Postulats et règles pour transformer une société
Dans son traité de stratégie Révolution Anti-Tech : pourquoi et comment ? (2016), le mathématicien Theodore Kaczynski, qui a longuement étudié l’histoire des mouvements révolutionnaires, dresse une liste de postulats et en tire cinq règles essentielles à respecter pour tout mouvement en quête d’efficacité maximale. Nous les avons reproduites accompagnées de commentaires et d’exemples.
Les postulats
« Postulat 1. On ne peut changer une société en poursuivant des objectifs vagues ou abstraits. Il importe d’avoir un objectif clair et concret. Selon les mots du militant expérimenté John Huenefeld : “Les objectifs vagues et trop généraux sont rarement atteints. L’important consiste à élaborer un projet précis qui propulsera inévitablement votre communauté dans la direction souhaitée.” »
Les Gilets jaunes avaient des objectifs multiples, vagues et abstraits, dont une exigence de « démocratie directe[1] ». Cette erreur stratégique a laissé le champ libre au clan réformiste qui a pu parasiter le mouvement avec ses revendications solubles dans les institutions d’État (référendum d’initiative citoyenne, réforme de la fiscalité, adoption du scrutin proportionnel lors des élections législatives).
« Postulat 2. La prédication, seule – le simple fait de défendre des idées –, ne permet pas de faire advenir des changements durables dans le comportement des êtres humains, sauf au sein d’une petite minorité. »
La plupart des ONG, associations et influenceurs de l’écologie se contentent de prêcher la bonne parole auprès du public en organisant des campagnes de communication. L’état du monde naturel suffit à démontrer l’échec de cette stratégie basée sur la seule prédication.
« Postulat 3. Tout mouvement radical tend à attirer de nombreuses personnes sans doute sincères, mais dont les objectifs coïncident peu avec ceux du mouvement. Il s’ensuit que les objectifs originels du mouvement peuvent perdre de leur clarté, voire pleinement dégénérer. »
On peut citer à nouveau le mouvement des Gilets jaunes. À l’origine la revendication principale était clairement révolutionnaire avec la volonté de renverser le gouvernement et d’instaurer la démocratie directe. Par la suite, le mouvement a attiré de nombreux réformistes qui se sont empressés de proposer des revendications bien plus consensuelles.
« Postulat 4. Tout mouvement radical qui acquiert un grand pouvoir finit corrompu, au plus tard lorsque ses premiers responsables (ceux qui l’ont rejoint quand il était encore relativement faible) sont tous morts ou politiquement inactifs. Par “corrompu”, nous entendons le moment où ses membres, et surtout ses dirigeants, recherchent avant tout un avantage personnel (comme l’argent, la sécurité, le statut social, des fonctions importantes ou une carrière) au lieu de se dévouer sincèrement aux idéaux du mouvement. »
Sur ce point, il faut s’intéresser au cas de Sea Shepherd[2]. Paul Watson, le fondateur, s’est fait évincer de la branche globale de l’organisation par des cadres davantage préoccupés par la quête de pouvoir que l’efficacité de la lutte[3].
Les règles
« Règle (i). Afin de changer une société d’une façon spécifique, un mouvement se doit de choisir un objectif unique, clair, simple et concret, dont la réalisation produit le changement souhaité. »
On ne va pas revenir sur ce point qui relève du bon sens le plus élémentaire (voir schéma ci-joint).
« Règle (ii). Un mouvement qui cherche à transformer une société doit se fixer un objectif dont les conséquences seront irréversibles, de sorte qu’une fois la société transformée par la réalisation de cet objectif, sa transformation s’avère durable, sans que le mouvement, ou quiconque, ait à fournir le moindre effort supplémentaire. »
Dans un article paru dans le magazine Aeon[4], l’historien David Potter, auteur de Disruption : why things change (2021), tente de décrire la dynamique du changement radical au cours de l’histoire. Il écrit entre autres au sujet de Lénine :
« La théorie du changement de Lénine était une théorie de rupture sociale qui consistait à imposer un changement si radical qu’une société ne pouvait plus revenir à son état antérieur. De telles convulsions ne se produisent pas au hasard. Il existe un ensemble de conditions requises pour les provoquer, et il existe des circonstances particulières au cours desquelles les initiateurs de mouvements perturbateurs tendent à atteindre leurs objectifs. »
« Règle (iii). Une fois un objectif adopté, il est nécessaire de persuader une petite minorité de s’engager à l’atteindre par des moyens plus efficaces que la simple prédication ou promotion d’idées. En d’autres termes, cette minorité devra s’organiser en vue d’une action pratique. »
L’influente revue Foreign Affairs note au sujet du livre de David Potter :
« Le remplacement d’un ordre politique qui façonne le monde par un autre a toujours nécessité une stratégie, un leadership et des luttes idéologiques motivées par la recherche de légitimité. Ce sont moins les opprimés et les dépossédés qui remodèlent la vie politique que les activistes et les leaders charismatiques qui s’accrochent à de nouvelles idées puissantes et construisent de nouvelles coalitions[5]. »
En lisant entre les lignes, on comprend qu’un changement radical d’ordre politique ne résulte pas d’une décision prise collectivement, de façon démocratique. Un petit groupe déterminé se constitue autour de nouvelles idées autrefois en marge de la société et cherche à obtenir de la puissance en s’appuyant sur ces idées. Cette puissance s’obtient par des coalitions, en accumulant des ressources matérielles, en construisant de la légitimité, en recrutant des activistes pour les former, etc. Dans un second temps, l’action pratique cherche à établir un rapport de force avec le ou les groupe(s) dominant(s).
« Règle (iv). Afin de demeurer fidèle à son objectif, un mouvement radical doit trouver des moyens d’exclure de ses rangs toute personne indésirable cherchant à le rejoindre. »
Si l’on reprend le cas des Gilets jaunes, on constate que le mouvement a été rejoint par des groupes aux objectifs contradictoires – groupes d’extrême droite, conspirationnistes (souvent les mêmes que les premiers), réformistes, Black bloc, etc. Les GJ n’étaient pas structurés ni organisés de façon à pouvoir assurer une uniformité de point de vue indispensable à la victoire. C’est d’autant plus difficile lorsque vous choisissez la manifestation dans les rues de Paris comme mode opératoire.
On observe régulièrement une confusion malheureuse entre la nécessaire uniformité de points de vue dans le mouvement et le refus de la diversité. Les mouvements puissants sont ceux regroupant des profils diversifiés – peu importe leur religion, leur identité, leur genre ou leur couleur de peau – qui s’associent afin de poursuivre un objectif commun. Pour reprendre les termes de Theodore Kaczynski, « le véritable mouvement anti-tech rejette toute forme de racisme ou d’ethnocentrisme », il s’agit d’un « impératif stratégique[6] ».
Règle (v). Une fois assez puissant pour atteindre son objectif, le mouvement révolutionnaire doit y parvenir le plus rapidement possible, a minima avant que les révolutionnaires originels (c’est-à-dire ceux ayant rejoint le mouvement alors qu’il était encore balbutiant) ne soient morts ou politiquement inactifs. »
Formé par Manuel Marulanda en 1964 dans la Colombie rurale, le mouvement des FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie – Armée du peuple) était une guérilla marxiste issue des zones d’autodéfense paysannes des années 1950-1960. Depuis sa création, le mouvement a connu des périodes de développement et de stagnation, mais depuis 2000 il est visiblement en déclin[7]. Difficile d’estimer si les FARC avaient acquis par le passé une puissance nécessaire pour s’emparer du pouvoir. Dans tous les cas, Marulanda est décédé en 2008 et son organisation périclite, ce qui tend à confirmer cette règle.
Avertissement : nous avons sélectionné des exemples de mouvements violents dans cet article. Cela ne veut pas dire que nous approuvons leurs méthodes. Nous rappelons que ATR est un mouvement à visage découvert, légal et non violent.
Footnote [1] — Nous revendiquons également la démocratie directe (point 5 de notre programme), mais celle-ci ne sera matériellement possible que lorsque nous aurons stoppé et démantelé le système techno-industriel. En effet, la démocratie directe est irréalisable tant que l’État conserve son pouvoir infrastructurel sur le territoire.
Footnote [2] — https://seashepherdorigins.org/fr/2023/01/07/histoire-de-sea-shepherd-avec-pritam-singh-1989-2022/
Footnote [4] — https://aeon.co/essays/a-history-of-disruption-from-fringe-ideas-to-social-change
Footnote [5] — https://www.foreignaffairs.com/reviews/capsule-review/2021-08-24/disruption-why-things-change
Footnote [6] — https://regressisme.wordpress.com/2022/07/05/eco-fascisme-laberrante-creature-gauchiste/
Footnote [7] — https://www.courrierinternational.com/article/2008/01/17/une-guerilla-en-perte-de-vitesse
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