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Ted Kaczynski
Stratégie révolutionnaire

Systèmes autopropagateurs : pourquoi reprendre le contrôle est impossible

Par
S.C.
05
December
2024
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Dans Révolution Anti-Tech : Pourquoi et comment ? (2016), Theodore Kaczynski développe une théorie des relations internationales qui donne les clés pour comprendre pourquoi le système techno-industriel est totalement hors de contrôle. Dans ce cadre, il nomme systèmes autopropagateurs (SAP) les organisations humaines qui, au sein du super système planétaire – le système-monde technologique –, se livrent une compétition impitoyable pour leur survie à court terme.

Qu’est-ce qu’un système autopropagateur ?

Un système autopropagateur ou SAP est « un système qui tend à promouvoir sa propre survie et sa propre propagation ». Il peut se propager de deux manières : soit par une croissance infinie de son pouvoir ou de sa taille, soit en donnant naissance à de nouveaux systèmes dotés de certains de ses attributs. Les SAP peuvent tout aussi bien être des troupeaux de mammifères ou des essaims d’insectes que des groupes humains.

Kaczynski prend pour exemple les sociétés de chasseurs-cueilleurs au sein desquelles les familles nucléaires appartiennent aux clans, et les clans sont organisés en tribus. Familles nucléaires, clans et tribus sont tous des SAP de niveau différent. La famille nucléaire est un sous-système du clan, et le clan est un sous-système de la tribu. Par extension, les familles nucléaires sont des sous-systèmes qui composent un clan, et les clans sont eux-mêmes des sous-systèmes composant une tribu.

Cependant, les SAP qui nous intéressent sont les organisations humaines à grande échelle devenues hégémoniques avec le développement technologique et l’intégration croissante des groupes humains au sein d’un système-monde composé d’infrastructures industrielles :

« Les SAP qui nous importent ici le plus sont ceux constitués par des groupes d’êtres humains, par exemple les nations, les entreprises, les syndicats, églises et partis politiques, ainsi que des groupes manquant de délimitations claires et d’organisation formelle (écoles de pensée, réseaux sociaux, sous-cultures). »

Les États et les grandes firmes industrielles sont dans cette optique des sous-systèmes (ou SAP) du système-monde technologique. Nous allons voir que les SAP sont forcés d’accaparer toujours davantage de ressources pour croître et survivre à la compétition internationale à court terme, et ils font cela sans aucune considération pour les conséquences à long terme.

Compétition entre SAP et impossibilité de contrôle rationnel

Une particularité des SAP est de se propager ou de croître indépendamment de la volonté des individus qui le composent. Dans leur processus d’évolution, les SAP passent par le même filtre que les organismes vivants : la sélection naturelle. Les SAP qui disposeront des moyens les plus complexes, sophistiqués et subtils pour assurer leur survie et leur propagation seront favorisés par la sélection naturelle[1].

La compétition entre SAP structure leurs activités et les empêche par exemple de prendre des décisions rationnelles à long terme. Préserver les ressources naturelles devient une absurdité si leur surexploitation peut donner un avantage concurrentiel à court terme. Kaczynski illustre son propos par un exemple très parlant :

« Par exemple, supposons qu’une région forestière soit occupée par plusieurs petits royaumes rivaux. Les royaumes qui déboisent le plus le territoire à des fins agricoles peuvent cultiver davantage, et ainsi subvenir aux besoins d’une population plus importante que celles des autres royaumes. Cela leur confère un avantage militaire sur leurs rivaux. En s’interdisant de déboiser de manière excessive, par souci des conséquences à long terme, un royaume se placerait en situation de désavantage militaire et se verrait éliminé par les autres, plus puissants. Ainsi la région finit-elle sous contrôle de royaumes détruisant imprudemment leurs forêts. La déforestation conduit finalement au désastre écologique et, in fine, à l’effondrement de tous les royaumes. Ici, un attribut avantageux, voire même indispensable à la survie à court terme d’un royaume — l’abattage imprudent des arbres — entraîne, à long terme, la chute de ce même royaume. »

Kaczynski démonte la proposition de décroissance planifiée par l’État en vogue dans les milieux de l’éco-bourgeoisie des grandes métropoles et défendue par des éco-technocrates influents (Jean-Marc Jancovici, Timothée Parrique, Thomas Wagner alias Bon Pote, etc.). Si un SAP, au hasard l’État français, avait recours à la prospective et décidait de limiter ses efforts pour maximiser l’exploitation des ressources à disposition, en particulier l’exploitation de pétrole, gaz et charbon, alors « il s’imposerait lui-même un désavantage compétitif par rapport aux SAP qui font tout ce qu’ils peuvent pour survivre et se propager à court terme ».

Sans surprise, la proposition avancée par l’éco-technocratie est d’une grande naïveté politique. Elle fait abstraction des rapports de force entre SAP qui structurent le système-monde technologique. Enfonçons encore davantage le clou en citant un autre mathématicien-philosophe, Olivier Rey, qui démolit également toute idée de décroissance planifiée par l’État dans son excellent ouvrage Une question de taille (2014) :

« Sur le plan économique et technique, il nous faut aussi reconnaître que, au point où nous en sommes, adopter la voie de la décroissance n’est pas sans danger. En effet, quoique seule à même de prévenir ou d’amortir la catastrophe, la décroissance peut également signifier, pour les communautés humaines qui l’adopteraient, un écrasement plus rapide encore. Songeons au sort que connurent les peuples colonisés, subjugués parce que les moyens traditionnels se trouvaient surclassés par la puissance de la technique moderne. Tout “retard” dans le processus de transformation du monde enclenché depuis deux siècles expose aux menées des “avancés”, tout refus de l’asservissement par la technique induit l’asservissement à ceux qui disposent de la technique. Songeons également, pour prendre un exemple parlant dans un monde dominé par l’économie, à la situation d’une banque clairvoyante face à un emballement spéculatif : ne pas y participer, en prévision de l’éclatement de la bulle qui ne manquera pas de survenir, c’est, dans l’intervalle, affaiblir son bilan par rapport à celui de ses concurrents et, de ce fait, risquer d’être dévorée par eux avant le retournement de tendance ; autrement dit, pour seulement survivre, la raison peut en venir à recommander de participer à un mouvement que la raison juge absurde. Telle serait notre situation : la croissance, mortelle à terme, serait aussi une condition de notre survie immédiate. »

Représentation schématique des SAP (nations, firmes, partis politiques, sectes religieuses, groupes mafieux, etc.) en compétition. Ce schéma est tiré de nos formations dispensées en présentiel et en visio.
Les SAP sont en concurrence pour accaprer des ressources qui leur permettent de développer des technologies plus puissantes, qui elles-mêmes leur permettent de dominer d'autres SAP et d'accaparer encore davantage de ressources, et ainsi de suite.

Une compétition suicidaire d’envergure mondiale

Le système-monde technologique constitue le super-système qui englobe tous les sous-systèmes ou SAP (États-nations, firmes, réseaux criminels, etc.) par l’intermédiaire des réseaux de transport et de communication rapides à longue distance. Kazynski estime que ce système-monde « s’approche d’un état dans lequel il sera dominé par un petit nombre de SAP globaux extrêmement puissants ».

De nos jours, on compte la Chine et les États-Unis parmi ces SAP qui dominent le monde. Les deux pays se livrent une concurrence de plus en plus féroce dans le domaine technologique (puces électroniques, IA, drones, robots, biotechnologies, etc.). Mais d’autres SAP peuvent apparaître soudainement et se développer à grande vitesse. C’était le cas il y a quelques années avec le groupe État islamique qui a profité du chaos en Syrie et en Irak pour conquérir rapidement des territoires et mettre la main sur des puits de pétrole. Dans les années à venir, d’autres SAP encore à l’état d’embryon vont certainement profiter de l’instabilité mondiale croissante.

Le développement de l'Etat islamique au Moyen-Orient montre que de nouveaux SAP émergent continuellement, et de plus en plus rapidement. L'hégémonie mondiale d'un ou d'une poignée de SAP très puissants ne peut pas durer indéfiniment. Cet exemple récent semble confirmer la dynamique des SAP théorisée par Kaczynski.

À mesure que la quantité des ressources facilement disponibles baisse, la pression concurrentielle entre SAP globaux va augmenter au mépris des conséquences écologiques et sociales à long terme. Cette compétition stimule en permanence l’accroissement du système-monde technologique qui étend ses tentacules pour envahir de nouvelles niches encore inexploitées. L’incitation à développer des armes toujours plus destructrices, des technologies toujours plus puissantes et invasives sera d’autant plus forte. Afin de rester dans la course, les SAP dominants devront envahir et coloniser de nouvelles zones (fonds marins, zones arctique et antarctique, Amazonie et bassin du Congo, manteau terrestre, astéroïdes, etc.). Cette dynamique mortifère se poursuivra « jusqu’à ce que plus rien sur cette planète ne demeure inaltéré par l’intervention technologique — intervention qui sera menée dans une folle quête d’accroissement de pouvoir, sans considération pour les conséquences à long terme ».

« Une féroce compétition entre les systèmes autopropagateurs dégradera le climat de la Terre, la composition de son atmosphère, la composition de ses océans, et ainsi de suite. L’effet sur la biosphère sera dévastateur. [...] Si le développement du système-monde technologique se poursuit sans entrave jusqu’à sa conclusion logique, selon toute probabilité, il ne restera de la Terre qu’un caillou désolé — une planète sans vie, à l’exception, peut-être, d’organismes parmi les plus simples — certaines bactéries, algues, etc. — capables de survivre dans ces conditions extrêmes. » 

Pour remédier à ce constat qui peut paraître insurmontable voire décourageant pour les néophytes, Kaczynski fournit dans les chapitres 3 et 4 de Révolution Anti-Tech de précieux conseils stratégiques pour organiser un mouvement anti-technologie.

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Footnote [1] — Ici Kaczynski a tendance à faire de la sélection naturelle l’unique mécanisme de l’évolution des espèces et des communautés vivantes. Certains observateurs remettent pourtant en cause l’hégémonie de la sélection naturelle et affirment que l’évolution des espèces est conditionnée par d’autres forces, notamment la sélection sexuelle. Le raisonnement de Kaczynski sur les SAP semble plus approprié pour les SAP humains évoluant dans le cadre du système technologique que pour les SAP humains et non humains évoluant en dehors de ce système. Voir par exemple l’éclairante réflexion de Bertrand Louart, Les êtres vivants ne sont pas des machines, 2018.

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