]. »

La thèse de Chase s’appuie sur les travaux antérieurs de Scott Corey, lequel range plusieurs autres penseurs au rang des influences de Kaczysnki : John Dollard, Leon Festinger, Ted Gurr, Chalmers Johnson, Barrigton Moore, Mancur Olson et John Zerzan[18]. Le cœur de l’interprétation harvardienne consiste donc à faire de Kaczynski un néo-luddite qui « aurait peint son message en vert […] pour donner plus de popularité à sa traîtrise[19] ».

En réalité, ces deux interprétations contiennent chacune une part de vrai, tout en étant à la fois incomplètes et bien souvent exagérées. L’interprétation écologiste vise juste lorsqu’elle rappelle que le lien de Kaczynski à l’écologie était à la fois sincère et ancien. En 1969 déjà, il écrivit à la Wilderness Society (non sans quelques critiques) et se montra intéressé par Earth First! (sinon activement impliqué) aux alentours de 1987 au moins[20]. Contrairement à ce qu’avance Chase, l’idéal de la « nature sauvage » contenu dans le manifeste n’est pas apparu après coup ou pour servir sa rhétorique. Cette même idée de « l’état sauvage » apparaît dans son essai de 1979, « Progrès versus Nature », inspiré par l’historien écologiste Roderick Nash : « Le sauvage est l’état de ce qui n’est pas soumis au contrôle d’une société organisée[21]. » Par ailleurs, Chase outrepasse allégrement son sujet lorsqu’il disqualifie la partie écologiste du manifeste de Kaczysnki comme étant une « tentative cynique d’attirer plus de soutiens à sa cause[22] ».

Néanmoins, l’interprétation écologiste en arrive aisément à l’exagération. En effet, le manifeste se révèle résolument anthropocentriste, contrastant donc fortement avec le biocentrisme d’Earth First! ou d’autres écologistes radicaux[23]. Kaczynski s’oppose tout d’abord à la technologie moderne non parce qu’elle a été un désastre pour la planète mais, ainsi qu’il le formule dès la première phrase, parce qu’elle a « été un désastre pour l’espèce humaine[24] ». Son idéal de nature sauvage comprend la « nature humaine », la nature humaine sauvage formant la préoccupation centrale du manifeste[25]. Dans ses écrits tardifs, Kaczysnki conseille aux révolutionnaires anti-tech « de se démarquer clairement des autres groupes radicaux », dont les écologistes radicaux et les éco-anarchistes[26]. Son rapport avec l’écologie laisse entrevoir plus de complexité et d’ambivalence que n’en suggèrent les deux interprétations précitées. Bien que son dévouement à la nature soit sincère, ses préoccupations diffèrent significativement de celles des écologistes radicaux.

L’interprétation harvardienne vise juste sur un point. Kaczynski n’écrivit pas le manifeste au moment de sa formation idéologique. Les événements politiques, les idées et mouvements des années 1980 et 1990 – la fin de la Guerre froide, le mouvement des miliciens, Earth First! – n’eurent sur lui qu’une influence secondaire. La majorité des idées de Kaczynski sont nées bien en amont, dans un contexte intellectuel. Afin de comprendre sa formation idéologique, il est crucial de déterminer quelles furent ses lectures.

Cependant, les détails apportés par l’interprétation harvardienne ne résistent pas à une observation attentive. En effet, rien ne prouve que Kaczynski ait lu la majorité des auteurs cités comme ses influences par Chase et Corey ; des preuves viennent même suggérer qu’il n’en aurait pas lu certains. En mai 2001, Corey envoya une copie de son article à Kaczynski en lui demandant des commentaires en retour. Sa réponse ne fut d’aucune aide et même dédaigneuse, mais ses notes privées au sujet de cet article sont révélatrices. Il y écrit qu’il n’a « jamais rien lu de maints » auteurs cités par Corey et Chase en tant que sources du manifeste : Alfred Adler, Hannah Arendt, John Dollard, Leon Festinger, Chalmers Johnson, Barrington Moore, Lewis Mumford, Mancur Olson, Talcott Parsons, and E.F. Schumacher.[27] Kaczynski confirme avoir lu B.F. Skinner, de même que trois livres de Jacques Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, Autopsie de la révolution et Propagandes. Mais des auteurs lus, il réfute l’influence d’un certain nombre sur le manifeste. En particulier, il écrit avoir « lu une petite partie des Etudes sur la personnalité autoritaire [Adorno et al.] mais sans dépasser le point où cela bascule dans des conneries psychanalytiques ». Il a lu Growing Up Absurd, de Paul Goodman, « mais pas avant d’avoir envoyé le manifeste au N.Y. Times et consorts. » Les notes de Kaczysnki jettent également un peu plus de doute sur l’interprétation écologiste. Il affirme « n’avoir jamais correspondu, ni entendu parler de John Zerzan [l’anarcho-primitiviste] avant [son] arrestation » ; de même pour Arne Naess et George Sessions, pionniers de l’écologie profonde[28]. Bien entendu, il se peut que Kaczynski ait absorbé les idées de sources dont il aurait oublié la lecture, ou qu’il ait pu rencontrer ces idées en seconde-main, chez d’autres auteurs. Mais les notes de Kaczysnki semblent tout à fait crédibles, puisqu’aucune autre archive ne les contredit.

En somme, les deux hypothèses habituelles sur la formation idéologique de Kaczysnki sont tout au mieux incomplètes. Tandis que l’interprétation écologiste exagère son lien avec l’écologie radicale, l’interprétation harvardienne renvoie à bon nombre de sources qu’il n’a pas lues. Dans les sections suivantes, je m’attèlerai à excaver les sources de Kaczysnki, de façon à proposer une autre hypothèse au sujet de sa formation idéologique. Tout comme Chase, j’affirme que les engagements premiers de Kaczynski sont anti-technologiques et non pro-environnementaux. Mais à l’inverse de Chase, j’affirme que sa critique de la technologie, en tant qu’elle fait œuvre de psychologie évolutionniste, diffère significativement des critiques culturelles et économiques de la technologie rencontrées durant ses années d’études. À cet égard, rappelons que La technique ou l’enjeu du siècle n’a été traduit en anglais qu’en 1964, soit deux ans après l’obtention de son diplôme. De même, les ouvrages cruciaux de Morris et Seligman ne sont parus qu’en 1969 et 1975.

Certes, Ellul, Morris et Seligman ne sont les pas les seules influences intellectuelles de Kaczysnki. Ses notes privées au manifeste citent également des travaux d’anthropologie, tels que The Forest People de Colin Turnbull et The Harmless People d’Elizabeth Marshall Thomas ; des œuvres de science politique comme Roots of Radicalism de Rothman & Lichter ; ainsi qu’une douzaine de travaux historiques[29]. Kaczynski a également lu un grand nombre d’œuvres de fiction, qui ne figurent pas dans ses notes, privées ou publiques[30]. J’affirme qu’Ellul, Morris et Seligman sont – dans cet ordre – les influences majeures du manifeste. C’est en partant de là que Kaczynski forma ses thèses principales (citées plus haut) ainsi que la plupart de ses concepts (tels que les « activités de substitution » et le « processus de pouvoir »).

Ellul : La technique ou l’enjeu du siècle

Jacques Ellul est un philosophe et critique de la technologie. Son idée majeure tient au fait que la « technique » (c’est-à-dire, l’efficacité rationnelle) est devenue une fin en soi ainsi qu’une force autonome hors de tout contrôle humain. Bien qu’il soit reconnu comme une influence de Kaczynski, cette influence n’a jamais été examinée en détail. Dans cette section, je m’appuierai sur une photocopie de La technique ou l’enjeu du siècle, annotée par Kaczynski, incluant des références croisées au manifeste afin de déterminer précisément ce qu’il doit à Ellul[31].

La principale dette de Kaczynski à l’égard d’Ellul transparaît dans l’idée que la technologie moderne forme un système indivisible et auto-entretenu. Cette idée fait principalement l’objet des deux premiers chapitres de La technique ou l’enjeu du siècle, lesquels ne figurent pas dans la photocopie de Kaczynski. Cependant, les parallèles sont si clairs que les renvois au manifeste sont à peine nécessaires. Tandis que Kaczynski écrit que « vous ne pouvez séparer les « mauvais » côtés de la technologie des « bons » », Ellul écrit : « C’est donc une illusion (parfaitement compréhensible d’ailleurs) que cet espoir de supprimer le « mauvais » côté de la technique, en gardant le « bon »[32]. » Ellul appelle cela « l’unicité » : « ces techniques se combinent de façon à former un tout, chaque partie étayant, renforçant l’autre[33]. » De son côté, Kaczynski avance que « la technologie moderne forme un système unifié dont toutes les parties sont interdépendantes[34] ».

L’argument de Kaczynski d’une inadaptation des humains à la vie dans une société technologique est également tiré d’Ellul. Dans un passage recoupé et annoté par Kaczynski, Ellul écrit :

« Mais l’homme n’est pas encore à l’aise dans cet étrange milieu, et la tension qui lui est ici demandée pèse lourdement sur son être et sa vie. Il cherche à fuir, et tombe dans les pièges du rêve. Il cherche à répondre et tombe dans les organisations. Il se sent inadapté et devient hypocondre […][35]. »

Étant donné que de nombreuses personnes sont incapables de s’adapter à la société technologique, Ellul avance que les techniques sont conçues afin de les y adapter – « non certes en modifiant quoi que ce soit, mais en agissant sur l’homme[36] ». Kaczynski illustre ce point par un croisement de paragraphe avec le manifeste : « Ces substances permettent de modifier le psychisme d’un individu afin de lui faire tolérer des conditions sociales autrement intolérables[37]. » Il rejoint l’argument d’Ellul pour qui l’humanité est incompatible avec la technologie moderne, ainsi que sa crainte de voir l’humanité être modifiée pour s’adapter au système technologique.

La dette la moins évidente de Kaczynski envers Ellul tient dans l’idée que l’activisme social est une forme de pseudo-rébellion. Dans une phrase recoupée par Kaczynski à sa critique du gauchisme, Ellul écrit que tous les mouvements révolutionnaires sont une « parodie[38] ». Il affirme que les mouvements sociaux ou intellectuels du vingtième siècle – communisme, pacifisme, surréalisme, anarchisme ou existentialisme – « n’ont pas recréé les conditions de la liberté ni de la justice ». Cependant, ils « ont parfaitement réussi à un autre point de vue » – « ils réussissent à arracher à cette puissance sa valeur d’agression pour la mieux situer à l’intérieur de la civilisation technique[40] ». De même, Kaczynski affirme que les gauchistes « sont nombreux à être moins rebelles qu’il n’y paraît[41] ». L’activisme social détourne l’attention du vrai problème – la technologie – et disperse l’énergie révolutionnaire qui pourrait autrement être dirigée contre le système technologique. Pour Kaczynski, la tentative de rébellion des gauchistes est ce qu’Ellul appelle une « révolte stérile[41] ».

Les annotations de Kaczynski révèlent également qu’Ellul a inspiré sa stratégie de publication du manifeste. Aussi prolifique que soit Ellul, il doutait que la publication de livres par les canaux traditionnels puisse changer le monde.

« Nous écrivons un livre révolutionnaire ? Mais il entre aussitôt dans le circuit de l’organisation technique de l’édition. Qu’est-ce à dire ? Ou bien il s’agit de la technique capitaliste et par conséquent le livre sera édité s’il est susceptible de rapporter de l’argent à l’éditeur, donc s’il peut trouver un public ; donc s’il n’attaque pas les véritables tabous du public auquel il est destiné. [Personne] n’éditera le livre qui attaque la religion de notre temps, les puissances sociales dominantes[42]. »

Même si « nous pouvons tout écrire, tout faire entendre », y compris des « déclarations révolutionnaires enflammées », « sitôt que cela remet en question effectivement l’ordre social universel qui est en train de se constituer […}, alors cela n’a aucune chance de passer par le canal des techniques de diffusion[43] ». Le paragraphe associé par Kaczynski est celui de l’explication de l’usage de la violence ayant amené à la publication du manifeste :

« Si nous [F.C.] avions transmis le présent texte à un éditeur sans recourir à la violence, il n’aurait probablement jamais été accepté. […] Pour transmettre publiquement notre message avec l’espoir de produire un effet durable, nous avons dû tuer des gens[44]. »

Kaczynski semble donc avoir particulièrement pris à cœur la remarque cynique d’Ellul concernant l’industrie de l’édition.

Malgré l’étroitesse de nombreux parallèles, il serait erroné de considérer Kaczynski comme un perroquet d’Ellul. Car il ne se contente pas d’en répéter les arguments ; il les adapte, les étaye et, à certains moments importants, les rejette.

En défendant la violence, Kaczynski rompt nettement avec Ellul. Malgré l’ambivalence apparente du manifeste à l’égard de la violence, la révolution envisagée par Kaczynski est bel et bien violente. Ainsi qu’il le révèle dans un texte non publié, « En défense de la violence », s’il s’est abstenu de faire « l’apologie de toute violence » dans le manifeste c’est parce qu’il croyait que les « grands médias refuseraient de publier » un texte favorable à la violence[45]. Pour sa part, Ellul condamne les « terroristes » en tant que « rêveurs et scientifiques » qui tombent dans « l’idéologie révolutionnaire banalisée[46] ». Il prône la « contemplation » et le « dialogue » mais sans avoir l’intention de s’opposer à la violence ; « l’attitude vraiment révolutionnaire serait l’attitude de la contemplation au lieu de l’agitation frénétique[47] ». En outre, alors que Kaczynski pense qu’une révolution anti-tech doit être menée par une avant-garde, parce que l’« histoire est faite par des minorités agissantes et déterminées », Ellul affirme qu’une révolution ne peut être confiée à une poignée de leaders, à un corps directif ou à une minorité agissante[48].

Le sujet des moyens et des mécaniques de la révolution est symptomatique d’une divergence plus profonde entre Kaczynski et Ellul. L’un des principaux arguments d’Ellul dans Autopsie de la révolution consiste à dire que les révolutions passées ne peuvent servir de modèles à une révolution anti-technologie. Le système technologique serait en effet trop global et trop ancré pour être renversé comme un simple gouvernement[49]. À l’inverse, Kaczynski s’appuie fortement sur l’histoire des révolutions et des changements sociétaux. Ses notes privées font référence à des livres sur la lutte pour l’indépendance de l’Argentine, la révolution mexicaine de 1910, le colonialisme en Amérique du Nord, Simón Bolívar et les révolutions de 1848[50]. La bibliothèque de sa cabane contenait des livres sur la Révolution française, la conquête espagnole de l’Amérique centrale et de l’Amérique du Sud, le Sud sécessionniste et la Première Guerre mondiale[51]. Ignorant la mise en garde d’Ellul contre l’extrapolation historique, Kaczynski affirme que son type de révolution pourrait suivre « le modèle des révolutions française et russe[52] ». Ainsi, les révolutionnaires anti-tech propageraient leur idéologie, construiraient un mouvement, attendraient une crise pour déstabiliser le système, puis sortiraient de l’ombre pour asséner le coup de grâce.

La notion d’inadaptation chez Kaczynski diffère aussi fortement de celle d’Ellul. Pour Ellul, l’inadaptation des êtres humains à la technologie moderne est d’ordre socioculturel. Le problème de la « technique » est qu’elle « dissocie les formes sociologiques, détruit les cadres moraux, fait exploser les tabous sociaux ou religieux, désacralise les hommes et les choses, réduit le corps social à la collection d’individus[53] ». Chase voit lui aussi en Kaczynski un « primitiviste culturel », le comparant aux « innombrables écrivains contemporains, du philosophe social de Harvard Lewis Mumford à Ellul lui-même, [qui] ont averti que le progrès technologique menaçait l’avenir de la culture[54] ». Cependant, contrairement aux critiques culturelles et économiques de la technologie qu’il lut à Harvard, Kaczynski n’est pas particulièrement préoccupé par l’effondrement des communautés traditionnelles ou des modes de vie. Bien qu’il reconnaisse que « les changements rapides et la désintégration des petites communautés ont été largement reconnus comme causes de problèmes sociaux », il ne pense pas « qu’ils soient seuls responsables des problèmes constatés actuellement[55] ».

Si Ellul et Mumford sont des primitivistes culturels, Kaczynski est quant à lui un « bioprimitiviste ». Il affirme que les êtres humains sont biologiquement inadaptés à la vie dans une société technologique : « Nous [FC] imputons les problèmes psychologiques et sociaux de la société moderne au fait qu’elle impose des conditions de vie radicalement différentes de celles dans lesquelles l’espèce humaine a évolué[56]. » « Il est en tout cas certain que la technologie est en train de créer un nouvel environnement physique et social, radicalement différent de ceux auxquels l’humanité s’était, par la sélection naturelle, adaptée physiquement et psychologiquement[57]. » Mais la révolution industrielle a radicalement modifié ces environnements en l’espace de quelques générations. Kaczynski pense que l’inadéquation entre nos gènes de chasseurs-cueilleurs et nos environnements technologiques est responsable de nombreuses pathologies courantes, notamment « la dépression avec son cortège d’anxiété, de culpabilité, de troubles du sommeil et du comportement alimentaire, et d’autres sentiments négatifs envers soi. Les gens qui glissent vers la dépression prennent le plaisir pour un antidote ; ce qui les porte vers un hédonisme insatiable, une sexualité débridée et des perversions censées procurer de nouvelles excitations[58] ». Alors qu’Ellul conçoit l’inadaptation sur le mode socioculturel, Kaczynski le fait sur un mode évolutionniste et psychologique. La différence entre Ellul et Kaczynski illustre donc la distinction entre le primitivisme culturel et le bioprimitivisme.

Kaczynski formule fréquemment sa conception de l’inadaptation suivant ses propres termes psychologiques, sans parallèle aucun avec la pensée d’Ellul. Il affirme que les êtres humains éprouvent le besoin inné de satisfaire leur « processus de pouvoir » : « Ainsi, pour éviter de graves problèmes psychologiques, un être humain a besoin d’objectifs dont l’accomplissement requiert des efforts, et doit connaître un minimum de succès dans la réalisation de ses buts[59]. » Les objectifs évoqués par Kaczynski sont des objectifs biologiques de base, liés à la survie et à la reproduction. Le processus de pouvoir désigne donc le processus d’utilisation de son propre pouvoir physique et mental pour satisfaire ses propres besoins biologiques[60].

Étant donné que de nombreuses personnes dans la société moderne peuvent satisfaire leurs nécessités vitales sans fournir un effort sérieux, elles tentent de satisfaire leur besoin de puissance par des « activités de substitution », c’est-à-dire des activités tournées « vers un but artificiel, inventé uniquement pour motiver l’action d’un individu et lui procurer « l’accomplissement » qui en découle[61] ». Il s’agit notamment des passe-temps, des sports, de l’art et, plus important encore selon Kaczynski, de l’activisme et de la science. Cependant : « Pour beaucoup, si ce n’est pour la majorité, les activités de substitution sont moins satisfaisantes que la poursuite de buts réels[63]. » Notre inadaptation à la société technologique résulte donc du fait que cette forme de société ne peut pas satisfaire nos besoins psychologiques biologiquement enracinés.

En définitive, les idées d’Ellul forment le noyau du manifeste, mais nullement sa totalité. La compréhension systémique de la technologie par Kaczynski, son concept d’inadaptation, sa critique du gauchisme, et beaucoup de ses points les plus fins découlent de La technique ou l’enjeu du siècle. Mais Kaczynski modifie et complète les idées d’Ellul sous la double influence de la théorie de l’évolution et de la psychologie moderne. Plus particulièrement, les idées d’inadaptation biologique, de processus de pouvoir et d’activité de substitution ne proviennent pas d’Ellul. L’une des principales énigmes du manifeste tient à l’origine de ces idées.

Morris : Le Zoo humain

Les modifications et les ajouts à Ellul opérés par Kaczynski proviennent de plusieurs sources. La plus importante d’entre elles est Le Zoo humain, du zoologiste Desmond Morris, suite en 1969 de son best-seller de 1967, Le Singe nu. En s’appuyant sur son expérience de conservateur des mammifères au zoo de Londres, Morris observe que les citadins modernes sont victimes d’un grand nombre de problèmes psychologiques présents chez les autres mammifères en captivité. Il attribue ces problèmes au fait que : « L’animal humain moderne ne vit plus dans des conditions naturelles pour son espèce[63]. » Les êtres humains, ayant évolué pour devenir des chasseurs-cueilleurs tribaux, paient un lourd tribut psychologique pour vivre dans la sécurité toute relative de leurs « zoos » urbains.

La dette de Kaczynski envers Morris est fort bien cachée. La version du manifeste publiée par le Washington Post ne cite pas Morris et ne contient que de subtiles allusions au Zoo humain. Après avoir énuméré les divers problèmes psychologiques causés par la perturbation du processus de pouvoir, Kaczynski ajoute que « [certains] des symptômes listés sont similaires à ceux présentés par les animaux en captivit[64] ». Dans sa propre copie du manifeste, il fait suivre cette phrase d’une note de bas de page privée renvoyant au Zoo humain[65].

C’est de ce livre que provient le virage darwino-ellulien de Kaczynski. Son essai de 1978-1979, « Reflections on Purposeful Work », fait étroitement écho à Morris et anticipe l’idée d’inadaptation biologique présente dans le manifeste : « les raisons qui rendent l’homme moderne si enclin à la frustration et à d’autres problèmes émotionnels tiennent à ce que, dans la société technologique, il mène une vie complètement anormale – tout du moins, par rapport au type de vie pour lequel l’évolution l’a adapté, à savoir celle du chasseur-cueilleur[66]. ». Après cette phrase figure une note de fin d’ouvrage, mais les notes en question demeurent manquantes. En l’espèce, une référence au Zoo humain aurait parfaitement convenu.

Le concept de processus de pouvoir chez Kaczynski provient en grande partie de Morris. Dans une lettre de 1996, écrite trois mois après son arrestation, Kaczynski recommande « deux livres qui semblent apporter un certain soutien à l’affirmation du manifeste sur le processus de pouvoir : Desmond Morris, Le Zoo humain, et Martin E. P. Seligman, Helplessness : On Depression, Development, and Death[67] ». Notons que cette réponse vague lui permettait de ne pas admettre qu’il était l’auteur du manifeste et, partant, de s’auto-incriminer.

Le processus de pouvoir se fonde sur le concept de « lutte pour le stimulus » présent chez Morris. « L’objet de la lutte est d’obtenir de l’environnement la quantité optimale de stimulations[68]. » Cette lutte concerne les espèces « opportunistes », telles que les chiens et les singes, lorsqu’elles sont gardées dans des zoos. Ces espèces ayant « acquis des systèmes nerveux qui ont horreur de l’inactivité », elles doivent trouver des moyens de maintenir un certain niveau de stimulation, même lorsque tous leurs autres besoins ont été satisfaits par les gardiens du zoo. Sinon, ils « sombreront dans l’ennui, dans l’énervement, et pour finir, dans la névrose[69] ». De même, Kaczynski affirme que les personnes qui peuvent obtenir tout ce qu’elles veulent sans « fournir aucun effort » cèdent souvent « à l’ennui et à la démoralisation[70] ». Comme la « société moderne », à la manière d’un gardien de zoo, « tend à assurer le minimum vital à tout individu en échange d’un effort minime », les hommes modernes s’efforcent constamment de trouver une stimulation par le biais d’« activités de substitution[71] ».

Le concept kaczynskien d’activité de substitution découle de celui des « activités de substitut de survie » chez Morris. Morris observe que nombre d’animaux de zoo s’adonnent à des distractions, telles qu’un toilettage excessif ou le harcèlement des spectateurs, afin de maintenir leur stimulation à un niveau optimal. Il affirme que les passe-temps et les activités – « changer l’ameublement, collectionner les timbres-poste » ou faire « de l’art, de la philosophie et de la science pure » – remplissent essentiellement la même fonction de « substitut de survie » pour les êtres humains[72]. Cependant, pour les animaux de zoo comme pour les êtres humains modernes, ces formes artificielles de stimulation peuvent se révéler inadéquates : « Les substituts à l’activité réelle pour survivre demeurent des substituts, quelle que soit la façon dont on les regarde. La désillusion peut facilement s’installer[73]. » De même, Kaczynski affirme que la société moderne souffre d’un « manque de buts réels » et, à l’instar de Morris, il utilise la collection de timbres et les activités scientifiques comme exemples paradigmatiques d’activités de « substitution »[74]. Dans une ébauche manuscrite du manifeste trouvée par le FBI dans sa cabane, Kaczynski utilise « substitution » au lieu de « substitut ». La note qu’il s’est adressée à lui-même en haut de la première page est la suivante : « Tout au long de ce document, remplacer l’expression “activité de de substitut” par “activité de substitution”[75]. » Kaczynski s’employa peut-être à modifier la terminologie de Morris afin de ne pas donner d’indices au FBI.

Le concept d’activité de substitution joue un rôle clair dans l’idée d’inadaptation chez Kaczynski : si les humains ont évolué c’est afin de chasser et de cueillir, et non pour résoudre des équations ou collectionner des timbres. Du même coup, Kaczynski trouve à justifier sa propre désillusion à l’égard des mathématiques. En outre, les activités de substitution jouent un rôle important dans sa compréhension de la technologie. L’idée centrale selon laquelle la technologie moderne forme un système qui s’auto-perpétue provient d’Ellul, mais l’« auto-perpétuation » semblait trop vague pour Kaczynski. Ellul décrit la « technique » comme une force autonome « avec son corps, son entité particulière, sa vie indépendante de notre décision[76] ». Si Kaczynski recourt à l’activité de substitution, c’est pour fournir une explication plus fine de la manière dont le système technologique se perpétue.

La recherche scientifique est l’activité de substitution qui alimente le développement du système. Selon Kaczynski, la motivation principale des scientifiques n’est « ni la curiosité ni le bien de l’humanité, mais le besoin d’accomplir leur processus de pouvoir : se fixer un but (un problème scientifique à résoudre), fournir un effort (la recherche scientifique), et atteindre ce but (trouver la solution au problème)[77] ». Les activités scientifiques de substitution sont une conséquence de la perturbation du processus de pouvoir. Pour la plupart des gens, la réalisation des objectifs liés à la survie n’exige qu’un effort moindre. Par conséquent, certaines personnes se tournent vers la recherche scientifique pour donner un sens à leur vie. Cela amène à un cercle vicieux. Plus les gens s’enfoncent dans des activités scientifiques de substitution, plus le système technologique croît. Réciproquement, le développement du système perturbe toujours plus le processus de pouvoir, ce qui pousse un nombre croissant de personnes à s’adonner à des activités scientifiques de substitution[78].

Pour Kaczynski, il s’ensuit que le système technologique n’est pas un produit de la raison, et encore moins le fruit d’un projet diabolique ; il n’y a pas de conspiration des scientifiques ou des technocrates[79]. Combinant deux visions du monde, la vision systémique d’Ellul et celle – darwinienne – de Morris, Kaczynski conçoit le développement du système technologique comme un processus évolutif[80]. Les activités de substitution des scientifiques produisent des mutations constantes dans la technologie, qui sont ensuite filtrées par la concurrence entre « grandes organisations » telles que les États et les entreprises. Le progrès technologique est favorisé par la « sélection naturelle », car « les organisations qui utilisent efficacement la technologie réussissent mieux que celles qui ne le font pas[81] ». Il existe une main invisible de la technologie, qui n’est pas sans rappeler la main invisible du marché.

En résumé, Kaczynski s’inspire de Morris pour apporter une perspective évolutionniste à ses arguments sociologiques elluliens. Les idées du manifeste sur l’inadaptation biologique, le processus de pouvoir et l’activité de substitution dérivent du Zoo humain. Toutefois, Kaczynski s’oppose à Morris au sujet de l’origine des problèmes psychologiques généralisés dans la société moderne. Pour sa part, Morris pense que les êtres humains sont avant tout inadaptés à un monde surpeuplé d’étrangers : « Ce fut ce changement, ce passage de la société personnelle à la société impersonnelle, qui allait causer à l’animal humain ses plus grandes angoisses dans les millénaires à venir[82]. » Bien que Kaczynski admette que « la promiscuité augmente le stress et l’agressivité », il nie qu’elle soit « un facteur décisif » : « Certaines cités préindustrielles étaient très étendues et très peuplées, mais leurs habitants ne semblent pas avoir souffert de problèmes psychologiques comparables à ceux de l’homme moderne[83]. » Mais c’est dans les travaux de l’un des psychologues les plus influents du vingtième siècle qu’il trouva un diagnostic alternatif.

Seligman : Helplessness

Le concept le plus connu de Martin Seligman, à compter parmi les influences de Kaczynski, est celui de « l’impuissance acquise ». Simplement énoncé, un animal est impuissant lorsqu’il pense que son comportement ne produit aucun effet sur un ensemble de résultats donnés – lorsqu’il pense ne pas pouvoir contrôler son propre destin. Dans les fameuses expériences de Seligman, des chiens étaient soumis à des séries d’électrochocs inévitables. Lorsque ces mêmes chiens se trouvaient, plus tard, soumis à des chocs auxquels ils auraient pu échapper, deux tiers d’entre eux montraient une impuissance acquise. Plutôt que de tenter de s’échapper, ils préféraient « se coucher et gémir fébrilement[84] ».

L’influence de Seligman sur le manifeste fut soigneusement dissimulée. La version du Washington Post ne le cite pas ; et le mot « impuissance » n’apparaît qu’à deux reprises[85]. Kaczynski inclut néanmoins une note privée à la fin de son analyse du processus de pouvoir : « En lien avec les paragraphes 33–44, et tout aussi important, voir Martin E. P. Seligman, On Depression, Development, and Death[86]. » Il cite également Seligman (et Morris) à l’appui de son concept de processus de pouvoir dans une lettre écrite trois mois après son arrestation[87].

Rappelons-nous des quatre éléments du processus de pouvoir : but, effort, succès et autonomie[88]. Tandis que les deux premiers incluent la « lutte pour le stimulus » de Morris, les deux derniers découlent de l’impuissance acquise telle que formulée par Seligman. Kaczynski avance que les êtres humains ont besoin de plus que la simple « stimulation » offerte par la poursuite d’un objectif marquée par l’effort. Si leurs efforts se confrontent de façon répétée à l’échec, l’impuissance apparaîtra : « Passer toute une vie sans pouvoir atteindre ses buts conduit au défaitisme, à l’autodépréciation et à la dépression[89]. » De surcroît, les êtres humains ont besoin d’autonomie dans l’accomplissement de leurs objectifs, « sous leur direction et leur contrôle ». Ce n’est qu’en faisant « un effort autonome » qu’une personne peut obtenir « l’estime de soi, la confiance en soi et le sentiment de puissance[91] ». Ainsi qu’il l’écrit dans une lettre de 2004 : « Celui qui n’a pas assez expérimenté le processus de pouvoir n’est pas “immunisé” contre l’impuissance acquise[91]. »

Dans cette lettre de 2004, Kaczysnki se rappelle avoir lu Helplessness « à la fin des années 1980[92] ». Mais il semble en vérité avoir eu connaissance de cette théorie bien longtemps avant la parution de l’ouvrage de Seligman. Dans son journal, il écrivait en 1969 que « les choses les plus importantes de la vie d’un individu se trouvent principalement sous le contrôle de grandes organisations, l’individu est impuissant à les influencer ». À l’inverse, l’homme primitif fait preuve de plus de contrôle sur son existence : « Ses choix comptent, il n’est pas impuissant[93]. » Par la suite, cet argument devint une part importante du manifeste.

Kaczynski utilise le concept d’impuissance acquise afin de donner un mécanisme psychologique à son argument de l’inadaptation. Alors que les êtres humains ont évolué en s’adaptant à des menaces qui restaient plus ou moins sous leur contrôle, nombre des menaces se trouvent aujourd’hui totalement hors de leur portée.

« L’homme primitif, menacé par une bête féroce ou tenaillé par la faim, peut se défendre ou partir en quête de nourriture. Il n’est pas certain que ses efforts paieront, mais il n’est pas désarmé face à l’adversité. En revanche, l’individu moderne est impuissant face à nombre de menaces : accidents nucléaires, substances cancérigènes dans sa nourriture, pollution de l’environnement, guerre, augmentation des impôts, intrusions des grandes organisations dans sa vie privée, phénomènes socio-économiques nationaux pouvant bouleverser son mode de vie, etc[94]. »

Pour Kaczynski, les humains d’aujourd’hui sont semblables aux chiens électrocutés de Seligman. Face à tant de forces qu’ils ne peuvent contrôler, de nombreuses personnes laissent couler, se droguent, regardent la télévision et acceptent leur destin[95]. Les problèmes psychologiques largement répandus dans la société moderne sont en fait le résultat d’une épidémie d’impuissance acquise.

En outre, Kaczynski voit dans le gauchisme une manifestation politique de l’impuissance. L’intellectuel gauchiste type est « sursocialisé », en ce sens qu’il a profondément intégré les normes de la société technologique – telles que l’égalité, la politesse et la non-violence[96]. Dès lors, chaque fois qu’il les transgresse, même en pensée, il endure un sentiment de « honte et de haine de soi ». La sursocialisation tient le gauchiste par « sa laisse psychologique », « ce qui génère chez beaucoup de sursocialisés un sentiment de contrainte et d’impuissance[97] ». (À cet égard, Kaczynski tend à employer le terme « powerless » à la place de « helpless », comme nous l’avons relevé plus haut à propos de « substitution ». Il est probable qu’il ait ainsi essayé de dissimuler l’influence de Seligman pour ne pas donner d’indices au FBI.) Parce que le gauchiste se sent impuissant en tant qu’individu, il tente d’acquérir un sentiment de puissance par procuration « en tant que membre d’une grande organisation ou d’un mouvement de masse auquel il s’identifie[98] ». Ce faisant, les mouvements sociaux confèrent un sentiment artificiel de puissance, tout comme les activités de substitution fournissent des objectifs artificiels.

Parmi les documents confisqués par le FBI dans la cabane de Kaczynski, l’on trouve des notes manuscrites sur l’ouvrage de Seligman, qui consistent principalement en de longues citations décrivant les résultats d’expériences[99]. Pour l’essentiel, ces notes confirment ce qui apparaît à la lecture de ses notes privées : le concept d’impuissance acquise lui a permis de façonner son concept de processus de pouvoir. Mais ces notes montrent également comment Kaczynski s’est approprié le concept d’impuissance acquise. Bien qu’il ait été fasciné par les expériences sur l’impuissance, les interprétations des résultats qu’en firent les psychologues ne suscitèrent pas chez lui la même réaction. Ainsi qu’il l’écrit dans une lettre de 2010, l’ouvrage de Seligman « est d’une importance capitale pour comprendre la psychologie de l’homme moderne » ; « Seligman est toutefois trop conformiste pour tirer les conclusions sur la société moderne qui peuvent et doivent être tirées de son travail[100] ». Entre les mains de Kaczynski, le concept d’impuissance acquise est donc devenu un diagnostic psychologique de masse.

Le nouveau radicalisme anti-tech

En pensée comme en action, Kaczynski est un loup solitaire. Son manifeste articule une théorie qui lui est propre (ou une vision du monde), elle-même issue d’une combinaison unique des idées d’Ellul, Morris et Seligman. Les spécialistes du terrorisme se sont récemment demandé « s’il n’était pas temps d’en finir avec la catégorie des “loups solitaires” », étant donné que les prétendus loups solitaires sont rarement aussi indépendants qu’ils en ont l’air : « les liens avec les milieux radicaux, en ligne et hors ligne, sont cruciaux[101]. » Pourtant, Kaczynski a cela d’inhabituel que l’essentiel de sa formation se déroula dans une bibliothèque, loin de tout milieu radical. Son association avec des écologistes radicaux, qui partageaient son dédain pour la technologie moderne, fut donc davantage une conséquence de sa radicalisation plutôt qu’une cause. L’affaire Unabomber montre que les terroristes peuvent émerger d’un vide idéologique relatif, même si cela est rare, et que le concept de loup solitaire gagnerait à être conservé.

Bien que Kaczynski ait commencé sa campagne d’attentats anti-tech en tant que loup solitaire, il est devenu depuis le chef d’une meute. Comme il l’espérait, son manifeste a donné naissance à une idéologie – un discours public anti-technologie – et a inspiré tout un faisceau de groupes radicaux anti-tech. Kaczynski n’est pas seulement l’exemple extrême d’un radical anti-tech, mais aussi le fondateur et le pilier d’une nouvelle forme de radicalisme anti-tech.

Au lendemain de son arrestation, de nombreux partisans surgirent de la frange la plus marginale du mouvement écologiste. Parmi ses premiers correspondants et confidents, l’on dénombre John Zerzan, éminent anarcho-primitiviste, mais aussi Derick Jensen, cofondateur du groupe écologiste radical Deep Green Resistance[102]. Toutefois, les alliances de Kaczynski avec les éco-anarchistes et les écologistes radicaux furent ténues et de courte durée. Il se brouilla finalement avec Zerzan, Jensen et leurs mouvements respectifs pour la même raison : parce qu’ils étaient engagés dans de nombreuses causes « gauchistes », synonymes de dangereuses distractions[103]. Tandis que l’opposition de Kaczynski à la technologie affiche un caractère obstinément borné, Zerzan et Jensen ne voient en la technologie qu’une facette de la « civilisation », au même titre que le patriarcat, le racisme et l’exploitation des animaux. Ce n’est que des années plus tard que Kaczynski a commencé à s’attirer des adeptes adhérant à son radicalisme anti-tech. Ainsi qu’il le note dans son livre de 2016 : « Je ne reçois de l’aide que depuis 2011, de gens qui consacrent beaucoup de temps et d’efforts à effectuer des recherches pour mon compte, tout en étant contraints de gérer simultanément d’autres aspects de leurs vies, comme le fait de gagner de quoi subsister[104]. » Coïncidence ou non, 2011 est aussi l’année de naissance du groupe terroriste mexicain ITS.

John Jacobi, un disciple de Kaczynski, distingue trois groupes de radicaux anti-tech inspirés par ce dernier[105]. Il y a d’abord les « apôtres » de Kaczynski, les indomitistas, dirigés par son correspondant espagnol sous pseudonyme, Último Reducto. Les indomitistas se consacrent principalement à la traduction et à l’analyse des écrits de Kaczynski. Ils font partie de son « cercle intime », qui effectue également des recherches pour son compte et gère la maison d’édition Fitch & Madison, qui imprime ses livres[106]. Les deux autres groupes sont les « hérétiques », qui s’inspirent des écrits de Kaczynski mais divergent de lui et des indomitistas sur les points les plus fins de la doctrine, de la stratégie et de la tactique. L’un d’eux est le groupe de Jacobi, celui des « wildistes », s’étant séparé des indomitistas les plus orthodoxes pour former une coalition plus large de radicaux « anti-civilisation »[107]. L’autre groupe d’hérétiques, sur lequel je me concentre dans cet article, comprend ITS et ses ramifications. Alors que les indomitistas et les wildistes se concentrent sur le développement et la propagation des idées anti-technologiques, ITS a soif d’actions spectaculaires et violentes.

Des journalistes et des spécialistes du terrorisme ont qualifié ITS de groupe « écoterroriste » et parfois « éco-anarchiste », comparant le groupe à Deep Green Resistance et au Earth Liberation Front[108]. ITS emploie pour sa part le terme « éco-extrémiste », ce qui semble inviter à de telles comparaisons[109]. Cependant, ITS n’est pas seulement une variante plus belliqueuse de l’écologie radicale ou de l’éco-anarchisme. Après analyse, les communiqués du groupe démontrent que son idéologie suit une forme nettement kaczynskienne de radicalisme anti-tech.

Bien qu’ITS ait été influencé par l’écologie radicale, le « éco » présent dans « éco-extrémisme » se révèle trompeur. Il ne s’agit pas d’une « écologie profonde » ; ITS rejette en effet le « sentimentalisme, l’irrationalisme et le biocentrisme » qu’il constate dans de nombreux groupes écologistes radicaux[110]. L’« éco » en question renvoie davantage à l’idéal du groupe, celui de la « nature sauvage », lequel accorde une place centrale à la nature humaine. La principale préoccupation d’ITS, comme de Kaczynski, tient au fait que « les êtres humains s’éloignent de plus en plus dangereusement de leurs instincts naturels[111]. » Adoptant le « bioprimitivisme » de Kaczynski, comme je l’ai appelé, ITS affirme que « l’être humain est biologiquement programmé […] par l’évolution » pour une vie de « chasseur-cueilleur-nomade[112] ».

Malgré cet idéal du chasseur-cueilleur en commun avec les éco-anarchistes, ITS rejette avec véhémence toute étiquette de ce type : « nous ne sommes pas des “éco-anarchistes” ou des “anarcho-écologistes”[113]. » Le groupe qualifie de « délirants » ceux qui « romancent la Nature sauvage » et « croient que tout sera rose lorsque la Civilisation tombera, et qu’un nouveau monde s’épanouira sans inégalité sociale, sans faim, sans répression, etc.[114] » Cette attaque à peine voilée contre l’anarcho-primitivisme de Zerzan fait écho à l’essai de Kaczynski intitulé « La vérité au sujet de la vie primitive », dans lequel il cherche à « récuser le mythe anarcho-primitiviste qui dépeint la vie des chasseurs-cueilleurs comme une sorte de Jardin d’Eden politiquement correct[115] ». ITS suit Kaczynski en condamnant l’éco-anarchisme comme étant « gauchiste ».

L’influence kaczynskienne d’ITS est difficile à manquer. De nombreuses parties des communiqués du groupe ne sont que des paraphrases du Manifeste : « L’essence du processus de pouvoir comporte quatre parties : la définition du but, l’effort, la réalisation du but et l’autonomie[116]. » Mais il serait difficile d’apprécier l’étendue de l’influence de Kaczynski sur ITS sans connaître l’origine des idées du premier. ITS cite Le Zoo humain de Morris en affirmant que « la nature sauvage de l’être humain en général a été pervertie lorsqu’il a commencé à se civiliser[117] ». Le même communiqué reprend ensuite Morris sans le citer : « il est totalement anormal de vivre avec des centaines d’étrangers autour de soi[118]. »

ITS admet explicitement devoir certaines choses à Kaczynski. Mais cela n’a pas suffi à éviter les malentendus – Kaczynski ayant été lui-même assimilé aux écologistes radicaux et aux éco-anarchistes[119]. Afin d’apprécier la spécificité idéologique d’ITS, il est nécessaire de voir la constellation à part que forment les concepts de Kaczynski. En effet, le groupe emploie son vocabulaire si caractéristique : système technologique, processus de pouvoir, activités de substitution, gauchisme, sentiments d’infériorité, sursocialisation, etc. Or, tel n’est pas le jargon de l’écologie radical ou de l’éco-anarchisme. À l’exception des termes « civilisation » et « domination », ITS rejette explicitement tout le vocabulaire « gauchiste » de l’anarchisme : oppression, solidarité, entraide, lutte des classes, hiérarchie, inégalité, injustice et impérialisme[120]. De plus, comme je l’ai déjà montré, même les parties « écolos » des communiqués d’ITS passent par un filtre kaczynskien. ITS n’est pas un groupe éco-terroriste ou éco-anarchiste, mais un nouveau type de groupe terroriste anti-technologie. L’idéologie du groupe est clairement kaczynskienne, dans sa généalogie et sa morphologie.

De même, le modus operandi d’ITS n’est pas typique des écologistes radicaux ou des éco-anarchistes, qui tendent plutôt vers le sabotage ou la « clé à molette ». Les écologistes radicaux s’en prennent quasi exclusivement aux biens plutôt qu’aux personnes[121]. ITS, en revanche, affirme n’être « pas un groupe de saboteurs (nous ne partageons pas la stratégie de sabotage, d’endommagement ou de destruction des biens)[122] ». Au lieu de cela, et comme Kaczynski, ITS cherche à tuer ou mutiler des individus, tels que des scientifiques, dont les activités de substitution servent de moteur au développement du système technologique[123].

Les radicaux anti-tech et les radicaux écologistes n’entretiennent pas le même rapport à la violence, en grande partie parce que leurs idéaux diffèrent. Ainsi que l’affirme Bron Taylor, les écologistes radicaux éprouvent « des sentiments globalement religieux – accordant un caractère sacré à la terre et à toute vie – qui réduisent la possibilité de voir des militants du mouvement [écologiste] s’engager dans la violence terroriste[124] ». Comme il le souligne à juste titre, rien n’indique que Kaczynski partageait le sentiment, si répandu dans les sous-cultures écologistes radicales, de la vie digne de révérence et de la terre sacrée[125]. Au contraire, Kaczynski s’attache à l’idéal d’une nature sauvage qui sert à naturaliser la violence. Il affirme, et ITS l’approuve sur ce point, « qu’un niveau important de violence fait naturellement partie de la vie humaine[126] ». La violence est une partie de la vie d’un être humain sauvage, lequel ne saurait s’encombrer des entraves de la morale civilisée.

L’idéal de la nature sauvage permet d’expliquer le choix des cibles des radicaux anti-tech. Pour Kaczynski et ITS, les êtres vivants n’ont de valeur que dans la mesure où ils sont sauvages. L’être sauvage est « [extérieur] au pouvoir du système[127] ». Lorsque les êtres humains se changent en instruments du système, ils perdent toute la valeur ou la dignité à laquelle ils auraient pu prétendre. Les scientifiques et les techniciens sont des cibles autorisées de la violence parce qu’ils ont trahi leur nature sauvage, et ils constituent des cibles désirables parce qu’ils symbolisent le système technologique[128]. Alors que la révérence des radicaux écologistes envers la vie tend à les éloigner de la violence, vers la destruction des biens, l’idéal de la nature sauvage des radicaux anti-tech sert à justifier leur violence.

Cependant, ITS diverge de Kaczynski en ce qui concerne l’objectif de la violence. Pour Kaczynski, la violence est avant tout un moyen de renverser le système technologique. ITS, en revanche, assimile la révolution de Kaczynski à quelque chose d’ « idéaliste et irrationnelle[129] ». Pour le groupe, cette révolution est non seulement vouée à l’échec, mais Kaczynski tombe en plus dans le piège du gauchisme lorsqu’il calque son modèle sur les révolutions française et russe[130]. Aux yeux des membres d’ITS, la violence n’est pas un moyen de faire la révolution, mais un moyen d’affirmer ou de récupérer leur propre sauvagerie : « l’attaque contre le système […] est un instinct de survie, puisque l’homme est violent par nature[131] ». Kaczynski condamne ITS et accuse le groupe d’avoir détourné ses idées. Il leur retourne l’accusation de gauchisme, ainsi qu’un diagnostic d’impuissance apprise : « L’erreur la plus importante commise par ITS est qu’ils expriment, et donc encouragent, une attitude de désespoir quant à la possibilité d’éliminer le système technologique[132]. » Cette attitude de désespoir donne à ITS un caractère plus vengeur et nihiliste que celui de Kaczynski lui-même.

Conclusion

J’ai ici démontré que les principaux concepts de La Société industrielle et son avenir découlent de trois penseurs académiques, ni cités ni mentionnés dans la version de 1995 du Washington Post. L’idéologie révolutionnaire anti-tech de Kaczynski combine la philosophie d’Ellul sur la technologie, la sociobiologie de Morris et la psychologie cognitive de Seligman. Si le manifeste fait rempart à toute catégorisation facile, c’est parce qu’il constitue une synthèse absolument nouvelle d’idées piochées au sein de diverses disciplines et traditions intellectuelles.

Mon analyse de l’idéologie de Kaczynski met en lumière la menace nouvelle que représente le radicalisme anti-tech. Assimilée qu’elle était à l’écologie radicale et à l’éco-anarchisme, faute de pouvoir être nommée, cette menace est passée sous les radars. Comme je l’ai démontré, les radicaux anti-tech forment un groupe distinct sur le plan idéologique, dont la propension à la violence est bien supérieure à celle des écologistes radicaux. Le regain d’intérêt pour Kaczynski et l’émergence de groupes tels qu’ITS s’expliquent par les inquiétudes croissantes que suscitent les effets néfastes de la technologie moderne. Aussi, le radicalisme anti-tech est susceptible de croître au cours des prochaines décennies, en lien avec l’augmentation des craintes vis-à-vis des conséquences de l’automatisation, de l’intelligence artificielle, de la biotechnologie et de la nanotechnologie. Par ailleurs, certains spécialistes du terrorisme et futurologues prédisent déjà une vague de terrorisme « technophobe » au cours de ce siècle[133]. L’opposition à la technologie tire sa puissance idéologique, affirment-ils, de ce qu’elle réunit nombre de questions et préoccupations disparates : changement climatique et pollution ; automatisation, chômage et inégalité ; aliénation et perturbation de la communauté ; surveillance de masse et contrôle social ; préoccupations morales au sujet de la biotechnologie. En tant qu’il est l’anti-tech radical le plus tristement célèbre d’aujourd’hui, mais aussi l’auteur du plus détaillé des projets de révolution, Kaczynski pourrait bien devenir le « Marx » de l’anti-tech.

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Footnote [1] — Je me réfère à l’édition de La Société industrielle et son avenir (ci-après SIESA) parue dans L’Esclavage technologique Vol. 1, traduit par Alexis Adjami et Romuald Fadeau, Editions Libre, 2023. Je cite SIESA avec les numéros de paragraphes. La source la plus fiable d’informations concernant la vie et les crimes de Kaczynski est Michael Mello, voir United States of America Versus Theodore John Kaczynski: Ethics, Power, and the Invention of the Unabomber (New York, 1999).

Footnote [2] — Les seuls essais académiques traitant des idées de Kaczynski sont ceux de Tim Luke, ‘Re-Reading the Unabomber Manifesto’, Telos 107 (Spring 1996), pp. 81–94 ; Bron Taylor, ‘Religion, Violence and Radical Environmentalism: From Earth First! to the Unabomber to the Earth Liberation Front’, Terrorism and Political Violence 10, no. 4 (1998), pp. 1–42; Scott Corey, ‘On the Unabomber’, Telos 118 (Winter 2000), pp. 157–181; and Brett A. Barnett, ‘20 Years Later: A Look Back at the Unabomber Manifesto’, Perspectives on Terrorism 9, no. 6 (2015), pp. 60–71.

Footnote [3] — Tout au long de cet article, je me réfère à des documents d’archives provenant du fonds Joseph A. Labadie du Special Collections Research Center de l’université du Michigan. Ces documents sont cités par leurs numéros de boîtes (box/boxes) et, lorsque cela m’est possible, par leur numéro de dossier et le K-number du FBI. Letters between Kaczynski and John Zerzan, Labadie Boxes 14 and 15; Letters between Kaczynski and Derrick Jensen, Labadie Box 7.

Footnote [4] — Cecilia H. Leonard et al., ‘Anders Behring Breivik – Language of a Lone Terrorist’, Behavioral Sciences and the Law 32 (2014), pp. 408–422, at 415–416. Pour la traduction d’Aube Dorée, voir SIESA (Athens: New Sparta, 2018). Le livre audio du manifeste, très populaire sur YouTube, est l’œuvre d’Augustus Invictus, un suprémaciste blanc américain.

Footnote [5] — Sur les disciples de Kaczynski, voir Jake Hanrahan, ‘Inside the Unabomber’s Odd and Furious Online Revival’, Wired, 1 August 2018; John H. Richardson, ‘Children of Ted’, New York Magazine, 11 December 2018.

Footnote [6] — Correspondance de l’auteur avec une source confidentielle. Voir également Corey, ‘On the Unabomber’, op. cit., voir note 2, p. 172.

Footnote [7] — Michael Freeden, Ideologies and Political Theory: A Conceptual Approach (Oxford: Clarendon, 1996), p. 3.

Footnote [8] — Sur le fonds Labadie et les papiers de Kaczynski, voir Julie Herrada, ‘Letters to the Unabomber: A Case Study and Some Reflections’, Archival Issues 28, no. 1 (2003–2004), pp. 35–46.

Footnote [9] — Kaczynski, private footnotes to ISAIF, non datées (1995 ou 1996), Labadie Box 64, K1813: ‘Ces notes en chiffres romains sont privées et ne figuraient pas dans le manuscrit envoyé au NY Times’.

Footnote [10] — Jacques Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, 1954 ; Desmond Morris, Le Zoo Humain, 1969 ; Martin Seligman, Helplessness: On Depression, Development, and Death (en cours de traduction par Romuald Fadeau aux éditions Machine arrière).

Footnote [11] — FC to The New York Times, 20 April 1995, Labadie Box 28, Doc. 3348, K1825.

Footnote [12] — J’emprunte ici l’argumentaire résumé par Kaczynski’s dans son avant-propos à L’Esclavage technologique, Vol. 1. Voir aussi, David Skrbina, ‘A Revolutionary for Our Times’.

Footnote [13] — Ron Arnold, EcoTerror: The Violent Agenda to Save Nature: The World of the Unabomber (Bellevue, WA: Free Enterprise Press, 1997); Barnett, ‘20 Years Later’, op. cit., voir note 2; Richardson, ‘Children of Ted’, op. cit., voir note 5.

Footnote [14] — Arnold, EcoTerror, op. cit., voir note 13, p. ix.

Footnote [15] — Alston Chase, A Mind for Murder: The Education of the Unabomber and the Origins of Modern Terrorism (New York: W. W. Norton, 2004 [2003]), p. 94.

Footnote [16] — Ibid., p. 97.

Footnote [17] — Ibid., pp. 93–94.

Footnote [18] — Corey, ‘On the Unabomber’, op. cit., voir note 2.

Footnote [19] — Chase, A Mind for Murder, op. cit., voir note 15, p. 94.

Footnote [20] — Sur les lettres de Kaczynski à la Wilderness Society, voir James Morton Turner, The Promise of Wilderness: American Environmental Politics since 1964 (Seattle: University of Washington Press, 2012), pp. 71–72. Sur l’intérêt de Kaczynski pour Earth First!, voir Kaczynski to David Skrbina, 30 October 2008, Labadie Box 93, Folder 1215.9; Kaczynski, ‘Suggestions for Earth First!ers from FC’ (unsent letter), 1995, Labadie Box 17; Kaczynski to Jim Flynn (Earth First! Journal), 3 October 2000, Labadie Box 17.

Footnote [21] — Kaczynski, ‘Progress Versus Wilderness’, Labadie Box 65, p. 2, citant Roderick Nash, ‘The Future of Wilderness: The Need for a Philosophy’, Wild America (July 1979), pp. 12–13, conservé dans le University of Montana’s Clifton R. Merritt Papers, Box 110, Folder 2. Traduction ici : https://regressisme.wordpress.com/2023/09/04/progres-versus-nature-1979/ Cf. SIESA §183-184.

Footnote [22] — Chase, A Mind for Murder, op. cit., voir note. 15, p. 94.

Footnote [23] — Keith Mako Woodhouse, ‘In Defense of Mother Earth: Radical Environmentalism and Ecoterrorism in the United States, 1980–2000s’, in The Oxford Handbook of the History of Terrorism, eds Carola Dietze and Claudia Verhoeven (Oxford: Oxford University Press, 2014); voir également Corey, ‘On the Unabomber’, op. cit., voir note 2, p. 169.

Footnote [24] — SIESA §1, nous soulignons.

Footnote [25] — SIESA §183.

Footnote [26] — Kaczynski, Révolution anti-tech : Pourquoi et comment ?, traduit par Alexis Adjami et Romuald Fadeau, Editions Libre, 2021, p. 207.

Footnote [27] — Kaczynski’s comments on ‘On the Unabomber’ by Scott Corey, 7 July 2001, Labadie Box 58.

Footnote [28] — Ibid.

Footnote [29] — Kaczynski, private footnotes to ISAIF, op. cit., voir note. 9, I, II, V, VI, VII, IX, XI.

Footnote [30] — Sur les œuvres de fiction qui ont influencé Kaczynski, voir Donald Foster, ‘The Fictions of Ted Kaczynski’, Vassar Quarterly 95, no. 1 (Winter 1998), 14–17; ainsi que James Guimond et Katherine Kearney Maynard, ‘Kaczynski, Conrad, and Terrorism’, Conradiana 31, no. 1 (1999), 3–25.

Footnote [31] — Photocopie partielle de The Technological Society par Jacques Ellul, accompagnée des annotations de Kaczynski, non datée, Labadie Box 62. Cette photocopie semble dater de l’arrestation de Kaczynski en 1996. Ce dernier renvoie à La technique ou l’enjeu du siècle dans son essai, ‘Progress versus Liberty’, Labadie Box 65. Traduction ici : https://regressisme.wordpress.com/2023/08/24/progres-versus-liberte-1971/

Footnote [32] — SIESA §121 ; Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle.

Footnote [33] — Ibid.

Footnote [34] — SIESA §121.

Footnote [35] — Photocopie partielle de The Technological Society, op. cit., voir note 31, p. 321, avec références croisées à SIESA §156 « et ailleurs »..

Footnote [36] — Ibid., p. 321, avec références croisées à SIESA §143-146.

Footnote [37] — SIESA §145.38. Photocopie partielle de The Technological Society, op. cit., voir note. 31, p. 426.

Footnote [39] — Ibid. pp. 425–426, avec références croisées à SIESA §12, 28–30.

Footnote [40] — SIESA §24, 28.

Footnote [41] — Photocopie partielle de The Technological Society, op. cit., voir note 31, p. 427, avec références croisées à SIESA §12, 28–30. Kaczynski emploie la remarque d’Ellul à propos de la « révolte stérile » en guise d’épigraphe à son essai de 2002 sur le gauchisme, « Le meilleur tour du système » », dans L’Eclavage technologique Vol. 1 »

Footnote [42] — Photocopie partielle de The Technological Society, op. cit., voir note 31, p. 418, avec références croisées à SIESA §96.

Footnote [43] — Ibid., p. 419, avec références croisées à SIESA §96.

Footnote [44] — SIESA §96.

Footnote [45] — Kaczynski, ‘In Defence of Violence’, undated, Labadie Box 65, p. 1. Traduction en français : https://regressisme.wordpress.com/2023/06/14/en-defense-de-la-violence/

Footnote [46] — Jacques Ellul, Autopsie de la révolution, Calmann-Lévy, 1969, p. 326-327.

Footnote [47] — Ibid., p. 334

Footnote [48] — SIESA §189 ; Ellul, Autopsie de la révolution, p. 333-334.

Footnote [49] — Ibid.

Footnote [50] — Kaczynski, private footnotes to ISAIF, op. cit., voir note 9, V, VI, VII, IX, XII.

Footnote [51] — Liste de documents retrouvés dans la cabane de Kaczysnki, Federal Defender’s Office, Labadie Box 29.

Footnote [52] — SIESA §181.

Footnote [53] — Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, op. cit., voir note 10, p. 126.

Footnote [54] — Chase, A Mind for Murder, op. cit., voir note 15, pp. 97–98. Sur le néo-luddisme, voir Steven E. Jones, Against Technology: From the Luddites to Neo-Luddism (New York: Routledge, 2006).

Footnote [55] — SIESA §53.

Footnote [56] — SIESA §46.

Footnote [57] — SIESA §178.

Footnote [58] — SIESA §44.

Footnote [59] — SIESA §37.

Footnote [60] — SIESA §40-41. Voir aussi Kaczynski, ‘Reflections on Purposeful Work’, 1978–1979, later parts 1981–83, Labadie Box 65.

Footnote [61] — SIESA §39.

Footnote [62] — SIESA §64.

Footnote [63] — Morris, Le Zoo humain, op. cit., voir note 10, p. VII.

Footnote [64] — SIESA §44, note 8 (note 6 in the Washington Post version).

Footnote [65] — Kaczynski, private footnotes to ISAIF, op. cit., voir note 9, IV½.

Footnote [66] — Kaczynski, ‘Reflections on Purposeful Work’, op. cit., voir note 60, p. 1; cf. SIESA §46.

Footnote [67] — Kaczynski to Jean-Marie Apostolidès, 10 July 1996, Labadie Box 17, Folder 636.

Footnote [68] — Morris, Le Zoo humain, op. cit., voir note 10, p. 114.

Footnote [69] — Ibid., p. 115.

Footnote [70] — SIESA §34-35.

Footnote [71] — SIESA §61.

Footnote [72] — Morris, Le Zoo humain, op. cit., voir note 10, pp. 118–119, 122.

Footnote [73] — Ibid., p. 118, 122.

Footnote [74] — SIESA §84, 87.

Footnote [75] — Kaczynski, handwritten draft of SIESA, undated, Labadie Box 79, K1814.

Footnote [76] — Ellul, La technique ou l’enjeu du siècle, op. cit., voir note 10.

Footnote [77] — SIESA §89. Voir aussi Kaczynski, « Lettre au Dr P.B. sur les motivations des scientifiques dans L’Esclavage technologique, Vol. 1.

Footnote [78] — SIESA §87-92.

Footnote [79] — Cf. Jones, Against Technology, op. cit., voir note 54, p. 224 : « Kaczynski voit la technologie comme une conspiration monolithique. »

Footnote [80] — SIESA §106, 153.

Footnote [81] — Kaczynski, ‘some notes for a follow-up essay’, Labadie Box 29. Voir aussi Kaczynski, Révolution anti-tech : Pourquoi et comment ?, chapitre 2.

Footnote [82] — Morris, Le Zoo humain, op. cit.

Footnote [83] — SIESA §48, 54.

Footnote [84] — Seligman, Helplessness, op. cit., voir note 10, p. 22.

Footnote [85] — SIESA §68.

Footnote [86] — Kaczynski, private footnotes to ISAIF, op. cit., voir note 9, IV.

Footnote [87] — Kaczynski to Apostolidès, 10 July 1996, op. cit., voir note 67.

Footnote [88] — SIESA §33.

Footnote [89] — SIESA §36.

Footnote [90] — SIESA §44, italique présent dans le texte original.

Footnote [91] — Lettre de Kaczynski à David Skrbina, 12 octobre 2004, dans L’Esclavage technologique, Vol. 1, Editions Libre, p. 225.

Footnote [92] — Ibid., p. 224.

Footnote [93] — Kaczynski’s journal, Series I #1, 1969, Labadie Box 82, K2046, pp. 56–57.

Footnote [94] — SIESA §68. La compréhension qu’a Kaczynski des sociétés « primitives » lui vient de deux ouvrages d’anthropologie qu’il cite dans ses notes privées VI, op. cit., voir note 9 : Elizabeth Marshall Thomas, The Harmless People (New York: Knopf, 1959) et Colin M. Turnbull, The Forest People (Simon & Schuster, 1961).

Footnote [95] — SIESA §44, §145–147.

Footnote [96] — Kaczynski a peut-être emprunté le terme « sursocialisation » au biologiste René Debos, So Human an Animal (London: Rupert Hart-Davis, 1970 [1968]), p. 154. (Traduit en français en 1972 sous le titre Cet Animal si humain.)

Footnote [97] — SIESA §26.

Footnote [98] — SIESA §19.

Footnote [99] — Kaczynski, notes on Helplessness by Martin Seligman, undated, Labadie Box 80. Voir également ses notes sur Human Helplessness: Theory and Applications, eds Judy Garber and Martin Seligman, undated, Labadie Box 80.

Footnote [100] — Kaczynski to David Skrbina, 23 October 2010, Labadie Box 93, Folder 1215.10.

Footnote [101] — Bart Schuurman et al., ‘End of the Lone Wolf: The Typology that Should Not Have Been’, Studies in Conflict and Terrorism 42, no. 8 (2019), pp. 771–778, at 775 and 771. Schuurman et ses associés reconnaissent à quel point Kaczynski était exceptionnellement isolé et indépendant.

Footnote [102] — Letters between Kaczynski and Zerzan, op. cit., voir note 3; Letters between Kaczynski and Jensen, op. cit., voir note 3. Pour plus d’échanges entre Kaczynski et des éco-anarchistes ou écologistes radicaux, consulter les Labadie Boxes 1–20.

Footnote [103] — SIESA §213-230. Voir également Kaczynski, « Le Meilleur tour du système », dans L’Esclavage technologique Vol. 1.

Footnote [104] — Kaczynski, Révolution anti-tech : Pourquoi et comment ?, Editions Libre, 2021, p. 12.

Footnote [105] — John Jacobi, ‘Apostles and Heretics’, in Atassa: Readings in Eco-Extremism (2016), pp. 15–33. Atassa est la revue en langue anglaise d’ITS.

Footnote [106] — Les membres du cercle proche de Kaczysnki sont cités et remerciés, souvent par leurs initiales ou leurs pseudonymes, dans les préfaces de ses livres. Voir p. ex. L’Esclavage technologique Vol. 1.

Footnote [107] — Jacobi, ‘Apostles and Heretics’, op. cit., voir note 105, p. 30. Sur Jacobi, voir Richardson, ‘Children of Ted’, op. cit., voir note 5. Voir aussi le livre de Jacobi, Repent to the Primitive (North Carolina: Wild Will Coalition, 2017).

Footnote [108] — Leigh Phillips, ‘Armed Resistance’, Nature 488, no. 7413 (2012), pp. 576–579; Chris Toumey, ‘Anti-Nanotech Violence’, Nature Nanotechnology 8 (2013), pp. 697–698; Zachary Kallenborn and Philipp C. Bleek, ‘Avatars of the Earth: Radical Environmentalism and Chemical, Biological, Radiological, and Nuclear (CBRN) Weapons’, Studies in Conflict & Terrorism 43, no. 5 (2020), pp. 351–381, at 363–364.

Footnote [109] — Vor Atassa, op. cit., voir note 105.

Footnote [110] — ITS, ‘Sixth Communiqué’, in The Collected Communiqués of Individualists Tending Toward the Wild, second edition, pseudonymous translation by ‘War on Society’ (2013), p. 76.

Footnote [111] — ITS, ‘Third Communiqué’, op. cit., voir note 110, p. 37.

Footnote [112] — ITS, ‘Seventh Communiqué’, op. cit., voir note 110, p. 101.

Footnote [113] — ITS, ‘Fifth Communiqué’, op. cit., voir note 110, p. 70.

Footnote [114] — ITS, ‘Second Communiqué’, op. cit., voir note 110, p. 21.

Footnote [115] — Kaczynski, « La vérité au sujet de la vie primitive : critique de l’anarcho-primitivisme » dans L’Esclavage technologique Vol. 1, p. 121 et s.

Footnote [116] — ITS, ‘Fourth Communiqué’, op. cit., voir note 110, p. 45.

Footnote [117] — ITS, ‘Seventh Communiqué’, op. cit., voir note 110, p. 94, note 11.

Footnote [118] — Ibid., p. 101.

Footnote [119] — Kallenborn and Bleek, ‘Avatars of the Earth’, op. cit., voir note 108, pp. 363–364. Voir également note 13 ci-dessus.

Footnote [120] — ITS, ‘Fourth Communiqué’, op. cit., voir note 110, p. 49; ‘Seventh Communiqué’, op. cit., voir note 110, pp. 88–93.

Footnote [121] — Jennifer Varriale Carson, Gary LaFree, and Laura Dugan, ‘Terrorist and Non-Terrorist Criminal Attacks by Radical Environmental and Animal Rights Groups in the United States, 1970–2007ʹ, Terrorism and Political Violence 24, no. 2 (2012), pp. 295–319.

Footnote [122] — ITS, ‘Third Communiqué’, op. cit., voir note 110, pp. 40–41.

Footnote [123] — Ibid., p. 28.

Footnote [124] — Taylor, ‘Religion, Violence and Radical Environmentalism’, op. cit., voir note 2, p. 14.

Footnote [125] — Ibid., p. 15.

Footnote [126] — Kaczynski, « Lettre à M. K. », 4 octobre 2003, dans L’Esclavage technologique Vol. 1, p. 345. Cf. ITS, ‘Fifth Communiqué’, op. cit., voir note 110, p. 72 : « nous sommes favorables à la violence qui est naturelle. »

Footnote [127] — SIESA §184.

Footnote [128] — Voir en général, C. J. M. Drake, ‘The Role of Ideology in Terrorists’ Target Selection’, Terrorism and Political Violence 10, no. 2 (1998), pp. 53–85.

Footnote [129] — ITS, ‘First Communiqué’, op. cit., voir note 110, p. 15.

Footnote [130] — ITS, ‘Sixth Communiqué’, op. cit., voir note 110, p. 74: « La “Révolution” est un concept gauchiste. »

Footnote [131] — ITS, ‘Fourth Communiqué’, op. cit., voir note 110, p. 67.

Footnote [132] — Kaczynski to John Jacobi, unknown date.

Footnote [133] — E.g., Manuel R. Torres-Soriano and Mario Toboso-Buezo, ‘Five Terrorist Dystopias’, The International Journal of Intelligence, Security, and Public Affairs 21, no. 1 (2019), pp. 49–65; Ray Kurzweil, The Age of Spiritual Machines (London: Phoenix, 1999), pp. 224–234.

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